La reconversion, parent pauvre des politiques d…
La technologie Li-Fi consiste à utiliser les ondes lumineuses pour transférer des données entre un émetteur et un récepteur. Cette solution pourrait bien influencer la manière dont nous interagissons avec la toile au cours des années à venir.
Dans un monde où l’internet des objets se façonne et bouleverse notre manière d’interagir en réseau, il n’est pas étonnant de voir la quantité d’objets connectés se décupler. A l’horizon 2020, l’on devrait en compter en circulation pas moins de 28 milliards. Ce chiffre vertigineux soulève néanmoins des questions cruciales : celles de la sécurité des données, de la saturation du spectre électromagnétique, et de la demande en échange de data toujours croissante. La technologie Li-Fi, fondée sur les travaux d’Alexander Graham Bell, a été récemment remise au goût du jour dans les laboratoires d’étude du Pr Suat Topsu au sein de l’université Versailles Saint-Quentin en Yvelines. Le principe consiste à utiliser les ondes lumineuses pour transférer des données entre un émetteur et un récepteur. Cette solution pourrait bien influencer la manière dont nous interagissons avec la toile au cours des années à venir et offrir des perspectives économiques nouvelles.
Dans quelle mesure cette technologie innovante peut-elle être une réponse aux défis que nous connaissons et quels sont les cadres de développement envisageables ?
Pour bien réaliser l’ampleur de l’impact que pourrait avoir dans les années futures cette technologie, il est utile d’appréhender les limites des systèmes que nous utilisons actuellement. Le Li-Fi constitue à ce jour une alternative potentielle au Wi-Fi (connexion courte portée). Depuis les années 2000, le Wi-Fi (pour Wireless Fidelity) s’est imposé comme un incontournable auprès des particuliers et des professionnels avec plus de 300 millions de bornes réparties sur le globe[i]. Ce protocole de connexion sans fil utilise les ondes radioélectriques du spectre électromagnétique notamment les bandes 2,5GHz et 5GHz[ii].
Malgré un succès indéniable, cette méthode de connexion présente des faiblesses. La première est un problème physique d’allocation des ressources disponibles au sein du spectre électromagnétique. Il se trouve que le spectre électromagnétique qui regroupe l’ensemble des fréquences, est une ressource limitée que nous partageons tous. En conséquence, l’allocation des bandes de fréquences du spectre radioélectrique est un processus extrêmement réglementé à la fois à l’échelle nationale et internationale, pour faire face aux risques de brouillage et préserver ainsi la qualité des communications et le fonctionnement des appareils électromagnétiques. En outre, les bandes de fréquences sont de plus en plus rares et, de fait, onéreuses. Une autre problématique inhérente à cette technologie est celle de la sécurisation des données. Les ondes électromagnétiques utilisées traversent les barrières physiques usuelles et peuvent donc être utilisées indument par des personnes malintentionnées pour accéder aux données confidentielles. Enfin, les controverses sur l’effet des ondes électromagnétiques sur la santé sont légions. Si aucune étude n’a prouvé à ce jour le caractère nocif des ondes Wi-Fi, elles sont répertoriées dans la liste des éléments possiblement cancérigènes pour la santé par l’OMS[iii].
Le Li-Fi (pour Light Fidelity) est une technologie qui utilise la lumière comme médium de transfert de données. En termes plus techniques, cela correspond aux ondes électromagnétiques formant la partie visible du spectre soit des fréquences comprises entre 400THz et 770THz. Cette innovation, dont le principe fut mis en place par Alexandre Graham-Bell et son photophone en 1880, permettrait d’apporter des solutions aux enjeux cités précédemment.
Le principe de fonctionnement du Li-Fi est simple. Physiquement, il utilise trois blocs en première approche : un émetteur utilisant une ou plusieurs diodes électroluminescentes (DEL), le canal de propagation, un récepteur avec un capteur photosensible (schéma). La technologie DEL est privilégiée pour sa caractéristique essentielle qui consiste à pourvoir moduler son intensité et la faire varier sur des intervalles de temps très courts (jusqu’à 1 million de fois par seconde[iv]). Les données venant d’internet sont alors encodées et transmises par ces modulations d’intensité.
Mais alors, pourquoi ce dispositif qui a somme-toute la même finalité que celui que nous utilisons déjà serait-il plus intéressant ? Quelles en sont les améliorations clés ? Premièrement, la problématique de la rareté du medium de propagation se trouve résolue. Le spectre électromagnétique du domaine visible est 1 000 fois plus vaste en fréquence que celui des ondes radioélectriques, il n’est pas mis à contribution par nos appareils électroniques. De plus, les ondes radioélectriques et la lumière appartiennent à des zones disjointes du spectre ce qui contrecarre tout risque de brouillage mutuel avec les technologies déjà utilisée. Le Li-Fi pourrait donc venir soulager la bande radioélectrique saturée.
La question du débit a une importance capitale auprès des utilisateurs. En 2016, nous transmettions chaque mois plus de 7 000 000 To de données et ce chiffre est en forte augmentation. Le Li-Fi offre des débits pouvant atteindre 50Mbps soit 10 fois supérieur au réseau Wi-Fi avec la possibilité de connecter bien plus d’utilisateurs à la même borne sans la saturer[v]. Le Li-Fi résout également la problématique liée à l’espionnage des données en utilisant un réseau émettant à l’extérieur d’une maison par exemple. La lumière ne passant pas à travers les supports physiques tels que les murs, seul l’utilisateur en ligne de vue directe avec la source pourra échanger des données. Enfin, ce serait un dispositif moins énergivore dans les maisons par exemple puisqu’il n’y aurait plus besoin de disposer d’une borne Wi-Fi qui consomme entre 115kWh et 260kWh par an selon les modèles (voir l’article Box internet et décodeur TV : une consommation excessive). Concernant la santé, il est clair que la lumière produite par des DEL ne présente aucun danger pour les tissus biologiques.
Toutes ces raisons semblent faire du Li-Fi une alternative intéressante. Cela étant, certains défis doivent encore être relevés. La nécessité d’avoir une ligne de vue directe entre émetteur et récepteur est le frein primordial au développement de cette technique. On compte plus de 9 milliards d’ampoule DEL dans le monde, ce qui rend a priori aisé de se trouver à proximité d’une borne[vi] mais cette contrainte risque tout de même de provoquer à une connexion intermittente. En extérieur, le soleil émet des rayonnements qui rendent imperceptibles les modulations d’intensité des DEL et donc brouillent le signal. Des méthodes de filtrage sont à l’étude dans ce domaine. Enfin, il est possible d’alimenter les ampoules DEL à des niveaux d’intensité imperceptibles pour l’œil humain mais efficaces pour un capteur photosensible dans la pénombre, ce qui permet d’avoir recours à la Li-Fi sans avoir besoin de laisser la lumière allumée.
La technologie Li-Fi a d’ores et déjà séduit certains entrepreneurs et des applications directes voient le jour dans des secteurs variés. La startup OledComm qui collectionne les prix et distinctions a mis au point une lampe permettant de se connecter en Li-Fi. La société vise d’une part le marché domestique, mais également la sphère professionnelle en proposant des offres différentiées adaptées à chaque cadre. Des applications concrètes sont également à l’essai dans le secteur du smart city, au sein de la ville de Palaiseau dans l’Essonne. Des lampadaires ont été équipés d’ampoules DEL, afin de remplir d’une part leur fonction d’éclairage et d’autre part de servir de relais internet publics. Des centres commerciaux proposent des outils de localisation de denrées pour faciliter la recherche des consommateurs. Certains musées apportent des informations aux visiteurs sur les œuvres d’art qu’ils regardent grâce au Li-Fi[vii]. Le constructeur automobile PSA projette d’intégrer ce dispositif dans ces voitures connectées[viii].
Mais les environnements sensibles aux interférences électromagnétiques seront sans doute les premiers bénéficiaires de cette innovation. Certains hôpitaux comme le centre hospitalier de Perpignan dans les Pyrénées-Orientales, s’en sont déjà équipés, leur permettant d’éviter les nuisances liées au dysfonctionnement des équipements médicaux et d’améliorer l’efficacité du service proposé aux patients. Le secteur de l’aéronautique pourrait également être bouleversé puisque tous les avions sont munis d’éclairage utilisant des DEL. Enfin, les industries pétrochimiques, où le Wi-Fi peut-être prohibé pour des raisons de compatibilité électromagnétique pourrait voir leurs installations transformées par le Li-Fi. Elles réduiraient leur consommation énergétique avec les DEL et profiteraient d’une connexion stable à très haut débit[ix].
Toutefois, la mise en place d’une structure compatible au Li-Fi a actuellement un coût non négligeable. La création d’un internet ou d’un intranet Li-Fi est évaluée à 250€ par point lumineux d’accès au réseau. Une structure de géolocalisation interne de supermarché grâce au Li-Fi créerait un surcoût de 10% par rapport à l’éclairage LED simple[x].
Si la technologie Li-Fi en est encore à ses balbutiements, elle est néanmoins promise à un bel avenir. Avec une valorisation estimée à 115 milliards à l’horizon 2022[xi], le marché du Li-Fi pourrait bien au cours des 5 années à venir transformer de manière radicale nos interactions en réseau. Le nombre de projets en cours de recherche, l’intérêt croissant des collectivités locales et des entreprises privées sont gages des opportunités de développement et d’innovations qu’elle propose.
[i] Etude iPass : fournisseur d’accès Wi-Fi pour professionnels. Carte évolution en temps réel
[ii] D’après ARCEP (Agence de régulation des Communications Electroniques et des Postes)
[iii] Site officiel de l’agence internationale de recherche contre le cancer, division de l’O.M.S. (Organisation Mondiale de la Santé)
[iv] Li-Fi: High-Speed Communication via LED Modulation, par David Geer
[v] Performances proposées par la société Oledcomm avec le dispositif MyLifi
[vi] Le marché des ampoules LED, d’aujourd’hui à 2020, par Matthieu Combe sur Natura-sciences
[vii] Technologie : après le Wi-Fi, le Li-Fi débarque, Journal télévisé France 3.
[viii] Des voitures LiFi bientôt signées PSA, sur l’Usine Nouvelle.
[ix] Le Lifi, nouvelle frontière de l’internet sans fil, par Gabriel Vedrenne
[x] Li-Fi, le réseau qui transforme les ampoules LED en outil de communication, par Laetitia Van Eeckhout dans Le Monde.
[xi] Etude publiée par Allied Market Research
Cisco, V. N. I. (2016). Global Mobile Data Traffic Forecast Update, 2015–2020 White Paper. Document ID, 958959758