La reconversion, parent pauvre des politiques d…
Nous avons rencontré Hervé Gouyet, Président de Electriciens Sans Frontières. Lors de cette entrevue, il nous a présenté comment l'association est passée de quelques projets d'extension de réseaux électriques à une ONG gérant plus de 180 projets en parallèle en Asie, Afrique et Amérique Latine.
Hervé Gouyet : Je citerai en premier lieu le changement de positionnement dans notre approche des projets. Nous avons démarré nos missions humanitaires en réalisant principalement des extensions de réseau ou des mini réseaux alimentés par des groupes électrogènes, ce qui constituait alors, pour beaucoup, notre coeur de métier en France. Nous avons progressivement pris conscience que ce n'était pas toujours la solution la plus adaptée, du fait de l'éloignement du réseau, de difficultés de maintenance, de besoins parfois limités en énergie.
En parallèle sont apparues de nouvelles technologies, comme les panneaux solaires photovoltaïques, qui permettent de répondre aux besoins d'une population trop éloignée du réseau électrique. Nous avons dû adapter nos compétences, mais aussi notre approche des situations rencontrées sur le terrain. Il ne s'agit plus de reproduire le système français en plus petit, mais de se focaliser sur le besoin réel des populations et les ressources locales.
Hervé Gouyet : L'émergence et la fiabilisation des panneaux solaires nous ont permis d'intervenir sur des territoires isolés du réseau électrique. Dans les années 80, il y a eu un engouement pour le photovoltaïque, présenté comme un moyen de production gratuit et autonome. Cette fausse gratuité engendre un effet pervers qui oublie les coûts annexes, à savoir les frais de maintenance, de recyclage, de montée en compétences. Nous sommes dans un deuxième temps revenus à une démarche plus pragmatique concernant le photovoltaïque, en l'installant uniquement lorsqu'il répondait aux besoins, en prenant en compte le coût global sur le cycle de vie du produit et en s'appuyant fortement sur un partenaire local.
Hervé Gouyet : Il a évolué sur trois axes. Premièrement, nous assistons à une évolution de nos types de missions. De missions essentiellement tournées sur l'extension de réseau à nos débuts, nous nous sommes diversifiés sur des missions relatives à l'eau (pompage, barrage, assainissement, ...), des missions de formations, des missions relatives à la biomasse, au solaire, etc.
Deuxièmement, le volume de nos projets a explosé. A titre d'exemple, nous avions une quarantaine de projets en cours en 2003, nous en avons aujourd'hui près de 180 en cours de réalisation et une dizaine de nouveaux projets examinés chaque mois.
Enfin, la taille des projets a changé. Il existe toujours des petits projets, mais les gros projets sont plus nombreux et plus gros. Certains peuvent s'étaler sur plusieurs années, impliquant plusieurs associations de solidarités internationales. Ces projets sont compliqués à gérer du fait du nombre d'acteurs impliqués et des besoins en fonds propres pour les financer, mais souvent ce sont généralement des projets plus fiables et plus pérennes.
Hervé Gouyet : Nos missions ont toujours requis des professionnels du secteur car nos interventions sur le terrain sont techniques. Nos bénévoles doivent donc aujourd'hui maitriser les nouvelles technologies. Il s'agit d'un pré-requis qui doit désormais être complété par d'autres compétences, comme la gestion de projet, des qualités d'organisation, de coordination, la maîtrise de l'anglais, un sens développé du relationnel, de la pédagogie. Le profil de nos bénévoles est devenu au fil de temps multiforme et pointu.
Hervé Gouyet : En termes de ressources humaines, le défi n'est pas tant de trouver les compétences mais de disposer de suffisamment de temps de nos bénévoles. Au-delà de l'intervention sur le terrain, un bénévole doit être disponible pour préparer sa mission en amont, temps que les employeurs ne sont pas toujours enclins à libérer. Heureusement, nous oeuvrons sur un thème porteur, il existe des mécanismes de mécénat de compétences nous offrant du temps de salariés, mais ce n'est malheureusement pas, actuellement, suffisant.
Hervé Gouyet : Le défi est de répondre à nos besoins croissants en fonds propres. Ces derniers nous sont indispensables au suivi de nos interventions sur le terrain, au financement de nos coûts de fonctionnement et au financement de nos projets de long terme. Ils nous permettent de garantir la qualité de notre travail. Du fait du nombre croissant de projets que nous gérons, nos besoins en fonds propres augmentent eux aussi, dans un contexte où nos partenaires sont de plus en plus exigeants sur la justification de nos dépenses et les associations de solidarité internationale de plus en plus nombreuses à avoir des besoins pour leurs infrastructures énergétiques.
Nous devons donc trouver de nouvelles sources de financement : nouveaux partenaires, appel aux particuliers. Pour toucher les particuliers, nous avons mis en place fin 2008 le Codésol. Il s'agit d'un Livret de Développement Durable (LDD) dont les intérêts sont versés à Electriciens sans frontières donnant lieu à une réduction d'impôts. Nous avons malheureusement lancé ce produit financier au début de la crise...
En parallèle, nous devons optimiser l'allocation de nos ressources financières et humaines. Pour ce faire, nous favorisons la proximité géographique des projets afin de pouvoir réaliser des synergies entre eux. Nous voulons augmenter la densité spatiale de nos missions favorisant la capitalisation des ressources et des compétences.
Hervé Gouyet : Nous sommes convaincus qu'une plus grande coopération avec d'autres associations françaises nous permettrait d'unir nos fonds et nos ressources humaines. L'objectif est double : il s'agit premièrement de se coordonner en France avec les autres associations intervenant sur l'accès à l'énergie, on pense notamment à la Fondem et le GRET.
Il y a aussi l'idée de créer une fédération européenne des associations européennes oeuvrant pour la mise à disposition d'énergie aux populations défavorisées. Il s'agirait d'une coordination européenne facilitant l'adéquation d'un profil à la mission, la mutualisation des moyens, la complémentarité en fonction des connaissances des pays dans lesquels nous intervenons. Par exemple, pour une mission au Kenya où l'anglais est indispensable, une personne anglo-saxonne sera plus appropriée.
Concernant les nouvelles technologies, nous regardons de près les évolutions sur la pico hydraulique et le pico éolien. Nous nous intéressons aussi à la méthanisation des déchets qui représente également une source de production d'énergie, mais avec des exigences en termes de compétences et de maintenance assez spécifique.
Hervé Gouyet : Lorsque nous recherchons la solution la plus adaptée à une population dépourvue de toute source d'énergie, nous cherchons tout d'abord la solution la plus efficace : celle que l'on sait mettre en place, celle qu'ils sauront maintenir, avec un budget limité, en prenant en compte les conditions de vie locales. Notre première urgence est de répondre durablement à des besoins et non d'imposer à tout prix des contraintes environnementales que nous ne sommes pas toujours capables de respecter au Nord. Nous sommes par construction dans une démarche de développement durable dont la dimension environnementale, rappelons le, est l'un des trois piliers mais seulement un des trois.
Hervé Gouyet, quarante six ans, ancien élève de l'Ecole Nationale Supérieure des Arts et Métiers, entré en 1988 à la Direction des Etudes et Recherches d'EDF comme ingénieur chercheur.
Elu Président d'Electriciens Sans Frontières Etudes et Recherches en 1995 et membre fondateur de la fédération Electriciens Sans Frontières en 2001.
Depuis 2001, chargé de missions à la Délégation aux régulations d'EDF.
En juin 2004, il est élu Président de la fédération Electriciens Sans Frontières.
Fondée en 1986 par des salariés de la Direction des Etudes et Recherches d'EDF, Electriciens Sans Frontières est une association de solidarité internationale à but non lucratif visant à favoriser l'accès à l'énergie et à l'eau des populations des pays les plus pauvres afin d'améliorer leurs conditions de vie. Electriciens Sans Frontières mobilise les compétences de ses adhérents au service des projets de solidarité internationale en utilisant l'accès à l'énergie et à l'eau comme levier de développement.
L'association fédère quinze associations régionales qui identifient les projets potentiels. Les projets sont ensuite menés en collaboration avec le réseau de partenaires d'Electriciens Sans Frontières, en appui d'autres organisations (ONG du nord et du sud). Electriciens Sans Frontières intervient en Asie, en Afrique et en Amérique Latine, soit en position de maitre d'oeuvre en s'associant à d'autres acteurs, soit en appui sur des projets conduits par d'autres ONG.
Electriciens Sans Frontières rassemble plus de 800 bénévoles, principalement des professionnels des métiers de l'énergie.
A l'heure actuelle, Electriciens Sans Frontières mène plus de 180 projets au travers du monde.
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