La reconversion, parent pauvre des politiques d…
Le dernier volet de notre série sur les impacts de la réglementation Bâle 3 sur les produits bancaires est consacré aux produits d'épargne hors bilan.
Avec la mise en place des ratios de liquidité favorisant grandement les dépôts de la clientèle, et comme le veut l'adage « les dépôts font les crédits », les banques, pour continuer de prêter, vont devoir augmenter leurs ressources. Pour cela, il leur faut collecter plus de produits de passif afin de mieux faire correspondre les profils des crédits qu'elles accordent aux profils de leurs dépôts collectés, notamment en ce qui concerne les maturités. En effet, le ratio NSFR privilégie une meilleure adéquation entre maturité des actifs et financement des actifs (produits d'épargne). Une des pistes explorées par les banques est le rapatriement de l'épargne collectée en hors-bilan dans leurs ressources. Pour de multiples raisons, il s'agit d'un enjeu stratégique majeur pour les banques françaises.
Puisque les banques ne sont que des intermédiaires en termes de récolte de l'épargne des assurances-vie, en collectant l'épargne auprès de leur clientèle pour la reverser à leurs filiales d'assurance-vie, cette épargne n'apparait pas dans le bilan des banques. Lorsque ces stratégies ont été mises en place au milieu des années 80 en France, les banques avaient fait le choix de placer ces sommes dans leurs filiales d'assurance-vie (Predica, Sogécap, etc.) pour proposer une fiscalité avantageuse à leur clientèle et pour bénéficier de marges plus intéressantes. Mais aujourd'hui, ces produits hors-bilan sont un grand « manque à gagner » en termes de dépôts pour les banques françaises. En effet, aujourd'hui 55% des encours d'assurance-vie en France sont détenus par des acteurs de bancassurance. Sur un encours global d'environ €1300 milliards, cela représente un encours de €715 milliards auprès des acteurs de bancassurance.
Potentiellement, si les encours d'assurance-vie des bancassurances étaient détenus sur des produits d'épargne de bilan, le montant des dépôts des cinq plus grandes banques françaises progresseraient d'un tiers. Alors qu'à l'heure actuelle nous estimons la moyenne du NSFR des cinq plus grands groupes bancaires à 72%, le rapatriement des encours d'assurance-vie dans le bilan de ces banques feraient progresser le ratio de plus de 20 points. S'il est certainement trop optimiste d'envisager un tel taux de rapatriement, le chiffre est assez éloquent pour mesurer l'importance de ce chantier pour les établissements bancaires français. En effet, si elles venaient à capter seulement 50% de cette épargne en DAV, la moyenne du ratio des NSFR des établissements français s'établirait à 83%.
Cette hypothèse est loin d'être farfelue puisque de nombreux indicateurs semblent montrés un désintérêt des Français pour l'épargne d'assurance-vie et des OPCVM. Tout d'abord, les chiffres donnés par la FFSA4 sont formels : en 2011, les cotisations dans les contrats d'assurance vie ont reculé de 14 % par rapport à 2010 avec une tendance s'accélérant avec le temps puisque la collecte a même été négative au quatrième trimestre (-€8,4bn de primes collectés par rapport aux prestations versées). Cette tendance naissante devrait même se confirmer avec le temps puisqu'aujourd'hui de plus en plus de détenteurs d'assurance-vie vont partir à la retraite dans les années à venir. La génération des papy-boomers, très consommatrice de produits d'assurance-vie, devrait enclencher progressivement un rachat de leurs contrats. A cela s'ajoute un constat : plus de 60% des contrats d'assurance-vie ont atteint les huit années (seuil au-delà duquel l'avantage fiscal reste identique dans le temps). Il s'agit d'un niveau historique qui va donc favoriser la décollecte de l'épargne d'assurance-vie. Cette « décollecte » devrait également s'accélérer face aux menaces pesant sur la réforme du régime fiscal des assurances-vie, qui pourrait rendre beaucoup moins intéressant ces investissements fiscalement.
En plus de ces facteurs, les actuelles conditions de marché instables incitent les investisseurs à se tourner vers des produits d'épargne plus sécurisés, plus liquides mais malgré tout rémunérateurs. C'est ainsi que la demande pour les placements en produits d'épargne liquide est en constante progression depuis mi-2010. Et ce sont les livrets qui en sont les principaux bénéficiaires. En 2011, en termes relatifs, les flux nets cumulés récoltés sur les produits bancaires des bancassureurs ont été dix fois plus grands que sur les assurances-vie (€42bn contre €4,2bn). Cette tendance ne s'explique pas seulement par le désintérêt des produits d'assurance-vie. Le relèvement du taux du livret A à 2,25% en août 2011, après un premier relèvement à 2% en février 2011 est une première source d'explication. Les livrets ordinaires ont connu la même tendance de relèvement des taux offerts, encourageant les ménages à se tourner vers ces investissements sécurisés qui permettent une disponibilité immédiate des fonds en cas de besoin. Actuellement, on se rend même compte d'un rétrécissement de l'écart de rendement net d'impôts entre les produits d'assurance-vie et les produits bancaires. Et cette tendance n'est pas seulement observable sur les ménages puisque ce constat est aussi identique chez les entreprises non financières.
Les établissements ont donc une opportunité importante à saisir afin d'aller capter l'épargne décollectée des assurances-vie. Les conditions trop contraignantes de sortie, le vieillissement de la population avec la mise à la retraite de la génération « baby-boom » ainsi que le risque offert par ces produits sont autant de facteurs qui pénalisent les produits d'assurance-vie. C'est pour cela qu'un enjeu de taille attend les banques françaises afin d'aller capter ces fonds hors-bilan pour les ramener dans les bilans à l'aide de livrets aux conditions plus souples, moins risquées mais à la rémunération malgré tout intéressante. Néanmoins, cette coûteuse recherche des dépôts de la part des banques françaises risque d'avoir des répercussions négatives sur l'attribution des crédits. En effet face à l'augmentation du coût de financement des crédits, les banques devraient être contraintes de répercuter ces frais sur le coût des crédits. Si l'on ajoute à cela les tensions rencontrées par les assureurs face à la décollecte progressive des assurances-vie, l'équilibre entre les banques qui financent les investissements et les assureurs qui investissent dans l'immobilier pourrait très bien être ébranlé dans les mois et années à venir.