La reconversion, parent pauvre des politiques d…
Afin de réduire leur impact carbone, une majorité de pays ont décidé de donner aux énergies renouvelables une part de plus en plus conséquente dans leur mix énergétique. Associés à cette demande croissante, les besoins en métaux rares n’ont fait que s’accentuer.
Cette famille d’une cinquantaine de métaux possédant des propriétés électroniques, magnétiques ou optiques particulièrement recherchées par l’industrie de pointe sont en effet des éléments constitutifs essentiels des technologies utilisées pour exploiter les énergies renouvelables. La généralisation de leur utilisation génère cependant un coût environnemental qui dépendra fortement des choix politiques mais aussi technologiques de chaque pays.
Les énergies éoliennes et photovoltaïques devraient représenter près de 64% des nouvelles capacités de production installées dans le monde d’ici à 2040[i]. Pour pallier au caractère intermittent de ces sources d’électricité, les batteries de stockage devraient aussi connaître un essor important (voir l’article Le stockage au service d’une chaîne de valeur électrique en mutation). Or ces technologies, très demandeuses en minéraux et métaux variés, entraineraient un accroissement de l’ordre de 6% par an du besoin en métaux rares.
Ces ressources, déjà très prisées dans le secteur de l’informatique, ont une importance stratégique de premier plan pour la Commission Européenne. C’est pourquoi elle a décidé, depuis 2008, de publier une liste de matières premières critiques « présentant un risque élevé de pénurie d'approvisionnement et une grande importance économique, auxquelles l’accès fiable et sans entrave constitue un enjeu pour l’industrie européenne et les chaînes de valeur »[ii]. Parmi cette liste qui s’élève aujourd’hui à 27 matières premières, figurent les Terres Rares, produites en bien moindre quantité que les métaux non rares et à un prix bien plus élevé. En effet, la production mondiale des Terres Rares est d’environ 130 kt par an contre 2000000 kt de fer et 15000 kt de cuivre. En fonction du métal rare considéré, le prix au kilogramme peut varier d’un facteur 1 à plusieurs millions entre métal rare et fer.
S’il est donc certain que la demande en métaux rares est vouée à croître, il est compliqué de quantifier l’évolution exacte de cette demande pour chaque métal. Les choix technologiques faits dans les prochaines années seront déterminants pour répondre à cette problématique. Ces choix seront aussi bien d’ordre inter-technologique – privilégierons-nous le solaire ou l’éolien ? – que d’ordre intra-technologique – développerons-nous l’éolien offshore ou onshore ? Vers quelle technologie de cellules photovoltaïque nous dirigerons-nous ?
Ces orientations technologiques seront conditionnées par les politiques nationales et locales, par la maturité des technologies, mais aussi par les fluctuations de prix de ces métaux, elles-mêmes liées à leur utilisation par les autres industries[iii].
Quelle que soit la technologie, la demande en métaux, rares ou non, associée dépendra de sa pénétration sur le marché.
Si l’on prend l’exemple du stockage d’énergie à l’échelle du réseau, la technologie aujourd’hui dominante est le pompage-turbinage avec près de 99% des capacités. Cependant, la diminution des coûts des batteries de stockage ainsi que le nombre limité de sites sur lesquels de nouvelles infrastructures de pompage-turbinage peuvent être installées pourrait diminuer la part de marché de ces dernières au profit d’installations de stockage décentralisées telles que les batteries. Le secteur du transport s’intéresse notamment au développement de ces solutions que ce soit pour les véhicules électriques ou hybrides. De nombreux métaux non rares seront eux aussi amenés à voir leur demande croître fortement, comme l’argent, le cuivre et le zinc.
Ces alternatives technologiques suggèrent que le monde doit être préparé à répondre à une forte hausse de la demande de certains métaux, mais aussi à être suffisamment flexible pour répondre à des besoins nouveaux à mesure que des changements économiques et des évolutions techniques se produiront[iv]. Cependant, l’organisation actuelle du marché des métaux rares ne permet pas cette souplesse d’approvisionnement.
Les pays occidentaux sont très dépendants des pays qui produisent des minerais rares. La Commission Européenne estime en effet que près de 90% des approvisionnements des pays membres de l’UE provient de pays extérieurs à l’UE.
Or le marché des métaux rares est aujourd’hui totalement dominé par la Chine. Cette situation de quasi-monopole pour la production de nombreux métaux rares résulte de différents choix économiques et politiques. Au cours des dernières décennies, la Chine a démultiplié les ouvertures de mines ainsi que les fusions acquisitions d’entreprises impliquées dans la valorisation des métaux rares. De ce fait, tout ce qui se passe à Pékin a des incidences sur le reste du monde[v].
Depuis 2004, la Chine a mis en place des verrous économiques : quotas à l’exportation de certaines Terres Rares, les métaux rares les plus convoités, et taxes à l’exportation allant de 15 à 25%. Ces mesures ont été justifiées en mettant en avant la protection de l’environnement et de l’industrie des Terres Rares. Ces freins à l’exportation pourraient aussi et surtout lui permettre de disposer d’assez de ressources pour sa propre industrie et de garder la mainmise sur le marché des Terres Rares, facilitant sa transition énergétique. Cette stratégie a eu un impact direct sur les prix des Terres Rares : la diminution de 35% des exportations chinoises de Terres Rares suite au durcissement des quotas en 2010-2011 a entrainé une augmentation du prix de ces dernières de près de 500%[vi], mettant en défaut les pays importateurs.
Du fait de cette situation quasi-monopolistique, une diminution soudaine de la production minière ou un bond de la demande interne pourraient également mener à des ruptures d’approvisionnement. C’est notamment ce qui s’est passé entre 2006 et 2008 lorsqu’une augmentation brusque de la consommation chinoise de titane a entrainé une multiplication par 10 des prix de marché, mettant alors Dassault Aviation dans une posture très délicate concernant ses approvisionnements. Or la demande interne de la Chine en énergie renouvelable est bel et bien en pleine expansion, et a atteint près de 40% de la demande mondiale en 2017.
L’explosion des prix des Terres Rares en 2011, liée à des craintes de pénurie au niveau mondial, a déclenché une prise de conscience de nombreux acteurs sur leur dépendance aux approvisionnements chinois. Certaines industries occidentales ont choisi de délocaliser leurs technologies et leurs brevets afin d’avoir accès aux métaux qu’ils convoitaient.
Outre les craintes d’ordre économique, les aspects environnementaux et sociaux notamment de l’amont de la filière des métaux rares inquiètent eux aussi.
Les conditions d’extraction de ces matières premières rares se font en effet très souvent dans des conditions dévastatrices pour les pays qui acceptent de les supporter. De nombreux rapports mettent en effet en avant les dommages causés à l’environnement par les mines de métaux rares en Chine. A cela s’ajoute la qualité de vie des travailleurs, forcés d’être au contact de produits chimiques utiles à l’extraction et au raffinage des métaux.
Cependant, la question écologique est en passe de devenir une priorité. En effet, entre 30 000 et 50 000 manifestations contre la pollution ont lieu chaque année en Chine. Le mouvement « NIMBY » (« Not In My Backyard ») relayé par près de 8 000 associations environnementales, rejette lui aussi ce modèle économique chinois.
Face à ce constat, la réponse de nombreux gouvernements et industriels a été d’augmenter les efforts mis en place de solution de substitution et de recyclage de ces métaux rares.
Différentes alternatives de substitution aux métaux rares sont d’ores et déjà présentes sur le marché. On peut notamment citer des technologies telles que les aimants permanents cobalt-samarium installés dans les véhicules électriques Toshiba et totalement dépourvus de Terres Rares. Dans le secteur du photovoltaïque, des substituts à l’indium et au tellurium tels que des polymères organiques ou la pérovskite[vii] existent à l’état de recherche. Le secteur du stockage n’est pas en reste avec le développement de batteries à flux sans vanadium ou encore de batteries plastique-céramique ne contenant aucunes Terres Rares. Encore au stade de recherche, ces différentes alternatives peinent à s’imposer à grande échelle.
Pour ce qui est des procédés industriels de recyclage, le constat reste aujourd’hui assez mitigé. En effet, si le recyclage des métaux non rares comme le cuivre et l’argent est facile, celui des Terres Rares semble compliqué. Bien que le développement de ces procédés soit encouragé (projet EXTRADE deBRGM[viii] qui a pour but de développer des filières de valorisation des aimants permanents utilisant des Terres Rares provenant des déchets électroniques et électriques), il n’existe aujourd’hui pas réellement de filière.
La rentabilité économique de ces différents procédés pose souvent question. Même si les quantités de Terres Rares recyclées ont très probablement augmenté, leur taux de recyclage est estimé inférieur à 1% et celui des métaux rares dépasse rarement 5 à 10% dans le meilleur des cas. La contribution du recyclage aux besoins totaux est donc loin d’être significative, et ce d’autant plus que la demande est en forte croissance.
Une autre solution est envisageable pour certains pays afin de faire évoluer positivement les chaînes d’approvisionnement des métaux rares : l’ouverture de nouvelles mines sur leur territoire. Dans le cas de la France, le débat autour de nouveaux projets miniers a été réouvert lors de la campagne présidentielle de 2012 lorsque M. Hollande parlait de la réindustrialisation de la France. Le président Macron a quant à lui mis en place l’initiative « mines responsables » afin de réfléchir à des moyens plus propres d’extraction minière pour des futurs projets en France. Bien que de nombreux groupes soient en défaveur de l’ouverture de nouvelles mines, la délocalisation de ces mines, notamment en Chine, peut être perçue comme une délocalisation de la pollution. La relocalisation des mines en France, associée au développement d’une industrie responsable pourrait ouvrir la voie à une amélioration notable des process d’extraction, de raffinage et pourrait en outre dynamiser la filière du recyclage des métaux rares.
Lorsque nous parlons de transition énergétique, la notion de métaux rares est capitale. Ils sont aux énergies vertes ce que le charbon fut à la première révolution industrielle et le pétrole à la seconde. Au caractère renouvelable et donc à fortiori infini des énergies solaire et éolienne s’oppose la rareté de ces matières premières, essentielles à leur exploitation.
Le contexte politique et réglementaire général semble en faveur d’une croissance de plus en plus forte des énergies vertes. Seulement, ces technologies pourraient, in fine, consommer « significativement plus de ressources que les systèmes traditionnels basés sur les énergies fossiles », alerte la Banque Mondiale. Ce sont des filières réellement durables qu’il faudra réussir à mettre en place, de l’extraction des métaux à la production desdites technologies. Il est en effet peu probable que les pays extracteurs comme la Chine acceptent de supporter seuls le poids environnemental grandissant des révolutions technologiques et énergétiques.
Notes et Sources :
[i]Bloomberg New Energy Finance
[ii] COMMUNICATION DE LA COMMISSION AU PARLEMENT EUROPÉEN, AU CONSEIL, AU COMITÉ ÉCONOMIQUE ET SOCIAL EUROPÉEN ET AU COMITÉ DES RÉGIONS
[iii] The Growing Role of Minerals and Metals for a Low Carbon Future, 2017 International Bank for Reconstruction and Development/The World Bank
[iv] Etude Lepesant transition 2018
[vi] La guerre des métaux rares – la face cachée de la transition énergétique et numérique, Guillaume Pitron
[vii] Ergen et al., 2017