Benchmark des Plateformes de Gestion de la…
Les énergies renouvelables (ENR) modifient la production centralisée en une production réparties sur le territoire au travers d'installations de faibles puissances. La France aura besoin de forts investissements sur son réseau de distribution pour absorber la charge liée à la multiplication des ENR.
Les pouvoirs publics ont initié une évolution de la réglementation permettant désormais l’autoconsommation avec l’ordonnance du 27 juillet 2016. Cette nouvelle possibilité induit une métamorphose du rôle du distributeur devant prendre en compte les échanges entre acteurs du réseau. La technologie blockchain, qui permet une gestion sécurisée et autonome d’échanges désintermédiés, apparaît comme une solution cohérente à ces problématiques.
Toutefois, comment adapter cette technologie et ce modèle aux contraintes d’exploitation du réseau, cœur de métier des distributeurs ?
Indissociable de la création de la crypto monnaie bitcoin en 2008, le concept de blockchain s’étend à partir de 2013, d’abord aux banques et aujourd’hui au secteur de l’énergie. La blockchain est avant tout un registre distribué entre l’ensemble des participants aux échanges. Lorsque l’un d’entre eux émet une transaction, elle est partagée sur l’ensemble du réseau puis vérifiée par des « mineurs ». Plusieurs transactions sont ensuite mises dans un « bloc » horodaté auquel est associé une clé (hash), image unique de son contenu. Le bloc est ajouté à la « chaîne » en inscrivant son hash dans le bloc précédent. Toute modification du contenu du bloc implique la modification de son hash propre et donc la rupture de la « chaîne » (2 hash incohérents). La « chaîne » est ensuite diffusée sur le réseau : si elle convient à la majorité, elle vient remplacer le registre précédent pour tous les utilisateurs et les transactions sont effectivement réalisées. Falsifier une transaction reviendrait à devoir soit recalculer l’ensemble des hash des blocs suivants soit corrompre plus de 50% du réseau pour obtenir son accord par consensus. Ces deux scénarios sont improbables.
Aucun intermédiaire, ou tiers de confiance, n’est alors nécessaire pour valider la transaction et assurer des échanges fiables. Les échanges se font de pair à pair dans une totale autonomie. L’architecture de la blockchain présente donc de nombreux points d’adhérence avec celle d’un réseau intégrant de l’autoconsommation. Les transactions financières sur la blockchain, tout comme les flux physiques sur le réseau électrique, se réalisent sans intermédiaire entre les acteurs. La traçabilité parfaite des données et l’immuabilité du registre associé rendent impossible les litiges ou les créations de transactions fictives.
L’exemple emblématique de cette conjugaison blockchain/autoconsommation est le projet de Transactive Grid à Brooklyn. Quelques maisons du même quartier produisent de l’électricité à l’aide de panneaux solaires et l’échangent sur un réseau parallèle au réseau traditionnel. Les échanges sont enregistrés sur un dispositif blockchain et donnent lieu à une rémunération en cryptomonnaie. Ce projet microgrid est porté par Siemens, LO3Energy et Consensys, société gérant l’aspect blockchain de la solution. Une initiative sur le même modèle a vu le jour en France dans le quartier Confluence à Lyon. Elle est portée par deux multinationales, Bouygues Immobilier et Microsoft. Elle s’appuie sur les compétences en sécurisation et gestion des données de deux start-up, Stratum et Energisme. Cette dualité entre un grand acteur, le plus souvent de l’énergie, et une petite entité externe portant la compétence blockchain est un élément commun à ces différents projets. De la même manière, Enedis s’est associé à Sunchain, filiale du spécialiste du solaire Tecsol, pour développer un projet d’autoconsommation collective s’appuyant sur une solution blockchain dans les Pyrénées Orientales. Cette composition vise à pallier les fragilités des acteurs : elle externalise le risque lié à une technologie très récente et trop peu mature pour les grandes sociétés et apporte stabilité et fiabilité aux petites structures portant la technologie, ces dernières étant plus aptes à s’adapter au temps court de développement des projets.
Malgré ces différentes initiatives, un déploiement plus ambitieux à grande échelle se fait toujours attendre. Cette mise en place soulèverait de nouvelles questions sur le plan réglementaire et fiscal, questions non traitées par les premières expérimentations. Par exemple les acteurs ayant recours à l’autoconsommation collective utilisent de manière restreinte le réseau car ils réduisent leur soutirage en échangeant entre « voisins ». Une réduction du TURPE semble donc légitime pour ces usagers. En France, l’idée d’un micro TURPE commence à être évoquée mais reste complexe à implémenter : quelle valeur lui affecter ? Doit-il être variable en fonction du recours au réseau ? Enfin, le cadre juridique des échanges sur la blockchain est encore flou en France et dans la plupart des pays. Les échanges réalisés, s’ils se passent de tiers comme un distributeur, ne sont pas couverts par un contrat, la validation de la transaction sur la blockchain ne s’y substituant pas légalement. Ce vide légal serait bien problématique en cas de litige sur les volumes fournis. Autant de questionnements qui convergent toutefois vers la même idée : comment le distributeur s’intégrera dans cette nouvelle chaîne de valeur ? Ces sociétés observent ainsi avec attention les évolutions liées à la blockchain : elle vise à désintermédier et supprimer le tiers de confiance c’est-à-dire une partie de leurs activités.
Pourquoi les entreprises souhaitent-elles développer des solutions blockchain qui remettraient en question une part de leur activité ? L’association d’Enedis et de Sunchain donne une partie de la réponse. Dans cette configuration, Sunchain gère la maintenance de la blockchain. Les données brutes de consommation/production, stockées et mise à jour sur la blockchain, sont ensuite extraites par Enedis. Comme il s’agit d’autoconsommation collective, le producteur est fictif et réparti entre chaque consommateur. Il est impossible de déterminer à un instant t qui a effectivement consommé la production locale. Sur la base d’un algorithme développé pour le projet, une clé de répartition de la production est établie. En dehors de la blockchain, Enedis répartit donc la production sur chacun des consommateurs et établit de nouvelles courbes de charges pour chaque acteur impactant directement leurs factures. Le distributeur conserve un rôle prépondérant auquel la blockchain peut difficilement se substituer. Il ressort que les entreprises cherchent à capter la technologie mais à se défaire de la désintermédiation pure et simple. La blockchain est donc vue comme un outil permettant de faciliter des échanges sécurisés à un coût réduit. L’usager peut même ne pas être conscient qu’il utilise une blockchain : l’entreprise absorbe alors dans son modèle la technologie et l’exploite pour réduire ses coûts de structure liés au SI et ses délais de traitement. C’est donc avant tout le fort retour sur investissement (ROI) que l’on cherche à capter en utilisant la blockchain dans le cadre de l’autoconsommation.
Au-delà de la mise en relation directe des différents acteurs du secteur de l’énergie, la technologie blockchain s’avère également intéressante pour optimiser et sécuriser l’Industrial IoT (IIoT – Internet of things) dans un contexte où les industriels, notamment les gestionnaires de réseaux, ont prévu de déployer largement des objets connectés directement au sein de leurs Smart-Grids. L’IIoT doit répondre à des exigences de performance et de cybersécurité d’un niveau de criticité plus élevé que l’IoT classique. Par exemple une cyberattaque similaire à celle d’octobre 2016 par la méthode de « déni de service », qui avait rendu indisponibles des sites comme Twitter ou Spotify pendant près d’une journée, pourrait mettre la stabilité du réseau électrique en danger. Cette cyberattaque résultait d’une mauvaise sécurisation de millions d’objets connectés. C’est à ce moment qu’intervient la technologie blockchain. Plutôt que de passer par un unique serveur, les objets connectés pourraient interagir directement entre eux en utilisant la sécurité inhérente à la blockchain afin de s’authentifier et de certifier leurs mesures. Ainsi même si l’intégrité d’un objet connecté est compromise, l’intégrité globale du système reste intacte. Autrement dit, la blockchain permet de passer d’une architecture IoT historiquement centralisée à une architecture moins vulnérable aux cyber attaques.
La technologie blockchain constitue donc une réelle opportunité pour la gestion du réseau en permettant une réduction de la charge par l’autoconsommation et en fiabilisant les projets d’IIoT. Elle incarne un vecteur d’amélioration de la performance opérationnelle et de la rentabilité de l’activité des distributeurs. Son modèle exploité au maximum tend à supprimer tout tiers de confiance. Cependant, une compétence métier forte est nécessaire à la gestion des flux physiques et rend indispensable l’intégration des distributeurs qui pourront faire évoluer leur rôle vers plus d’optimisation et de services.
Retrouvez l’étude EnergyLab sur l’autoconsommation domestique ainsi que l'intégralité des articles publiés dans le Mag 2017 sur sur le site de Sia Partners.