Benchmark des Plateformes de Gestion de la…
Jusqu'en 2008, les banques européennes ont pu aisément financer leur croissance sur les marchés et à un faible coût grâce à une liquidité abondante, une confiance absolue dans leur solidité et une courbe de taux croissante.
Les banques européennes ont alors massivement développé leurs actifs et les ont financés par une grande quantité de dette court terme et à faible taux. Avec la crise financière puis les tensions sur le risque souverain depuis 2010 et leur impact sur la perception de la solvabilité des banques, le marché interbancaire s'assèche et se nationalise à nouveau.
Côté ressources, la recherche s'oriente sur les dépôts locaux stables et sur des financements collatéralisés et côté emplois, certaines activités, particulièrement en BFI [1] ou dans certains pays, sont fermées notamment en fonction des capacités de refinancement.
Dans ce contexte, le modèle de la banque « globale » qui peut faire valoir une couverture mondiale et un business mix géographiquement diversifié, sort renforcé par rapport à la concurrence des banques « nationales » évoluant majoritairement sur leur territoire.
La gestion du funding vise pour une banque à assurer en continu une collecte de ressources au meilleur prix en fonction de sa tolérance au risque et des contraintes réglementaires. La gestion de la liquidité, quant à elle, a pour objectif d'assurer que la banque est en mesure de répondre immédiatement à ses obligations quand elles sont exigibles (et ce, dans chacune des devises). Ces deux éléments sont consubstantiellement liés car la gestion de la liquidité répond aux risques induits par la politique de funding et inversement une gestion adéquate de la liquidité est requise pour organiser dans les meilleures conditions la collecte des ressources. Ils sont au cur du métier de financement (la transformation de maturité) et de sa rentabilité car le coût de la collecte des ressources est déterminant dans le calcul de la marge d'intérêt.
La portée internationale des grandes banques leur permet d'adapter l'organisation de leur funding et de la gestion de leur liquidité à leur business model. Les facteurs déterminants de cette organisation concernent le mix d'activités, les implantations géographiques, les contraintes réglementaires et le seuil de tolérance au risque. En particulier, le degré de centralisation de la stratégie funding / liquidité est variable selon les banques. Il faut dire que l'organisation géographique d'un groupe résulte de nombreux facteurs tels l'histoire de sa construction, les activités menées dans les pays d'implantation, les conditions macroéconomiques locales (croissance, place dans le commerce international) et l'existence d'une place financière. La gestion de la liquidité dans les banques globales répond donc plus à une stratégie long terme qu'à une exigence opérationnelle ou réglementaire à court terme.
Schématiquement, dans une gestion totalement centralisée, la liquidité est gérée en central par l'ALM [2] qui contrôle les écarts de maturité au regard des limites fixées au niveau du groupe et gère le pool d'actifs liquides. Le refinancement sur les marchés est assuré par la Trésorerie (dans le cadre des programmes fixés par l'ALM) qui y accède généralement via des hubs régionaux couvrant les principales devises. Elle distribue ensuite ces ressources aux entités locales afin de compléter celles provenant à la fois de la collecte de dépôts (comptes courants et d'épargne) et du refinancement auprès des banques centrales. Cette gestion centralisée implique une part importante de funding intra-groupe et transfrontalier. Elle permet en théorie de minimiser le besoin net de ressources à l'échelle du groupe et le pool d'actifs liquides à détenir. Il s'agit aussi d'accéder aux ressources disponibles les moins chères à travers le monde, de mutualiser les besoins d'émission, de réaliser opérationnellement des économies d'échelle par rapport à un accès local généralisé aux marchés et enfin d'avoir une meilleure vision sur la diversification des ressources.
A l'inverse, les entités locales ont, dans un modèle décentralisé, la responsabilité complète de leur funding et de la gestion de leur liquidité dans le cadre de la politique fixée par le groupe. Notons qu'elles peuvent parfois y être contraintes par le cadre réglementaire local. Les corollaires sont à la fois un faible rôle dévolu à l'ALM-Trésorerie en central du fait de la part modeste des flux intra-groupe liés à des surplus de ressources mais également un « empowerment » des collaborateurs locaux dont les responsabilités sont plus importantes sur la génération de la marge nette d'intérêt. Cela implique comparativement une collecte de ressources supérieure au niveau local via un accès facilité au refinancement auprès des banques centrales.
Dans la pratique, la plupart des banques s'appuient plutôt sur un modèle coordonné entre le central et le local avec l'objectif d'optimiser les bénéfices/coûts de chacun des deux modèles tout en respectant les obligations règlementaires locales. Cela se traduit le plus souvent par un funding dont l'exécution est décentralisée (sauf pour les grands programmes d'émission MLT [3]) mais encadrée avec plus ou moins de flexibilité en termes de plan de refinancement et d'objectifs alors que la gestion de la liquidité est généralement effectuée en central, pour les succursales comme les filiales, afin de permettre une vision globale et de s'assurer qu'elle est en phase avec les objectifs du Management [4].
Les banques européennes ont développé pendant des années une forte dépendance au funding sur les marchés car les dépôts qu'elles collectent ne se hissent pas en général au niveau des prêts qu'elles octroient. Leurs besoins de financement sont ainsi en moyenne supérieurs à ceux des banques asiatiques qui bénéficient d'une épargne massive associée à un niveau d'encours de crédit historiquement plus faible, de même qu'à ceux des banques américaines qui ont depuis longtemps favorisé la titrisation et la désintermédiation. Jusqu'aux crises récentes de liquidité, cela leur avait permis de poursuivre leur expansion car elles pouvaient financer, dans un contexte de liquidité abondante et sur des marchés à bas coûts, la croissance de leurs actifs à l'échelle mondiale, cependant avec un effet de levier important.
Les difficultés de refinancement ont culminé pendant la crise financière de 2008 (en partie liée aux excès de dette contractée) puis lors des tensions sur les marchés souverains depuis 2010 en lien avec le niveau d'endettement de certains Etats de l'Union, la crainte de défauts aux impacts systémiques, et l'environnement macroéconomique en berne. Les banques alors ne se prêtent plus à court terme par manque de confiance sur leur solvabilité ou alors à un prix élevé qui obère fortement leur marge d'intérêt. Elles ont également des difficultés à émettre des titres à MLT du fait de la défiance des investisseurs. Pour celles qui avaient un recours abusif au marché dans le refinancement de leurs actifs LT, la sanction tombe donc rapidement : l'exemple le plus symptomatique est celui de Northern Rock dont les actifs, des prêts hypothécaires, étaient de plus peu liquides et qui a finalement dû être nationalisée en 2008 après avoir reçu le soutien d'urgence de la Banque d'Angleterre.
Le renforcement des banques sur leur fonds propres et les politiques des banques centrales pour stimuler l'économie comme l'introduction par la BCE des LTRO [5] offrant des liquidités abondantes à faible coût ou la création monétaire par rachat de titres en Angleterre (quantitative easing) ont contribué à alléger provisoirement les tensions sur le funding des banques et permis de combler leurs besoins de refinancement à court terme. De plus, la prise en compte des problématiques de liquidité dans les textes de Bâle 3 (notamment l'emphase sur la hausse des maturités des ressources et leur stabilité ainsi que sur la disponibilité d'actifs liquides pour faire face aux situations de pénurie de liquidité) et la tendance à la mise en place progressive d'une supervision européenne aident à rassurer sur la gestion de la liquidité en Europe.
Nous étions cependant déjà loin d'un retour à la situation d'avant Lehman quand les scandales liés aux soupçons de manipulation du Libor et même de l'Euribor ont ajouté une nouvelle source de défiance et approfondi la contraction : le marché interbancaire s'est massivement réduit au profit de dépôts sécurisés (mais moins rémunérateurs) auprès des banques centrales et la confiance n'est toujours pas rétablie. Concrètement, ce marché s'est renationalisé et le refinancement transfrontalier est aujourd'hui très limité avec des spreads élevés et sur des maturités courtes exclusivement. De même, les flux intra-groupe (de soutien d'une entité à une autre) ont fortement diminué et dans les deux cas, les restrictions réglementaires sur les transferts de liquidité limitent la capacité d'appel à ces ressources. Cela représente ainsi un réel défi pour les banques dont le modèle de funding/liquidité s'appuyait des flux transfrontaliers interbancaires ou intra-groupe conséquents.
Le refinancement des actifs du bilan est donc devenu un paramètre clé et les banques veulent se prémunir de telles crises où leur activité tourne au ralenti, mais elles doivent pour cela revoir leur business model. Côté emplois, des activités deviennent structurellement trop peu rentables et les banques européennes ont dû fermer des lignes Métier. C'est ainsi le cas de certains financements d'actifs en dollars qui pesaient lourdement sur leur bilan sans être éligible à un refinancement banque centrale. Les évolutions concernant la structure des actifs tiennent aussi à leur consommation de fonds propres comme le montre par exemple la baisse des portefeuilles de financements de type LBO [6]. Surtout, ce qui devient déterminant est la recherche préalable de ressources permettant de générer des actifs « en face » au bilan.
Les banques européennes se sont donc lancées dans une réorientation du funding vers les dépôts, stables, de la banque de détail, avec l'objectif d'abaisser le ratio de prêts / dépôts (et de facto la dépendance aux ressources de marché) et se livrent pour cela à une vive compétition sur les taux de rémunération dans leurs marchés curs. D'autre part, du fait de la perte de confiance, les attentes des investisseurs ont aussi changé et les banques européennes doivent s'y adapter. Comme le funding conditionne désormais le développement des actifs et que les exigences en capital augmentent, on voit émerger des modèles « originate to distribute » au sein des BFI. Ceux-ci se focalisent d'abord sur les souhaits d'investissement dans la perspective de transférer au marché l'essentiel du risque de crédit (de l'ordre de 80%) au lieu de conserver les encours au bilan et ils favorisent la désintermédiation (émission de corporate bonds). S'agissant du refinancement MLT sur les marchés, les investisseurs deviennent réticents à souscrire à de grands programmes senior unsecured mais sont de plus en plus demandeurs d'émissions collatéralisées. On le voit notamment sur la forte croissance des covered bonds pour lesquels ils reçoivent des garanties hypothécaires et qui sont mieux notés que leurs émetteurs, déclassés par les agences de notation.
Cependant, ces émissions collatéralisées à MLT ajoutées au refinancement CT [7] privilégié auprès des banques centrales aboutissent à une plus faible disponibilité des actifs mobilisables alors que l'importance de disposer d'un matelas d'actifs liquides est de plus en plus reconnue et constituera bientôt un impératif réglementaire quantifié dans la réforme Bâle 3 qui introduit le LCR [8], décliné dans la plupart des juridictions. De surcroît, cette collatéralisation abondante contribue à rendre la dette senior unsecured plus risquée et donc plus chère pour les banques. Or le besoin de collateral de haute qualité (actifs liquides et peu volatiles dont cash) va encore s'accroître sous le double effet des nouvelles réformes réglementaires sur les produits dérivés (Dodd Frank, EMIR...) [9] et des politiques de quantitative easing (car les banques centrales captent ces actifs). Or, à l'échelle du marché, les actifs liquides considérés comme de très bonne qualité diminuent du fait de la dégradation de nombreux ratings souverains par les agences de notation.
Ainsi, les banques européennes ont globalement eu tendance à recentrer leur activité sur leur cur de métier. Elles ont aussi dû revoir leur stratégie de funding et d'optimisation et de contrôle de la liquidité, poussées aussi dans cette direction par les évolutions réglementaires globales de Bâle 3 (quantitatives et qualitatives) et par les restrictions nationales sur les flux intra-groupe. Alors que la reprise du refinancement interbancaire et via des émissions obligataires classiques restent incertains, elles doivent encore poursuivre leur adaptation en renforçant leur pool d'actifs liquides en réserve et en optimisant leur gestion.
[1] : Banque de Financement et d'Investissement
[2] : Asset and Liabilities Management (gestion actif-passif)
[3] : Moyen Long Terme
[4] : Cela peut aussi, quand le régulateur local le permet, éviter de dupliquer localement toutes les exigences qualitatives de gestion du risque de liquidité
[5] : Long Term Refinancing Operations : programme de refinancement collatéralisé auprès de la BCE dont la maturité a été étendue à 3ans, afin de prémunir les banques européennes contre un choc de liquidité et de rassurer les marchés sur la solvabilité des institutions financières (déc. 2011 et févr. 2012)
[6] : Leverage Buy-Out : financement à effet de levier
[7] : Court terme
[8] : Liquidity Coverage Ratio : ce ratio vise à apprécier la capacité d'un établissement financier à faire face à ses obligations dans un contexte de choc de liquidité à 30 jours au moyen du pool d'actifs liquides détenus
[9] : Hausses des exigences de collateral sur le versement initial et la marge de variation