La reconversion, parent pauvre des politiques d…
Le malaise entre managers et salariés s'aggrave et a des impacts négatifs à la fois sur le développement des collaborateurs et sur la performance des entreprises.
L'amélioration du management constitue un enjeu rendu crucial du fait des tensions sur le marché du travail et peut se transformer en avantage concurrentiel.
Quelque soient les sondages et enquêtes menés récemment autour de la perception qu'ont les salariés de leur management [1], les résultats renvoient souvent le même écho : le fossé se creuse entre managers et salariés. Les managers ne répondent pas aux attentes de leurs collaborateurs, ils sont en moyenne peu appréciés, peu suivis, considérés davantage comme une source de stress que comme un moteur de développement et de motivation.Ce malaise entre managers et salariés a des impacts négatifs à différents niveaux.
Sur le plan individuel, l'effet le plus visible reste la baisse de l'implication du salarié. Cette démobilisation s'accompagne d'un sentiment de déresponsabilisation, entraîne stress et absentéisme, se transmet aux autres membres de l'équipe, et a surtout des impacts opérationnels directs : baisse de la qualité du travail et non-respect des directives managériales.Sur le plan collectif, on constate à la fois une hausse du -coûteux- turnover et un accroissement du risque opérationnel (non respect des délais, des procédures, baisse de qualité de la production, etc.), mais aussi une régression de l'identité collective, de la « culture Groupe », i.e. un manque d'adhésion aux valeurs et à la stratégie d'entreprise (véhiculées par le manager). Le « divorce » grandissant entre managers et collaborateurs affecte directement la performance et la culture des entreprises, même si le lien de causalité est difficilement mesurable. Lorsque l'on sait que la chute de l'ancienneté moyenne est à son paroxysme quand sont combinées période de croissance et fortes tensions sur le marché du travail, il apparaît clairement que l'identification et la rétention de « managers sachant manager » devient aujourd'hui plus que jamais un avantage concurrentiel.
Deux facteurs majeurs expliquent le fossé existant aujourd'hui entre managers et collaborateurs. Le premier tient à la montée de l'individualisme. Le second est lié au manque d'adaptation des modes de management aux transformations récentes des organisations.
Un premier élément d'explication tient probablement à la transformation profonde et brutale de la société depuis la fin des Trente Glorieuses. La manifestation majeure de cette transformation est la montée de l'individualisme, découlant de l'éclatement de la bulle familiale et avec elle du lien intergénérationnel, de la diminution de la place des valeurs religieuses, et de l'installation du consumérisme comme nouvelle idéologie dominante.
Ainsi, les citoyens témoignent de plus de mobilité dans leurs modes de vie, sont davantage informés, plus exigeants et davantage exercés à la négociation. Bref, le « client » remplace peu à peu le citoyen.Le monde du travail reflète ces bouleversements sociaux. En effet, le collaborateur est peu à peu devenu un « citoyen collaborateur », qui à l'instar de son comportement dans la société, se montre plus individualiste professionnellement. La baisse significative de la durée de vie moyenne dans l'entreprise en est un signe (en 10 ans, le taux de rotation de la main d'oeuvre tous secteurs confondus en France a augmenté de 27% [2]). Le « citoyen collaborateur » est moins attaché à son entreprise qu'auparavant, et recherche désormais son propre intérêt avant celui de l'entreprise qui l'emploie.
En termes d'attentes vis à vis du management, cela se traduit par une demande de plus de reconnaissance du travail accompli : considération des efforts consentis, des difficultés rencontrées et des résultats atteints d'une part ; valorisation financière et promotion d'autre part. Par ailleurs, le « citoyen collaborateur » veut davantage de repères. Cela passe notamment par la visibilité sur les résultats et la stratégie de l'entreprise. Enfin, il attend de son manager qu'il développe son employabilité dans une optique aussi bien de progression en interne que de reconversion externe. En bref, les collaborateurs souhaitent un management personnalisé, individualisé, adapté à leur propre cas.
Réciproquement, ce constat est valable pour les managers eux-mêmes qui gèrent leur carrière sur un mode de plus en plus individualiste. La pression des résultats de plus en plus forte, le poids et la fréquence croissante du reporting à fournir et le développement des normes et procédures à respecter incitent indirectement les managers à « sacrifier » quotidiennement le management de leurs collaborateurs au profit d'actions ayant un impact plus direct sur leur avancement de carrière, puisque la qualité du management fait très rarement partie des critères d'évaluation des managers.
Parallèlement à l'évolution des attentes des salariés et du comportement des managers, la tertiairisation et l'internationalisation de l'économie ont impulsé la transformation des organisations des entreprises sans que les modes de management s'adaptent à ces nouvelles formes d'organisation.
Les structures pyramidales sont peu à peu abandonnées au profit d'un découpage matriciel des organisations, et le travail en mode projet se développe. Le nombre de parties prenantes se multiplie aussi bien en interne (autres Directions et services internes...) qu'en externe (fournisseurs, sous-traitants, prestataires, clients, régulateurs, etc.).
D'une division verticale du travail avec des fonctions clairement délimitées et un seul référent hiérarchique par collaborateur, nous sommes passés à un maillage plus souple et plus complexe où les liens fonctionnels sont multiples. Les tendances de plus en plus marquées à l'aplatissement des organigrammes et à l'élargissement des polyvalences -notamment dû aux 35 heures- accroissent également le champ de métiers à superviser par un manager. Le temps où le manager gérait un métier dont il était expert est révolu.
Le modèle de management « traditionnel », caractérisé par une légitimité reposant surtout sur l'expertise technique et la position hiérarchique, reflète un pouvoir centralisé généralement exercé de façon autoritaire ou paternaliste et donc une relation dans laquelle le manager commande, impose et où les salariés exécutent : bref, une relation unilatérale.
Les organisations actuelles nécessitent un management de négociation, plus participatif. Les liens multiples entre les entités entraînent la montée de la coproduction suivant de nouveaux modèles (« bottom up » ou « pairs à pairs ») et une décentralisation des pouvoirs. Le manager n'est plus seul décisionnaire sur son entité. En contrepartie, son champ d'action s'étend au-delà de l'entité qu'il chapeaute. Ainsi, le manager d'aujourd'hui ne tire plus sa légitimité de son expertise technique mais plutôt de sa capacité à animer un réseau. Son rôle consiste surtout à « tenir une posture » dans un environnement complexe et extrêmement mouvant. En d'autres termes, le manager doit être « dans le micro-ajustement en permanence » afin de combler l'écart entre les processus formalisés et la réalité qui change plus vite qu'eux. Sa fonction consiste aujourd'hui à encadrer, coordonner, inspirer des collaborateurs et négocier avec eux dans l'objectif constant de relier enjeux collectifs (enjeux Business du Groupe et de son entité) et enjeux individuels des collaborateurs gérés (reconnaissance, évolution, etc.)
Les Fonctions RH ont un rôle central à jouer tant en ce qui concerne l'identification que la correction des problèmes de management. Elles sont responsables de la mise en oeuvre des dispositifs d'accompagnement : cartographie de la population managériale, parcours de formation adaptés aux besoins des managers, prise en compte de la qualité managériale dans le processus d'évaluation et de promotion des managers, rôle de « business partner », communication dédiée aux managers
Aujourd'hui dans les grandes entreprises, les top managers, Hauts Potentiels et futurs dirigeants (entre 500 et 1 500 personnes selon la taille des Groupes) font l'objet de véritables politiques RH menées dans un esprit d'anticipation : principes et outils de détection, de développement et de gestion des talents, plans de successions pour les postes clés, parcours managériaux propres à répondre aux enjeux particuliers de cette catégorie de managers, rémunérations et schémas d'optimisation fiscale individualisés...
En revanche, le middle management ne bénéficie pas d'une bonne visibilité de la part de la DRH Corporate. Les préconisations et solutions présentées dans cette partie de l'article concernent donc surtout cette fraction de managers puisque les mesures dédiées au management « stratégique » existent et sont globalement appliquées.
L'identification des carences managériales repose sur la cartographie des populations de managers. En premier lieu, il est donc nécessaire de définir les typologies de managers selon certains critères : appartenance à une population spécifique dans l'organisation (Hauts Potentiels, Postes Clés, etc..), niveau hiérarchique, nombre et type de collaborateurs gérés, caractère multiculturel ou non des équipes encadrées, distance géographique entre manager et membres de l'équipe, ancienneté du « passage manager »... En s'appuyant sur ces critères et sur les strates de l'organigramme, on peut distinguer les différents « steps » managériaux. Le nombre de steps varie en fonction de la taille des Groupes mais certaines catégories générales restent communes. La base de la pyramide est constituée des managers locaux, dits de proximité. Les managers opérationnels forment la catégorie suivante. Le haut de la pyramide se compose des « top managers ». Enfin, les hauts responsables (à la tête des différents Pôles) occupent le sommet de la pyramide.
Les actions de développement managérial doivent être entreprises en cohérence avec la trajectoire de carrière d'une part et avec les besoins du Groupe d'autre part. En outre, elles doivent être menées en gardant le souci de garantir une homogénéité Groupe. Dans cette optique, il est important de bien distinguer ces « steps » managériaux.
Les carences managériales peuvent être identifiées par les acteurs RH essentiellement via deux leviers : le processus d'évaluation et l'utilisation de reporting RH adéquat.
Le premier outil à utiliser est l'auto-évaluation : rapidement réalisable et exploitable, elle permet au manager de se rendre compte par lui-même de ses axes de progrès. Néanmoins, ce n'est pas suffisant pour détecter la globalité des carences managériales car la subjectivité des réponses limite la pertinence de la démarche.
Le dispositif le plus à même de mettre en relief les problèmes de management demeure sans conteste l'évaluation à 360°, à condition qu'il soit bien cadré par les acteurs RH et exploité uniquement par eux-mêmes ou par un Tiers de confiance. En effet, si le manager a accès aux évaluations renseignées par ses subordonnés, ceux-ci s'auto-censureront. Dans le cas inverse, ils risquent d'exacerber les carences managériales.Même sans évaluation à 360°, il apparaît a minima essentiel d'aborder systématiquement les « axes d'amélioration de la relation manager-managé » non seulement lors des évaluations entre manager et collaborateurs, mais encore lors des évaluations et entretiens ponctuels entre acteurs RH et collaborateurs. Cette démarche implique du courage et une conduite du changement adaptée aux populations managériales : sa mise en place est donc de la responsabilité de la DRH Corporate.
Enfin, la mise en place d'un reporting RH adapté permet d'alerter les acteurs RH des dérives pouvant découler de problèmes de management, grâce à des indicateurs pertinents pour chaque équipe : taux de turnover, d'absentéisme et d'arrêt maladie, comparaison volume d'heures de formation de l'équipe / volume moyen d'heures de formation de la Business Unit, suivi des demandes de formation et de congés refusées par un manager, etc.
Le premier levier à actionner est bien sûr la formation des managers. Manager nécessite des savoir-faire et des savoir-être qui sont trop souvent considérés comme « allant de soi ».
Pour que la formation au management soit efficiente, deux facteurs clés de succès sont à mettre en oeuvre. Tout d'abord, c'est à la DRH Corporate de concevoir des parcours de formation destinés aux managers, afin de garantir l'homogénéité des pratiques managériales dans l'entreprise, de favoriser la constitution d'une culture Groupe et d'assurer la cohérence avec la trajectoire de carrière.
Nous entendons par « parcours de formation » un ensemble d'actions de formation organisées dans le temps sous forme d'offre structurée, visant des objectifs pédagogiques à atteindre, et répondant à des enjeux préalablement définis. La déclinaison des parcours de formation au management par type de population managériale est essentielle, la réalité ne s'accommodant pas du « one size fits all » : les managers sont différents selon les critères et les « steps » managériaux évoqués plus haut (ils n'ont donc pas vocation à suivre le même parcours).
La DRH Corporate doit également piloter la distribution de ces parcours de formation -sans nécessairement la prendre en charge. Il est en effet de son ressort de suivre la diffusion des compétences managériales pour chacune des populations managériales. Dans ce domaine, elle est responsable d'impulser le développement de modes de distribution adaptés aux modes de vie et contraintes actuels des managers (forte mobilité, importance des temps de transport, faible disponibilité...) Citons par exemple les formations e-learning disponibles en libre service sur intranet, sur téléphones portables de type blackberry (suivi en transports en commun), ou sur CD (écoute dans la voiture).
Si elle est la pierre angulaire du dispositif d'amélioration du management, la formation ne suffit bien évidemment pas à inciter les managers à améliorer leurs compétences en management.
Pour ce faire, la définition des objectifs annuels des managers doit intégrer, parmi les savoir-faire et savoir-être évaluables, la qualité du management -sur la base d'objectifs clairs et mesurables. Si l'exercice n'est pas aisé, seule la mise en place d'un lien de dépendance entre qualité du management et primes / promotions permettra de convaincre les managers de l'intérêt d'améliorer leurs performances managériales.
Pour que ce dispositif soit efficace, les acteurs RH doivent assumer le rôle de « business partner » : devenir le point de référence des managers en cas de problème managérial en démontrant leur capacité à accompagner, à être support des opérationnels.
Enfin, la DRH doit animer la « communauté de managers » en mettant en oeuvre une communication spécifiquement dédiée. Il s'agit de diffuser les bonnes pratiques en mêlant communication en mode « pull » (i.e. les managers cherchent eux-mêmes l'information) et en mode « push » (i.e. l'information est « poussée » aux managers).
A titre de comparaison, les salariés américains se font souvent l'écho de managers à l'écoute, reconnaissant le travail des collaborateurs, incitant la prise de risques, valorisant les apports multiculturels et les différences de points de vue... La différence culturelle entre le modèle américain et le modèle français explique probablement en partie les meilleures relations managers / collaborateurs aux Etats-Unis : l'écart hiérarchique est traditionnellement marqué par une prise de distance relationnelle et verbale en France tandis que les relations entre managers et collaborateurs ont une tendance plus amicale et s'expriment dans le cadre extra-professionnel aux Etats-Unis. Cela dit, beaucoup de managers américains semblent avoir déjà revêtu la panoplie du manager moderne en conciliant objectifs individuels de chaque salarié et objectifs de l'entreprise, pourtant divergents par nature.Si les entreprises d'origine américaine -ou certaines entreprises européennes de secteurs spécifiques tels le conseil- constituent souvent un exemple en termes de qualité du management, c'est parce que cette dernière est ancrée à la fois dans les « réflexes », mais aussi dans les obligations, des populations de managers.
Il appartient désormais aux Fonctions RH de mettre en place la démarche et le dispositif d'accompagnement adéquats, afin de créer un avantage concurrentiel tout autant que d'améliorer l'image de la « marque employeur ».
[1] Etude internationale sur le thème « Les salariés évaluent leur manager » (fin 2007)
Enquête du site Monster portant sur les causes d'irritation au travail (octobre 2007)
[2] Source : Ministère du travail, des relations sociales, de la famille et de la solidarité