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Les rédactions des groupes de presse à l'heure du Big Data

Au cours des dernières années, les groupes de presse ont vu leur modèle économique profondément impacté par la digitalisation de leur secteur , ...

Au cours des dernières années, les groupes de presse ont vu leur modèle économique profondément impacté par la digitalisation de leur secteur : repenser leurs contenus, leurs offres et leurs formats de lecture a ainsi été un enjeu clé pour assurer leur compétitivité. Cependant, au-delà de la digitalisation, c’est l’accès aux technologies de Big Data qui transforme désormais les groupes de presse. En effet, ces dernières offrent une opportunité business triple :

1.Produire des contenus mieux ciblés et générateurs de plus d’engagement

2.Maximiser l’audience via des timing et canaux de diffusion optimisés

3.Améliorer la productivité des journalistes grâce à des outils performants et intelligents (comme présentés dans notre article précédent : L’intelligence artificielle bouleverse-t-elle l’industrie des médias ?)

Pour tirer pleinement parti de cette opportunité, Sia Partners s’est inspiré des salles de rédactions les plus avancées sur le sujet et propose un aperçu des best practices pour actionner les leviers déterminants dans cette transformation. D’une part, les outils de Big Data, qui, intégrés à chaque étape du processus de production des journalistes ouvrent la voie à une performance accrue ; d’autre part, une organisation et une culture d’entreprise orientées data au sein des salles de rédaction, pour faire de ces nouvelles formes de travail, un modèle cohérent, performant et durable.

Comment les technologies Big Data impactent les rédactions presse ?

Une sélection des sujets plus pertinente

Afin de proposer aux lecteurs des contenus récents et originaux, les rédactions implémentent des outils de veille automatisée et de suivi des tendances (trendspotting) : ces outils, via des algorithmes, collectent les données, analysent leur sémantique et permettent aux journalistes de faire émerger les thématiques porteuses d’intérêt sur les réseaux sociaux et moteurs de recherche. L’objectif est ainsi d’identifier rapidement les sujets et de répondre à la demande d’information des audiences.

  • Par exemple, la plateforme de trendspotting NewsWhip scanne l’activité sur les réseaux sociaux toutes les dix minutes et propose un aperçu des performances des thématiques les plus populaires.
  • Le groupe Melty a développé une technologie de détection de hot topics en temps réel. Un algorithme scrape de larges volumes de données sur les réseaux sociaux et moteurs de recherche puis qualifie le potentiel viral de chaque thématique.
  • BuzzFeed, propose également des contenus en fonction des tendances relevées dans la sémantique des conversations des internautes sur les réseaux sociaux.

En parallèle, les outils d’analytics et de Big Data permettent aux groupes de presse de continuer à approfondir la connaissance de leur audience et de leurs abonnés, en offrant une compréhension plus avancée que les sondages traditionnels.  Des outils dédiés aux groupes de presse tels que Parse.ly ou Chartbeat, utilisé par Le Figaro, mesurent par exemple l’engagement et la fidélité des lecteurs avec une granularité fine.

Les rédactions les plus avancées initient également le développement d’algorithmes de machine learning pour apprendre des préférences et comportements des audiences. Pour favoriser cet apprentissage, la collecte et la réconciliation des données constituent une étape clé.

Des outils de collecte et d’agrégation de données pour simplifier le travail de recherche et d’édition des contenus

Si les journalistes se sont toujours appuyés sur des données, en particulier dans le cadre de travaux de recherche, les algorithmes Big Data simplifient grandement leur travail de collecte.

  • Des solutions comme Ophan, développée par The Guardian, agrègent automatiquement et en temps réel les contenus média et User Generated Content (UGC) relatifs au sujet traité par le journaliste.
  • Des outils d’analyses de données simplifient la vérification des faits (factchecking). Le Washington Post a ainsi lancé un logiciel, Truth Teller, permettant de repérer en live les incohérences dans les discours des hommes politiques.
  • Afin d’éditer les tags et d’optimiser le référencement de chaque article, notamment SEO, le New York Times a développé un outil interne, Editor, s’appuyant sur du machine learning pour deviner le sujet de l’article en cours de rédaction et suggérer des tags et optimisations.

L’objectif de ces technologies n’est pas de remplacer les journalistes, mais d’automatiser certaines tâches chronophages et d’améliorer la productivité des équipes. Ainsi, le temps libéré grâce à ces outils peut être réalloué à une activité à plus forte valeur ajoutée.

Le data journalisme ou la data au cœur des nouveaux contenus

Avec le data journalisme, les données deviennent autant la matière première (l’input) que le produit final (l’output) du travail des journalistes. Alors que les barrières entravant l’accès et la circulation de l’information s’abolissent, les groupes de presse voient dans la collecte et l’analyse de données un moyen de créer des contenus à forte valeur ajoutée.

Cette nouvelle forme de data journalisme a ainsi été mise à profit par le Times dans sa couverture des élections en Grande Bretagne en 2017. Ses équipes de journalistes ont travaillé sur l’agrégation et le traitement de données issues des circonscriptions, de l’agence nationale de statistique et des pétitions parlementaires, afin de compléter les résultats des sondages aux élections par des analyses complémentaires fines. A cette approche se sont ajoutés des formats visuels et interactifs pour présenter les analyses, et des notes de lectures des différents résultats de sondage, pour guider les lecteurs dans leur interprétation. Le Times est ainsi parvenu à transformer ses données en véritables contenus à forte valeur ajoutée pour ses lecteurs.

Les groupes de presse investissent également dans ces nouveaux formats et créent des formats dédiés tels que « Les Décodeurs » au Monde, « Désintox » à Libération. L’information y est présentée de manière visuelle et créative via des techniques de data visualisation. Les contenus peuvent alors devenir dynamiques au fur et à mesure que les données évoluent. Les lecteurs obtiennent ainsi une représentation dynamique de données comparées, mises en perspective et actualisées régulièrement. Ces formats, visuels et légers, permettent de capter l’attention du lecteur dans un environnement toujours plus surchargé d’informations et disposent d’un fort potentiel viral. 

Comment mettre en place une organisation et une culture orientée data au sein des rédactions ?

Pour tirer parti de la profusion de données éditoriales et des technologies de Big Data qui y sont associées, les groupes de presse doivent désormais faire évoluer leurs rédactions. La gestion de leurs talents, leurs méthodes de travail et leur culture d’entreprise sont autant de paramètres à considérer.

Miser sur des talents et des compétences alliant code, design et data-science

Les compétences clés recherchées par les groupes de presse ne se limitent pas aux compétences littéraires et rédactionnelles.

Le recrutement de data scientists, data analystes, développeurs informatiques, designers est en effet devenu primordial ; tout l’enjeu est de les attirer malgré un environnement compétitif fort. Pour les convaincre de rejoindre leurs équipes, les rédactions peuvent mettre en avant la complémentarité de ces profils avec celui des journalistes. Ils partagent avec ces derniers leur sens de la curiosité, l’envie d’investiguer et de rendre claire et intelligible l’information.

Par ailleurs, certaines écoles de journalisme intègrent des compétences nouvelles dans leurs formations pour répondre à ces enjeux en termes de data. Le Programme Lede, lancé par l’université de Columbia (Etats-Unis), inclut par exemple l’enseignement de traitement de données et de code.

Réorganiser les salles de rédaction autour de 3 principes : multidisciplinarité, open innovation, et expérimentation.

Autour des nouveaux talents, les groupes de presse peuvent imaginer de nouvelles formes de travail et d’organisation. L’objectif est de passer d’un processus de rédaction centré sur le journaliste à un processus collaboratif, ouvert et expérimental misant sur les données et les différents talents :

  • La multidisciplinarité favorise les équipes interconnectées : celles-ci collaborent à tous les niveaux de la production des contenus et contribuent à véhiculer pleinement la Data entre les acteurs de la rédaction.
  • La collaboration avec des acteurs extérieurs : les groupes de presse vont chercher des offres de services et des procédés hors de leurs organisations. Par exemple, le groupe Ouest France, à travers son accélérateur de start-ups, s’est ouvert à de nouvelles sources de créativité et de compétences pour développer des offres innovantes et accélérer sa transformation numérique. Le groupe a ainsi collaboré avec 12 start-ups en 2017, dont Mediego, une solution visant à personnaliser l’expérience des internautes via l’analyse de leurs données comportementales par un algorithme.
  • L’expérimentation : pour certains groupes de presse, ces modèles d’open innovation se sont appuyés sur des partenariats de type académique, comme entre la rédaction de The Sacramento Bee et l’université de Stanford, afin de tester de nouveaux outils de segmentation des audiences et de personnalisation des campagnes.

Encourager une culture « orientée » data au sein des équipes

Mettre en place une organisation data-driven implique un changement culturel important, susceptible de faire émerger des résistances. Ainsi, dans le cadre d’une transformation data, la gestion des résistances au changement doit être préparée. Voici quelques pistes en ce sens :

  • Objectiver la performance en définissant des objectifs clairs et mesurables. Pour cela, la mise en place d’indicateurs clés de performance (KPI) et de dashboards est indispensable. Le choix des KPI et des objectifs peut être décidé en collaboration avec les équipes afin de créer un consensus et un processus d’adhésion.  Il est important de sélectionner des KPI clairs, lisibles et cohérents avec les objectifs éditoriaux et économiques de la rédaction.
  • Une nécessaire pédagogie doit être mise en place. Elle se traduit par des explications claires sur le sens de la transformation en cours.
  • Eviter la dictature de la donnée : présenter les outils de Big Data comme des moyens de confirmation ou d’infirmation de l’instinct du journaliste.
  • Démocratiser les données : abolir les barrières techniques d’accès aux données.  Les journalistes doivent pouvoir accéder à la donnée de façon autonome, sans passer par l’équipe de data scientists. Par exemple, les équipes de Buzzfeed ont créé Looker, une plateforme de data management plateforme (DMP), permettant à chaque employé d’accéder aux données sans connaissance particulière en langage de programmation.
  • Privilégier la simplicité : afin de rendre les données accessibles et intelligibles à l’ensemble des journalistes, privilégier des plateformes ergonomiques, limitant le choix des possibles à ce qui est nécessaire, des outils simples à installer, des interfaces user-friendly, un accès direct au type de données recherchées …C’est ce que propose notamment l’agence de presse AP, via son logiciel ENPS pour soumettre aux journalistes des contenus ciblés selon les  sujets concernés, grâce aux métadonnées.
  • Permettre des analyses propres à chaque besoin : le Huffington Post propose un dashboard personnalisable : chaque journaliste peut savoir ce qui se passe précisément dans la région/domaine qu’il couvre, les tendances sur ses sujets, l’impact de ses articles, faire de l’AB testing sur ses titres en temps réel.

Sources :