La reconversion, parent pauvre des politiques d…
Avec près de 36 % du budget européen en 2019, soit 58,4 milliards d’euros[1], la Politique Agricole Commune (PAC) constitue un programme historique de vaste ampleur. A son entrée en vigueur, en 1962, son objectif était d’assurer l’autosuffisance de l’Europe à la sortie de la deuxième Guerre Mondiale
Cette ambition largement dépassée, avec une production agricole fortement stimulée, a eu des conséquences sur l’environnement. L’utilisation de nitrates et pesticides a, de même, eu des impacts notables sur la qualité de l’air, de l’eau, des sols mais aussi sur la biodiversité. L’activité agricole est également à l’origine de 19 % des émissions de gaz à effet de serre nationales. Toutefois, celle-ci a la particularité d’être un puit de carbone à travers son stockage dans les sols et dans la biomasse. Enfin, les interactions et relations étroites entre agriculture et environnement ne peuvent se lire sans comprendre la dépendance des agriculteurs aux conditions et changements climatiques. Malgré les réformes successives de la PAC, celle-ci a fait l’objet de nombreuses critiques concernant son bilan environnemental. La future PAC, toujours en débat à l’heure actuelle, vise à renforcer certaines mesures dites « vertes » et à proposer de nouvelles pistes.
Depuis sa création, la PAC évolue en prenant en compte les nouvelles préoccupations et attentes des Etats Membres de l’Union Européenne. Après l’émergence des mesures agro-environnementales, c’est le tournant de 1999, avec la création du deuxième pilier dédié au développement rural, qui montre l’importance donnée à la protection de l’environnement. Toutefois, un certain déséquilibre existe entre les deux piliers de la PAC. Avec 76 % de l’enveloppe budgétaire européenne[2], le premier pilier détient la part du lion. De plus, le deuxième pilier est, contrairement au premier, co-financé par les Etats Membres. Cette particularité conditionne donc le versement des aides aux volontés de chaque Etat. En ce qui concerne la future PAC, la Commission européenne fait valoir que le premier pilier gardera sa primauté. Des baisses de budget sont prévues impactant notamment le deuxième pilier ce qui inquiète les Etats Membres.
« Plus verte », tel était l’un des objectifs définis pour la PAC actuelle. Principalement trois mesures environnementales se sont orientées dans cette optique. En 2020, quels sont leurs bilans ?
Tout d’abord, du fait de la conditionnalité des aides, les agriculteurs doivent respecter les Exigences Réglementaires en Matière de Gestion (ERMG) et les Bonnes Conditions Agricoles et Environnementales (BCAE). Le manquement à une de ces conditions entraine des réductions sur les paiements directs. La plupart des agriculteurs considèrent ces exigences trop complexes et nombreuses. Cette mesure implique également des contrôles sur les exploitations pour en vérifier l’efficacité. Or, seules 5 % des exploitations en font l’objet et les sanctions sont considérées comme étant relativement faibles[3].
Le verdissement (ou paiements verts) est une des mesures phares de la PAC actuelle. Il concerne 30 % de l’ensemble des paiements directs de la politique. Celui-ci est accordé aux agriculteurs métropolitains bénéficiant du régime de paiement de base et respectant trois critères environnementaux (diversification des cultures, maintien des prairies permanentes[4], présence de surfaces d’intérêt écologique). Les finalités sont l’amélioration de la qualité des sols, la séquestration du carbone et la préservation de la biodiversité. Néanmoins, la Cour des comptes européenne qualifie cette mesure d’« inefficace ». Selon le Sénat, la grande majorité des agriculteurs français étaient déjà éligibles aux paiements verts sans devoir réaliser d’efforts supplémentaires, il s’agit donc là plus d’un effet d’aubaine que d’une mesure incitative.
Enfin, les Mesures Agro-Environnementales et Climatiques (MAEC), composante du deuxième pilier, rémunèrent l’agriculteur qui s’engage volontairement sur plusieurs années dans la mise en œuvre de pratiques ou systèmes de production favorables à l’environnement (en dépassant les obligations réglementaires). D’après une étude du Ministère de l’agriculture et de l’alimentation parue en 2017, l’insuffisance des montants attribués aux agriculteurs réduit le caractère incitatif de cette mesure[5]. De plus, elle repose sur une obligation de moyen et non de résultat ce qui en réduit sa portée.
Les retards annoncés sur la nouvelle réforme de la PAC reportent son entrée en vigueur à 2022. Les négociations concernant les mesures sont toujours en cours. Trois objectifs sur neuf de la future PAC doivent être dédiés à la protection de l’environnement : agir contre le changement climatique, protéger les ressources naturelles dans un objectif de développement durable et préserver les paysages et la biodiversité. Leur déclinaison est prévue au niveau de chaque Etat Membre à travers l’établissement de « plans stratégiques nationaux ».
La Commission européenne prévoit de consacrer 40 % de l’enveloppe budgétaire européenne de la PAC aux objectifs climatiques et environnementaux. Les Etats Membres seraient libres de répartir le budget entre le premier et deuxième pilier. Plus précisément, outre le maintien des MAEC, la Commission envisage de renforcer la conditionnalité à travers notamment la reprise de certains éléments du verdissement. D’autre part, la mise en place d’eco-scheme (ou programmes pour le climat et l’environnement) est prévue dans le premier pilier. Celui-ci serait obligatoire pour les Etats Membres mais facultatif pour les agriculteurs. Les Etats Membres pourraient ainsi établir un ou plusieurs programmes en choisissant leur contenu et le budget alloué. Les objectifs de ces programmes concerneront des mesures comme le stockage de carbone. Le budget non imposé à l’eco-scheme amène à s’interroger sur les moyens qui y seront véritablement dédiés. L’aspect plus ou moins contraignant et facultatif des mesures peut également avoir un impact sur le succès des programmes.
Par ailleurs, du fait des paiements directs basés sur le nombre d’hectares, la PAC est considérée par de nombreux organismes de défense de l’environnement comme étant à l’origine d’un modèle « agro-industriel intensif ». Bien que la future PAC prévoie le maintien des paiements de base en fonction de la taille des exploitations, la Commission européenne ambitionne d’augmenter le soutien par hectare pour les petites et moyennes exploitations et de plafonner les paiements par exploitation.
D’après un rapport du Sénat sur l’avenir de la PAC[6], aucune étude globale ne permet de quantifier ses effets positifs sur l'environnement. Des disparités existent entre les Etats Membres puisque le respect de certaines mesures reste corrélé à leurs volontés et priorités. En outre, au-delà des questions environnementales et climatiques, cette politique ne peut soutenir des pratiques plus vertes et durables sans prendre en compte la situation financière des exploitants. C’est pourquoi la Cour des comptes européenne insiste sur la nécessité d’une sécurisation des revenus pour les agriculteurs pour accompagner ses changements. Cet aspect est un des sujets importants des négociations actuelles de la future réforme, toujours en discussion.
Un article écrit par Cristina Beatriz
[1] Parlement européen
[2] Commission européenne
[4] D'après le Ministère de l'Agriculture et de l'Alimentation, les prairies permanentes sont des surfaces de production d’herbe ou d’autres plantes fourragères herbacées (ou non herbacées lorsque cela correspond à des pratiques locales établies), qui ne font pas partie du système de rotation depuis 5 années révolues ou plus
[5] Etude : Mesures agro-environnementales et paiements pour services environnementaux : regards croisés sur deux instruments (2017)
[6] Proposition de résolution au nom de la commission des affaires européennes