La reconversion, parent pauvre des politiques d…
Pour faire face aux actes terroristes qui ont touché le secteur aérien depuis 1949, de nombreuses mesures de sûreté ont été prises.
Pour faire face aux actes terroristes qui ont touché le secteur aérien depuis 1949, de nombreuses mesures de sûreté ont été prises. Ce sont cependant les attentats du 11 septembre 2001 qui signent le début d’une nouvelle ère pour la sûreté aérienne, synonyme d’un renforcement drastique des moyens mis en œuvre pour lutter contre les actes terroristes. Récemment, les attentats de l’aéroport d’Istanbul et de Bruxelles Zaventem en 2016, ainsi que l’attaque d’un militaire de l’opération Sentinelle à Orly en mars 2017 nous rappellent la vulnérabilité des aéroports, l’intérêt croissant qu’y portent les organisations terroristes et l’évolution des menaces qui en découlent.
La sûreté aérienne est un enjeu de taille. En France cela se traduit notamment par plusieurs dispositifs à caractère exceptionnel mis en place :
• Le plan Vigipirate, en vigueur depuis 1995, et dont les niveaux ont été plusieurs fois actualisés
• L’opération Sentinelle, mise en place après les attentats de janvier 2015
• L’État d’urgence, actif depuis novembre 2015
Aujourd’hui, les dispositifs en place pour assurer la sûreté aéroportuaire sont nombreux et lourds de conséquences. Les voyageurs voient leur parcours entravé par les mesures de sûreté, et subissent le coût considérable de la sûreté aérienne à travers une augmentation des prix des billets.
Alors que la menace terroriste évolue et s’accentue, les moyens déployés sont-ils efficaces et efficients ?
Les effectifs de police et militaires ont été renforcés dans les aéroports. Néanmoins, la mise en place de l’Etat d’urgence et l’activation du niveau « sécurité renforcée – risque d’attentat » du plan Vigipirate ont occasionné une hausse de la durée et du nombre de contrôles des passagers et des bagages qui a finalement induit une faiblesse relative des effectifs. On peut notamment citer le rétablissement des contrôles aléatoires pour les vols de l'espace Schengen.
De telles mesures impactent les passagers : la grogne occasionnée par l’allongement de la durée globale nécessaire aux processus de sûreté et sécurité à Roissy et Orly au printemps 2017 n’a pas dû vous échapper. Aujourd’hui, les temps d’attentes des voyageurs sont multipliés, les halls d’aéroports sont engorgés et les capacités dépassent parfois les 120% d’occupation, comme à Toulouse [1].
Autres acteurs particulièrement impactés : les compagnies aériennes. Avec l’augmentation des délais de contrôle de voyageurs, ce sont de nombreux retards qui sont occasionnés, provoquant leur colère. Chez Transavia, on recommande désormais aux voyageurs de venir plus de 3h en avance à l’aéroport afin d’être sûrs de pouvoir embarquer. Les avions accumulent des dizaines d’heures de retard par jour, que les compagnies peinent à rattraper. Une partie de ces retards est à imputer aux mesures de sûreté. Deux solutions palliatives observées à date : le rattrapage en vol moyennant une consommation plus élevée ou, dans le pire des cas, des avions déroutés.
A l’étranger, le constat est le même. Aux Etats-Unis, en 2016, la Transportation Security Administration (TSA), agence fédérale qui gère les contrôles de sécurité, a été complètement dépassée. En cause, des problèmes techniques, mais surtout un manque criant de personnel pour fouiller bagages et passagers. Par conséquent, un pic de dysfonctionnement fut atteint au printemps 2016, entraînant de longues attentes, difficilement vécues par les passagers dans les couloirs surpeuplés des plus grands aéroports américains.
Alors que des systèmes comme le PreCheck aux USA [2] (les voyageurs fréquents peuvent choisir plusieurs formules payantes leur évitant certains contrôles en aéroport) rencontrent un succès mitigé, une première réponse qui semble évidente repose sur l’automatisation des contrôles afin d’accélérer le parcours du voyageur jusqu’à l’embarquement. David Skuli, le Directeur de la Police aux Frontières (PAF), déclarait en avril dernier devant le Sénat : « Certains espaces traditionnels, dans les ports et les aéroports, doivent être modernisés, en privilégiant les interfaces homme-machine». Les réponses techniques sont nombreuses : reconnaissance faciale, interrogation en quelques secondes des fichiers de police, tunnels électroniques "renifleurs" d'explosifs, ou encore logiciels d’aide à la décision sont à l’étude par la police. Pour accélérer la modernisation des contrôles, la DGAC [3] a lancé en 2014 un appel à projets, le programme national d’innovation « Vision Sûreté ». Ce programme a pour ambition d’améliorer les procédures actuelles via une approche globale, assurant la cohérence et l’efficience du système de sûreté en place. Plusieurs expérimentations ont déjà été menées : à titre d’exemple, l’aéroport de Toulouse-Blagnac va tester le déploiement de logiciels d’aide à la décision facilitant la recherche d’armes à feu ou de liquides et permettant une validation automatique de bannettes passées aux rayons X.
Certains moyens de contrôle automatiques ont déjà été testés et mis en œuvre en France. C’est le cas du système COVADIS (Contrôle et Vérification automatique des Documents d'Identité) utilisé par la PAF. Seul hic, dans les aéroports régionaux, ce sont les douaniers qui sont en charge des contrôles or ceux-ci ne sont pas équipés du système COVADIS et doivent saisir toutes les informations à la main. Le système PARAFE (Passage Automatisé Rapide Aux Frontières Extérieures) est en déploiement à Marseille, à Roissy et à Orly. ADP a décidé d'installer à ses frais 87 sas Parafe à Roissy-CDG et à Orly, dont 70 d'ici à novembre 2017, pour faire face à l’explosion des temps d’attente pour les voyageurs.
A terme, les sas PARAFE devraient permettre de réduire considérablement le temps nécessaire à chaque contrôle d’identité, ainsi que le nombre d’agents de la PAF (1 superviseur pour 5 sas). Cependant, pour l’heure, il est fait état de nombreux dysfonctionnements techniques. Aussi, les sas PARAFE n’ont toujours pas reçu l’agrément du ministère de l’Intérieur pour l’utilisation de la reconnaissance faciale, qui permettrait pourtant de multiplier par huit le nombre de contrôles automatiques d’après ADP. Cette autorisation ne surviendra sûrement qu’en 2018, alors que les contrôles de passeport pour l’Eurostar en bénéficient déjà à Paris Nord [4]. De ce fait, les sas PARAFE ne sont pour l’instant utilisables que par les français munis d’un passeport biométrique.
D’ici 2020, le trafic de voyageurs transitant par Roissy et Orly passera de 97M/an (2016) à 110M/an d’après certaines projections. Dans ce contexte, avec la menace évolutive en augmentation, il est urgent de pallier les problèmes actuels.
L’automatisation des contrôles, en diminuant le temps de contrôle et en réduisant le nombre d’employés de sécurité ou de police nécessaires est le moyen plébiscité. La démarche doit cependant être soutenue par l’Etat, tant du point de vue législatif que financier, alors que les aéroports supportent la majorité du coût d’installation de ces moyens automatisés.
Le sujet du financement reste le point le plus sensible. Alors que le Ministère de l’Intérieur et celui des transports ont vu leur budget raboté respectivement de 526M€ et 260M€ en juillet 2017, comment concilier renforcement des mesures de sûreté et réduction des budgets ?
Aujourd’hui, le coût annuel de la sûreté aéroportuaire se situe aux alentours de 800M€, soit 35% de plus que la moyenne européenne [5] ! Et la facture s’annonce de plus en plus salée avec l’augmentation du trafic voyageur, mais aussi avec les perspectives d’investissements obligatoires pour les aéroports (par exemple : l'obligation européenne d'installer d'ici à 2020 des détecteurs d'explosifs de standard 3, d'un coût estimé à 800M€). L’essentiel du coût se retrouve pour l’heure dans les taxes aéroportuaires et est donc répercuté sur les voyageurs et absorbé en partie par les compagnies aériennes. 11,20€, c’est le coût moyen par passager de la sûreté aérienne en France en 2016. Un niveau supérieur à celui des autres pays européens et dont 78% incombent aux compagnies aériennes, rappelait Frédéric Gagey, directeur financier d’Air France KLM en octobre 2016. A titre de comparaison, aux Etats-Unis, l'Etat finance à hauteur de 57% les mesures de sûreté du transport aérien, contre environ 8% en France !
Dans le contexte actuel de menace permanente, nous assistons à un paradoxe : alors que la population attend de l’Etat une implication accrue face à cette menace, celui-ci s’est inscrit dans une démarche de réductions des moyens dédiés à la sûreté, notamment dans les aéroports. Parallèlement à la réduction des moyens, la sûreté, en particulier aéroportuaire, est progressivement déléguée et donc externalisée depuis les années 90. En France, on compte en 2017 près de 170 000 agents de sécurité privée travaillant au sein de 5 000 entreprises, contre environ 149 700 agents au sein de la Police Nationale ! Cette « coproduction » publique-privée de la sûreté permet donc de compenser la baisse des moyens alloués aux forces de police et de gendarmerie tout en faisant face à cette menace grandissante.
Selon les doctrines, le champ des missions régaliennes de l’Etat varie. Il est commun à l’essentiel de celles-ci que la sûreté est au cœur des fonctions régaliennes, et ce même dans les courants les plus libéraux. A l’heure où la menace terroriste est omniprésente, la question de la place de l’Etat dans le financement de la sûreté aéroportuaire se pose. De nombreux opérateurs du secteur invitent l’Etat à s’impliquer davantage dans le financement de la sûreté, comme le soulignait Alexandre de Juniac, PDG de IATA, lors des rencontres AVSEC6 2016 : la sûreté doit être selon lui la responsabilité des gouvernements.
Alors quels sont les leviers d’action ? Si embaucher plus de fonctionnaires de police ne parait pas être une solution à long terme, l’Etat français pourrait toutefois reprendre une part plus importante dans la production de la sûreté. Soutenir financièrement l’installation des sas PARAFE ainsi que des détecteurs d’explosifs nouvelle génération est un premier sujet car la santé financière des compagnies aériennes ne leur permet pas de supporter ces coûts et d’impacter à nouveau le prix des billets. Les aéroports sont en première ligne également pour supporter ces investissements. Nous avons évoqué l’innovation qui peut permettre de réduire les moyens humains en mettant en place de nouveaux moyens de contrôles des bagages et des voyageurs. Proposer des programmes d’innovation comme le programme « Vision Sûreté » et faciliter le processus législatif et administratifs pour favoriser les expérimentations est une voie à privilégier. L’Etat pourrait aisément, du fait son influence et de son réseau, favoriser la coopération entre tous les acteurs : création d’un organisme d’Etat rassemblant des fonctionnaires de tous les services concernés (DGAC, PAF, Gendarmerie des transports aériens, douanes, services secrets), favoriser une meilleure coordination entre les services de l'Etat en charge de la sûreté aérienne et les acteurs privés (compagnies aériennes, aéroports, industriels). Cette coopération doit se faire au niveau international car la menace est globale. Il faut donc impliquer les grands organismes internationaux (IATA, OACI, FAA, L’Agence européenne de la sécurité aérienne, l’Airports Council International, etc.). Le partage des données Passenger Name Record (PNR) se heurte encore à des problèmes légaux entre les états et des problèmes liés à la confidentialité. Le vote du PNR en 2016 par l’UE montre que la volonté de coopération est réelle mais l’harmonisation du droit entre les différents États européens prend du temps.
Nous faisons état ici d’une liste non exhaustive de problèmes qui se posent aujourd’hui pour la sûreté aérienne. Alors que la menace terroriste est globale et polymorphe, les acteurs du secteur aérien font face à une problématique générale de financement et à l’externalisation progressive des moyens humains en place. De plus, l’ensemble des contrôles à l’œuvre dans les aéroports montre une situation totalement saturée qui impacte grandement les voyageurs et les compagnies aériennes.
Si l’Etat ne répond pas à l’invitation des professionnels de l’aérien à s’impliquer davantage dans le financement de la sûreté, d’autres sources de financement devront être trouvées. L'assiette de la taxe aéroportuaire pourrait par exemple être élargie aux commerces ou aux hôtels des aérogares.
Alors que le premier semestre 2017 a été le théâtre d’une croissance exceptionnelle du trafic aérien mondial (+7,8%) et que le nombre de voyageurs devrait doubler dans les 15 prochaines années, il est urgent d’agir et de mobiliser l’ensemble des acteurs dans le financement de la sûreté.