La reconversion, parent pauvre des politiques d…
Depuis la crise des subprimes, les pratiques des établissements financiers en matière de gestion de la liquidité ont drastiquement évolué.
Revenons dix ans en arrière, bien avant la transposition et l’application des accords de Bâle 3 : les banques pilotaient leur liquidité en bénéficiant d’un regard moins strict et moins encadré de la part des régulateurs et des superviseurs qu’aujourd’hui… Après quoi deux ratios réglementaires de liquidité ont été introduits : le LCR (« Liquidity Coverage Ratio ») et le NSFR (« Net Stable Funding Ratio ») visant à rendre compte au superviseur de la situation de liquidité des établissements à horizons respectifs de 30 jours (en situation de stress) et 1 an. Par la suite, ces ratios ont été largement complétés d’indicateurs et d’états réglementaires afférents à la situation de liquidité et aux pratiques de chaque banque.
La gestion du risque de liquidité, désormais caractérisée par un cadre réglementaire stable et particulièrement contraint, constitue un sujet mature au sein des départements ALM[1] des établissements financiers. Ces dernières années, les banques ont effectué d’importants travaux d’adaptation et d’industrialisation de leurs dispositifs et outils de mesure ou d’appui au pilotage, en veillant à servir à la fois les contraintes de reporting réglementaire et à assurer les besoins de gestion opérationnelle et de pilotage interne de la liquidité.
Dans ce contexte, il est une question légitime que les experts de la gestion de bilan peuvent se poser : comment envisager le futur de la gestion de la liquidité bancaire ? Il s’agit notamment d’identifier de potentiels leviers d’innovation susceptibles d’impacter voire d’optimiser le pilotage de la liquidité des établissements financiers. Dès aujourd’hui, deux tendances principales se dessinent :
« L’automation » (également appelée RPA – « Robotic Process Automation ») de production d’indicateurs et/ou de reporting règlementaire voire de prises de décision de gestion et d’exécution d’opérations qui en découlent. Cette automatisation est déjà amorcée depuis plusieurs années et s’applique d’ailleurs bien au-delà de la seule sphère financière.
L’intégration accrue de solutions Blockchains, et leur pendant naturel : crypto-actifs, ou crypto-monnaies. Introduit par le Bitcoin dès 2009, le concept de Blockchain et ses avantages ont rapidement été compris par les banques qui ont vu l’opportunité de réduire les frictions et les intermédiaires dans leurs processus métiers grâce à cette technologie.
Encore à l’étape de balbutiement aujourd’hui, cette nouvelle forme d’actifs fait néanmoins de l’œil aux institutions bancaires. A ce stade, c’est par la voie de la technologie sous-jacente aux crypto-actifs que les banques ont décidé d’embrasser cette révolution.
De nombreux cas d’usages Blockchains ont été identifiés, appliqués aux problématiques de paiement d’une part et de gestion de la liquidité d’autre part, mais pas seulement :
Par exemple, le consortium de banques R3, dirigé et financé par des banques à travers le monde entier, engage de nouveaux projets Blockchain dans des secteurs aussi variés que la Supply Chain, le KYC, ou encore l’émission de titres financiers.
Par ailleurs, le Groupe Crédit Agricole a quant à lui officialisé en 2017 le test de la technologie Ripple Xcurrent comme moyen de transfert de fonds instantanés pour des opérations intragroupes. Notons toutefois que le Groupe n’utilise pas à ce stade la crypto-monnaie Ripple (mais simplement la technologie du même nom).
BNP Paribas avait également annoncé en 2017 sa collaboration avec la Fintech SmartAngels pour l’émission de titres et pour permettre la création d’une bourse dédiée aux PME (cette plateforme permettant aux entreprises non cotées en bourse de digitaliser leurs titres et de gérer leur actionnariat à partir d’un registre décentralisé). Ici aussi, il s’agit de crypto-actifs plutôt que de crypto-monnaies.
Le Crédit Suisse et ING Direct ont effectué en mars 2018 la première opération de prêt de titres en direct via HQLA-x. Cette plateforme utilise la Blockchain pour permettre des transferts de liquidité sous diverses formes (garanties et collatéraux notamment) en s’affranchissant des contraintes traditionnelles de coûts liés aux transferts de garantie (coûts en capital, associés à l’utilisation du bilan par exemple, ou encore coûts liés à la livraison de titres). A cette occasion, les deux banques ont échangé des paniers de titres d’une valeur totale de 25 millions d’euros, via des reçus collatéraux numériques (DCR, pour « Digital Collateral Receipt » en anglais). Suite à cette opération, Romain Dumas, responsable des opérations de rachat et d'optimisation des garanties chez Crédit Suisse Securities (Europe), avait déclaré : « Le succès de cette première transaction témoigne du potentiel de la technologie Blockchain pour améliorer la fluidité des collatéraux. Marché rentable pour les transferts de liquidités."
Au travers de ces exemples, force est de constater l’évolution exponentielle de cette technologie depuis maintenant 5 ans. Si bien que plusieurs banques françaises ont déjà franchi le pas de la Blockchain d’une part et des crypto-actifs d’autre part (même si pour l’instant, aucune ne détient de crypto-monnaie). Les banques montrent en effet une certaine autonomie en ce qui concerne le développement de leurs divers projets d’utilisation de la technologie Blockchain pour optimiser leur activité.
En revanche, l’éventuelle utilisation ou détention d’une crypto-monnaie par les établissements financiers constitue une décision qui relève avant tout de la banque centrale, ou à minima, des organismes de supervisions au sens large. Nous vous proposons de découvrir ces éléments dans un prochain article.
[1] Asset and Liability Management (en français, gestion actif-passif)