La reconversion, parent pauvre des politiques d…
Le processus de transition vers les nouveaux index monétaires est vu comme l’un des défis les plus importants de ces dernières années pour le monde bancaire et financier.
Le premier appel de la FCA (principal régulateur britannique) – condamnant le LIBOR – remonte à deux ans, et c’est également la période restante avant la fin annoncée du LIBOR et de l’EONIA. Si la moitié du temps s’est écoulé, le chemin restant à parcourir semble bien plus important.
En Europe, plusieurs marqueurs importants ont été franchis : le 2 octobre 2019 avec la publication officielle de l’€STR et la modification de la méthodologie de calcul de l’EONIA (et la publication en J+1) et, courant 2019, le changement de méthodologie de calcul de l’EURIBOR. Pour les indices euro, l’EURIBOR est pressenti pour perdurer après 2021, même si aucune garantie n’a été apportée à ce stade. La partie la plus importante des travaux se situe donc dans le domaine des taux au jour le jour : la transition de l’EONIA vers l’€STR.
Malgré la publication du nouveau taux sans risque par la BCE depuis le 2 octobre, l’utilisation de l’€STR dans les contrats reste marginale. Si l’émission de la BEI – un FRN avec une maturité 3 ans et un coupon €STR + 200 bps – a marqué l’inauguration d’un nouveau marché à la recherche de liquidités, les transactions se font petit à petit et le démarrage assez lentement. Les banques avaient déjà fort à faire avec le passage à J+1 concernant la nouvelle publication de l’EONIA recalibré et vont commencer à augmenter leur volume de transaction en €STR.
Les produits dérivés ont également réalisé un démarrage en douceur. Les infrastructures de marché vont petit à petit permettre de traiter des swaps en €STR avant d’assurer une transition complète vers l’€STR (courbes d’actualisation, rémunération du collatéral, et à terme, courbes de projection). Les services de compensations pour l’€STR, indispensables au développement d’une liquidité sur le marché des dérivés, sont en train d’être mis en place par les principales chambres de compensation européennes (21 Octobre 2019 pour LCH et 18 Novembre 2019 pour Eurex).
L’autre possible levier d’accélérateur des chambres de compensation est l’utilisation de l’€STR comme taux d’actualisation (« discounting ») et de compensation du collatéral. Aujourd’hui, le taux utilisé pour l’ensemble des produits euros est l’EONIA et le changement vers l’€STR est un prérequis indispensable pour garantir une transition fluide.
Le groupe de travail de la BCE sur les taux sans risques, responsable du pilotage de la transition EONIA-€STR, a spécifiquement recommandé l’utilisation d’une seule courbe €STR « flat » pour les produits compensés en chambre de compensation. Cette méthode de transition dite « big-bang » s’oppose à une transition « paced » où la nouvelle courbe serait introduite tout en gardant l’ancienne pour les contrats existants. La chambre de compensation LCH a annoncé qu’elle respecterait les conclusions du groupe de travail de la BCE et changerait le taux d’actualisation et la rémunération du collatéral sur l’ensemble des dérivés en euros le 22 Juin 2020. Les 91 milliards d’euros de notionnel de swap en euro compensés chez LCH ne seront plus discountés en EONIA mais en €STR.
Eurex a aussi annoncé récemment des plans similaires, l’utilisation de l’€STR comme taux d’actualisation des flux de trésorerie futurs et comme taux de rémunération du collatéral pour le deuxième trimestre 2020 ; les deux dates devraient coïncider.
Il est également important de noter que la transition devra survenir sur tous les dérivés non compensés. Ces changements devraient se faire dans la lignée de celle des chambres de compensation mais l’approche big bang reste à confirmer compte tenu de la capacité opérationnelle des banques à assurer un « rebooking » massif de toutes leurs opérations en EONIA ayant une maturité post 2021.
Dans l’immédiat et selon les recommandations des différents groupes de travail, les banques peuvent commencer à réfléchir à insérer des clauses de fallbacks dans leurs contrats bilatéraux faisant référence à la disparition de l’EONIA le 3 janvier 2022, et prévoyant ainsi son remplacement par l’€STR modifié. D’ailleurs, le protocole ISDA mentionne également cette date pour assurer une véritable solution de repli juridique dès la disparition de l’EONIA, même si les banques adhérant au protocole n’attendront pas forcément cette date pour assurer une transition complète vers l’€STR. En tout état de cause, la place attendra les retours d’expérience de la bascule au niveau des chambres de compensation et des effets de la transition big bang.
Parmi les chantiers les plus complexes à aborder pour les chambres de compensation, les swaptions font bonne figure. Ces options pouvant être « physically settled » ou « cash settled » sont problématiques. Une swaption « physically settled » donne lieu généralement au « booking » d’un swap vanille. La valorisation de ces swaps est intrinsèquement liée au taux d’actualisation utilisé, le changement de taux (EONIA vers €STR pour l’EURO ou Fed Funds vers SOFR pour le dollar) pourrait entrainer un transfert de valeur indésirable. Le taux utilisé pour la valorisation lors du « settlement » de la swaption ne serait pas le même que celui utilisé lors du « booking » de l’opération. Les chambres de compensations cherchent encore à mettre en place un mécanisme permettant d’éviter un transfert de valeur pour les porteurs de swaptions.
D’un point de vue plus global, la bascule n’affecte pas les taux de référence des swaps mais modifie la valeur du produit dérivé. Dès lors, la chambre de compensation doit mettre en place un mécanisme neutralisant le transfert de valeur entre les contreparties. Sur l’ensemble des produits dérivés en euro compensés chez LCH, un transfert de cash unique viendra équilibrer l’échange lors de la bascule entre l’EONIA et le nouveau taux sans risque. On parle souvent de soulte d’ajustement entre les parties pour limiter les effets de la transition. Le principal atout de cette méthodologie de transition réside dans son instantanéité : l’utilisation de l’€STR créé une exposition et donc un besoin de couverture qui aura de facto un impact positif sur la liquidité du marché dérivé en €STR.
La simplicité de la méthode de compensation est aussi propre au taux euro : la recalibration de l’EONIA en €STR + Spread de 8,5 bps fixe la distance entre l’ancien et le nouveau taux au jour, ce qui élimine tout risque de base et donne lieu à la possibilité d’une compensation unique.
La situation n’est pas aussi simple pour les autres taux sans risques – en particulier pour les dérivés en dollar : éclairages à venir dans la seconde partie de la publication…