La reconversion, parent pauvre des politiques d…
Face à des objectifs ambitieux en matière d’autonomie énergétique et aux contraintes des réseaux et territoires insulaires, la valorisation de la biomasse est une solution potentielle pour participer à l’autonomie énergétique des Outre-mer.
50% d’énergies renouvelables dans le mix énergétique des départements d’Outre-mer à l’horizon 2020 : tel est l’objectif fixé par la loi de Transition Energétique pour la Croissance Verte afin de parvenir à l’autonomie énergétique de ces territoires à l’horizon 2030.
Parmi ces collectivités, les iles de la Martinique, de la Guadeloupe et de la Réunion constituent des zones insulaires non interconnectées (ZNI) au réseau métropolitain continental, disposant de systèmes électriques isolés et fragiles. Malgré ces contraintes, les iles ultramarines disposent de forts potentiels en matière d’énergies renouvelables. Parmi ces énergies vertes, la biomasse désigne l’ensemble des matières organiques, d’origine ligneuse (bois, paille...) ou fermentescible (lisiers, déchets…), exploitables à des fins énergétiques. Sous forme solide (bois et déchets), liquide (bio-carburants) ou gazeuse (bio-gaz), les bio-énergies sont exploitées dans les Outre-mer pour produire de la chaleur et de l’électricité, autoconsommée et/ou injectée sur le réseau.
Face à des objectifs ambitieux en matière d’autonomie énergétique et aux contraintes particulières des réseaux et territoires insulaires, la valorisation de la biomasse-énergie est une solution potentielle pour participer à l’autonomie énergétique des Outre-mer, à condition de garantir la durabilité de son usage, et de structurer les acteurs autour des filières biomasse-énergie.
A la différence du mix électrique national reposant principalement sur l’énergie nucléaire, les Outre-mer présentent des mix électriques très carbonés. Ne disposant pas de ressources fossiles locales, ces territoires sont largement dépendants des importations d’énergies fossiles.
A la différence du mix électrique national reposant principalement sur l’énergie nucléaire, les Outre-mer présentent des mix électriques très carbonés. Ne disposant pas de ressources fossiles locales, ces territoires sont largement dépendants des importations d’énergies fossiles.
La biomasse est une source d’énergie neutre en carbone et renouvelable, sous réserve d’une exploitation durable. L’autonomie énergétique durable est un enjeu vital pour ces territoires insulaires particulièrement exposés aux risques induits par le changement climatique. Renforcer le recours à la biomasse locale pour la production d’électricité s’avèrerait donc pertinent pour participer à la décarbonation des mix énergétiques des Outre-mer, en substituant les importations d’énergies fossiles par des sources locales de biomasse, telle que la bagasse (résidu fibreux de la canne à sucre) et les déchets.
Les systèmes électriques des territoires insulaires se caractérisent par leur petite taille et l’absence d’interconnexion. Ces contraintes rendent les réseaux particulièrement sensibles aux variations de production et de consommation, et un pilotage plus complexe pour assurer en permanence l’équilibre offre-demande d’électricité. Cette problématique limite l’intégration des énergies renouvelables intermittentes, telles que l’éolien et le photovoltaïque, susceptibles de fragiliser les réseaux en raison de leur profil de production fluctuant, pouvant connaitre des variations brutales et de forte amplitude. C’est pourquoi un seuil maximal de pénétration des ENR intermittentes de 30% est instauré en Outre-mer afin de garantir la sureté des réseaux électriques. Les ressources biomasse-énergie échappent à cette limitation, elles présentent la spécificité d’être à la fois renouvelables et stables, avec une production peu fluctuante et facilement prévisible. De par sa pertinence pour la production d’énergie de base, la biomasse répond au double enjeu d’autonomie énergétique durable tout en assurant la sûreté des réseaux insulaires.
Par ailleurs, la croissance de la demande d’énergie dans les Outre-mer est nettement supérieure à celle de la France hexagonale, due d’une part au dynamisme démographique, notamment à la Réunion, et d’autre part au rattrapage progressif du retard en équipements et en infrastructures par rapport à l’hexagone.[i] Cette hausse de la demande énergétique nécessite ainsi la mise en exploitation de nouveaux moyens de production, pour pallier aux délestages fréquents.
Non seulement la biomasse pourrait répondre aux besoins énergétiques des populations locales, mais elle peut également être un facteur de redynamisation des économies fragilisées des Outre-mer, en quête de nouveaux débouchés. La valorisation de la biomasse présente une opportunité de redynamisation d’activités traditionnelles comme la filière canne-sucre-rhum, de développement de nouvelles activités fondées sur la croissance verte et de création d’emplois non-délocalisables, sur des iles dont le taux de chômage oscille entre 19,3% pour la Martinique et 26,8% à la Réunion[ii]. Les ressources biomasse, notamment les déchets et le biogaz, affichent des couts d’achat moyens environ trois fois moins élevés que les ressources thermiques en Martinique[iii], ces économies pourraient ainsi être réinvesties dans l’économie locale.
Historiquement, la bagasse, résidu fibreux de la canne à sucre, a été utilisée par les distilleries et les sucreries pour produire la vapeur nécessaire au cycle de production industrielle. Dans les années 1980-90, la croissance démographique créée d’importants besoins électriques, nécessitant la mise en place urgente de nouveaux moyens de production. L’installation de centrales à combustion hybride charbon-bagasse dès 1992 à la Réunion et dès 1998 en Guadeloupe présenta le double avantage économique de s’appuyer sur les prix bas du charbon et de rapporter de l’argent à l’industrie sucrière locale afin de renforcer sa compétitivité.
Au-delà de la bagasse, les déchets et le biogaz sont également exploités pour la production d’électricité injectée sur le réseau depuis les années 2000. La biomasse est la deuxième énergie renouvelable la plus exploitée à la Réunion et la Martinique pour la production d’électricité[iv]. En Guadeloupe et à la Réunion, la majorité du potentiel mobilisable de bagasse est déjà exploitée, la bagasse a ainsi perdu près de 12 points dans le mix électrique renouvelable de la Guadeloupe de 2010 à 2016.
Néanmoins, la diversité du potentiel des ressources mobilisables dans les Outre-mer n’est pas encore totalement exploitée. L’étude des ressources mobilisables et le développement de nouveaux projets confirment la pertinence et la faisabilité des démarches de valorisation des bio-énergies.
Les atouts et le potentiel de mobilisation de la biomasse ont été intégrés par les décideurs locaux, notamment à travers les projets locaux de programmations pluriannuelles de l’énergie (PPE) pour dessiner les trajectoires futures de développement des différentes énergies. La production d’électricité à partir de biogaz issu de la méthanisation des déchets connait un fort développement : à la Réunion, la production électrique à partir du biogaz de décharge a augmenté de 29,8% en 2015 par rapport à 2014. Le projet d’unité de valorisation énergétique des déchets à la Réunion est l’unique lauréat ultramarin du fonds Déchets mis en place par le gouvernement en 2016. Les acteurs privés et de recherche portent également de nouveaux projets pour concrétiser la mobilisation des différentes bio-énergies et leur intégration sur les réseaux insulaires, mais doivent se confronter aux contraintes des espaces insulaires et aux oppositions exprimées par les populations locales.
La bagasse est la ressource biomasse la plus utilisée à la Réunion et en Guadeloupe. Néanmoins, cette ressource est utilisée en complément du charbon dans les trois centrales exploitées sur les deux iles. Le couplage entre une ressource locale et propre comme la bagasse et un combustible fossile importé tel que le charbon met à mal la pertinence de l’utilisation des ressources biomasse. Par ailleurs, la bagasse est exploitée dans des quantités marginales par rapport au charbon, les tranches bagasse étant rapidement épuisées par les besoins en autoconsommation des sucreries. La production électrique injectée sur le réseau provient donc largement des tranches charbon, principal responsable des mix électriques très carbonés des Outre-mer. Avec la montée en puissance des considérations de développement durable, ce modèle de combustion hybride est devenu obsolète et fait face à l’opposition frontale des populations locales. C’est ainsi que la population martiniquaise et ses élus locaux se sont opposés à l’implantation d’une centrale charbon-bagasse à proximité de la sucrerie du Galion, ayant contraint à l’abandon du projet et la proposition d’un nouveau modèle de centrale.
Le développement des ressources biomasse à vocation énergétique est également limité par les contraintes intrinsèques des territoires insulaires. Le foncier est extrêmement restreint dans les iles des Outre-mer et priorité est donnée à la valorisation alimentaire des terrains agricoles, rendant plus complexe la création de filière biomasse à vocation purement énergétique. Le modèle économique de valorisation énergétique des déchets agro-alimentaires est le plus performant au Brésil, qui bénéficie d’économies d’échelle grâce à la très grande taille de ses exploitations. Sur les iles, l’insuffisance des quantités de biomasse locales rend nécessaire les importations. Le recours aux importations relativise la durabilité et la neutralité carbone de la biomasse en raison des rejets carboniques issus de l’extraction, du transport et de la combustion. Par ailleurs, le procédé d’incinération des déchets est générateur de substances toxiques pouvant s’échapper dans l’atmosphère, les derniers projets réunionnais d’incinérateurs n’ont pu voir le jour face à l’opposition des populations et des défenseurs de l’environnement.
Si les projets de valorisation énergétique des déchets se sont développés en Outre-mer ces dernières années, la filière n’est actuellement pas suffisamment structurée pour permettre une valorisation optimale de ces ressources. Malgré l’importance du potentiel déchets mobilisable, la majorité des décharges et déchèteries des iles des Outre-mer arrivent à saturation, nécessitant d’urgence la création de nouvelles déchèteries communales pouvant pallier aux lacunes existantes en matière de collecte, de tri et de sélection des déchets ménagers et industriels. Cependant, leur cout élevé représente un frein majeur pour les collectivités.
Concernant la filière-bagasse énergie, les divergences d’intérêts stratégiques entre acteurs constituent le frein principal au développement des projets. L’illustration en est donnée par la concurrence entre deux projets de valorisation de la biomasse sur l’ile de Marie-Galante, soutenus pour l’un par le Conseil Régional de Guadeloupe, et pour l’autre par la communauté des communes de Marie-Galante. Ces deux projets sont le reflet de visions différentes des perspectives politiques, énergétiques et socio-économiques d’un même territoire.
Considérant l’objectif d’autonomie énergétique des Outre-mer, les modèles de centrales à combustion hybride bagasse-charbon sont amenés à disparaitre : le combustible charbon sera progressivement remplacé par de la biomasse dans les centrales guadeloupéennes et réunionnaises. Face à l’opposition des populations et élus locaux, les nouveaux projets de centrale bagasse-charbon en Martinique et à Marie-Galante ont été abandonnés au profit de centrales 100% biomasse. Ce nouveau modèle participera efficacement à la décarbonation des mix électriques des Outre-mer.
La maximisation de la biomasse locale est une priorité et représente l’usage le plus durable des bio-énergies. Concernant la filière déchets-énergie, le développement des capacités de collecte et de tri des déchets demeure un préalable nécessaire à leur valorisation énergétique. Des incitations financières pourraient permettre aux collectivités d’entreprendre ces projets, sans lesquels la majorité du potentiel mobilisable ne pourra être exploitée. Malgré le foncier limité des territoires insulaires, la diversité des possibilités d’exploitation sans conflit d’usage doit être recherchée, comme en témoignent les expérimentations biomasse-énergie menées sur des sols en jachère ou des terrains pollués.
En matière d’importation de biomasse, il s’avère essentiel d’encadrer sa pratique par des garanties strictes et certifiées d’exploitation durable, avec un rythme de prélèvement inférieur au rythme de croissance des arbres pour les ressources ligneuses. Afin de minimiser les couts économiques et environnementaux du transport et créer de nouveaux partenariats, les collaborations régionales seront à valoriser[viii], notamment avec le Brésil (modèle de valorisation des déchets agro-industriels) et les Guyanes, dont les filières biomasse sont en structuration.
La biomasse a donc un rôle à jouer pour la croissance verte des iles des Outre-mer, à condition de sécuriser les risques liés à la gestion durable des ressources, en privilégiant la biomasse locale et les importations durables, et de structurer les différents maillons manquants des filières bio-énergies.
[i] CESE, 2011 – Rapport « Les énergies renouvelables Outre-mer : laboratoire pour notre avenir »
[ii] INSEE, 2014 - Statistiques taux de chômage dans les DOM
[iii] OMEGA, 2016 – Bilan énergétique la Martinique – chiffres détaillés 2015
[iv] EDF, 2017 – Bilan électrique Systèmes électriques insulaires 2016
[v] CGAAER, 2015 – Rapport « Valorisation de la biomasse en Guadeloupe »
[vi] DEAL Réunion, 2012 – Etude sur la caractérisation des filières de la croissance verte à la Réunion
[vii] CR Martinique, 2015 – Programmation pluriannuelle de l’énergie de la Martinique 2015/2018 – 2019/2023
[viii] Entretien avec Marwane BEJGANE, 2017 – Fondateur d’Indigo group, holding dans le secteur de l’énergie dans la Caraïbe et l’Amazonie
Assemblée Nationale, 2015 - LOI n° 2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte