La reconversion, parent pauvre des politiques d…
Ouvrant la voie à l'accélération du développement de projets neutres en carbone.
Pour réaliser son ambitieux projet de neutralité carbone en 2050, l'UE a adopté un cadre de certification d’élimination du carbone (CRCF=Carbon Removal Certification Framework) afin d'ouvrir la voie au développement de solutions d'élimination du carbone. Ce cadre commun certifiant les absorptions de carbone de haute qualité, a été voté le 10 avril 2024 par le Parlement européen.
"Les modèles d’affaires liés à aux absorptions de carbone sont toujours insuffisamment investigués par les acteurs du marché qui pourraient être concernés ", selon Charlotte de Lorgeril, Partners Energy, Environment & Utilities à Sia Partners. "Le futur cadre européen pourra débloquer certains freins majeurs de ces modèles d’affaires."
L'Union européenne (UE) cherche activement des solutions pour relever le défi urgent du changement climatique, en s'attaquant notamment à son principal moteur : les émissions de dioxyde de carbone (CO2). Bien que l'UE ne représente qu'environ 8 % des émissions mondiales de CO2, elle porte une responsabilité historique, étant l'une des premières régions industrialisées avec une révolution industrielle qui a commencé à la fin du XVIIIe siècle. Plus de deux siècles plus tard, l'UE s'est engagée dans la transition vers la neutralité carbone, témoignant de son engagement à travers plusieurs initiatives et réglementations.
Le 6 février 2024, l'UE a publié l'un des derniers éléments de sa stratégie en faveur de la neutralité carbone : la stratégie de gestion industrielle de l'UE. Cette stratégie souligne la nécessité d'accélérer le déploiement de solutions de captage et de stockage du carbone afin d'atteindre la neutralité carbone d'ici 2050. La stratégie définit des objectifs spécifiques, visant à capturer environ 280 millions de tonnes (Mt) d'équivalent CO2 d'ici 2040 et 450 Mt d'ici 2050. Les acteurs du secteur affirment qu'ils pourraient capter jusqu'à 80 Mt d'équivalent CO2 par an en Europe d'ici à 2030, sous réserve des conditions d'investissement nécessaires.
La mise en œuvre du cadre de certification de l'absorption du carbone générera de nouvelles opportunités de revenus pour les entreprises activement engagées dans l'élimination du CO2 présent dans l'atmosphère. En outre, elle permettra de développer de nouvelles opportunités d'investissement et de nouveaux modèles économiques, tout en faisant progresser efficacement les objectifs de neutralité climatique.
Après être parvenu à un accord provisoire avec le Conseil, le Parlement européen a finalement adopté ce nouveau règlement visant à établir le premier cadre volontaire à l'échelle de l'UE pour certifier de manière fiable les projets d’élimination de carbone de haute qualité. Les principaux objectifs de ce nouveau règlement sont d'accélérer le déploiement d'absorptions de carbone vérifiables et de haute qualité, d'encourager les industries, les agriculteurs et les forestiers à adopter des solutions efficaces d'élimination du carbone, de garantir la capacité de l'UE à quantifier, contrôler et vérifier les absorptions de carbone, de lutter contre le greenwashing en se concentrant sur les absorptions de haute qualité et en instaurant la confiance grâce à des absorptions fiables, et de stimuler une grande variété d'options de financement de sources privées ou publique.
Le vote final en séance plénière du Parlement européen a eu lieu le 10 avril 2024. L'accord entrera donc en vigueur en 2024, après adoption par le Conseil de l’UE. Parallèlement au processus législatif, des travaux ont été entamés sur des méthodologies détaillées pour diverses activités d'élimination du carbone, qui seront définies par la Commission dans des actes délégués distincts.
D'ici à 2026, la Commission est invitée à évaluer la possibilité d'inclure les absorptions permanentes de carbone dans le système d'échange de quotas d'émission de l'UE (SEQE-UE, ou EU ETS) et, à terme, à présenter une proposition législative et une analyse d'impact.
Par exemple, les agriculteurs, les gestionnaires de terres ou les acteurs traditionnels du CO2 biogénique pourront désormais obtenir et échanger des certifications d'élimination du carbone avec des industries visant la neutralité carbone. Le CRCF améliorera la qualité des crédits d'élimination du carbone échangés sur les marchés volontaires du carbone et ouvrira la voie aux investissements dans des projets qui excellent dans l'élimination du carbone, car les investisseurs seront en mesure de mieux comparer les efforts d'élimination du carbone en utilisant les critères de qualité et les méthodes de certification du CRCF.
Pour les entreprises cherchant à communiquer de manière transparente sur leur empreinte environnementale, les unités d'élimination de carbone pourraient être utilisées comme outil pour faciliter la déclaration des émissions et des absorptions totales et pour neutraliser les émissions résiduelles dans la chaîne de valeur pour la norme d’information en matière de durabilité ESRS E1 adoptée dans le cadre de la directive sur le reporting de durabilité des entreprises (Corporate Sustainability Reporting Directive CRSD). De plus, les unités de carbone éliminé pourraient également être utilisées pour répondre aux exigences de la proposition de directive sur les allégations vertes (Green Claims Directive GCD) qui établit des exigences pour la communication des allégations environnementales des entreprises aux consommateurs, afin d'éviter le greenwashing. En outre, grâce à la méthodologie de certification CRCF pour le stockage du carbone dans les produits, les propriétaires de bâtiments pourront fournir des preuves tangibles des capacités de stockage du carbone de leurs structures dans le certificat de performance énergétique (Energy Performance Certificate, ou EPC) de leur bâtiment, conformément à la directive révisée sur la performance énergétique des bâtiments (Energy Performance of Buildings Directive EPBD) qui autorise désormais la déclaration de la capacité de stockage du carbone de la structure sur l'EPC.
Les réductions d'émissions du bétail ne sont pas éligibles à la certification dans le cadre du CRCF, mais pourraient être incluses dans le périmètre de l'agriculture du carbone d'ici 2026, la Commission ayant l'intention d'évaluer la faisabilité de la certification des activités qui réduisent les émissions agricoles provenant de la gestion du bétail.
Différents modèles économiques verront le jour pour récompenser les efforts d'élimination du carbone. Grâce à cette certification de l'UE, les entreprises et les organisations pourront demander un financement au titre de programmes de l'UE tels que la politique agricole commune (PAC), le Fonds pour l'Innovation ou les régimes d'aides d'État des États membres, en se fondant sur les critères de qualité du CRCF. De plus, les entreprises peuvent offrir des incitations à leurs fournisseurs pour qu'ils procèdent à une élimination supplémentaire du carbone, avec l'appui d'une certification fiable.
Au-delà de son rôle dans la standardisation de la comptabilité carbone, les futures réglementations européennes devraient instaurer des procédures rigoureuses de quantification, de suivi et de vérification des activités d'absorption du carbone. Ces mesures sont essentielles pour guider l'UE vers son objectif ambitieux d'atteindre la neutralité carbone d'ici 2050 et au-delà, afin d'éliminer les émissions passées de l'atmosphère et de réduire l'intensité du CO2.
Des initiatives d’élimination du carbone émergent déjà. Plusieurs appels ont été lancés par des acteurs publics et privés pour réglementer ces initiatives d'élimination du carbone après que certaines pratiques d'élimination du carbone se soient révélées inefficaces, bien qu'elles aient été certifiées par un certificateur réputé et utilisées par des entreprises mondiales pour compenser leurs émissions. Une analyse récente menée par des journalistes a conclu que 90 % des crédits de compensation de la forêt tropicale qui ont été certifiés n'auraient pas dû l'être.
L'enjeu pour les acteurs du secteur est la transparence et la confiance dans les informations communiquées sur l'efficacité et l'efficience des processus d'élimination. Le principal avantage de la mise en place d'un tel cadre commun pour la certification de l'élimination du carbone est d'atténuer le risque de greenwashing de la part de certains fournisseurs de services d'élimination du carbone et de renforcer la confiance des acheteurs en mettant l'accent sur des éliminations dignes de confiance.
De même, l'établissement de normes communes permettra une concurrence loyale entre les acteurs, ce qui est essentiel dans un domaine innovant et concurrentiel tel que celui des technologies de captage direct de carbone de l’air (Direct Air Capture DAC). Ce cadre règlementaire permettra non seulement d'uniformiser les règles du jeu, mais également d’encourager l'adoption de solutions d'élimination du carbone plus efficaces et afin de lutter contre le changement climatique de la manière la plus efficace.
En garantissant une information de qualité et transparente aux clients potentiels, ce cadre réglementaire encouragera l'émergence de nouvelles opportunités économiques, commerciales et financières. Pour les acteurs "traditionnels" de l'absorption du carbone, tels que les agriculteurs, les gestionnaires de terres et les forestiers, qui contribueraient aux objectifs climatiques de l'UE par des capacités d'absorption additionnelles, le CRCF pourrait débloquer des flux de revenus supplémentaires. Quant aux acteurs innovants qui développent des solutions techniques telles que le captage direct du CO2 de l'air, l'introduction du CRCF renforcera leurs modèles d'affaires et mènera à divers mécanismes de financement de la part d'entités privées et publiques.
Le règlement sur l'absorption du carbone établit des distinctions entre les différents processus d'absorption et de stockage du carbone, dont beaucoup peuvent être certifiés dans le cadre de la proposition :
Le carbone peut être stocké de manière permanente grâce à des solutions telles que la bioénergie avec captage et stockage du carbone (Bioenergy with carbon Capture & Storage, ou BECCS) ou le captage direct du CO2 de l'air avec captage et stockage du carbone (Direct Air Capture with Carbon Capture & Storage, ou DACCS).
De plus, le carbone peut être stocké naturellement sur les terres grâce à des activités qui améliorent la capture du carbone dans les sols et les forêts ou qui réduisent les émissions de carbone des sols dans l'atmosphère (par exemple, la restauration des tourbières).
Enfin, le carbone atmosphérique peut être capturé par les arbres ou des technologies industrielles et stocké dans des produits et matériaux durables, tels que la construction à base de bois.
La proposition de la Commission européenne ne couvre pas la capture du carbone fossile à des fins de stockage et d'utilisation (Carbon Capture & Utilisation or Storage CCUS).
Selon cette proposition, les activités d'élimination du carbone doivent répondre à quatre critères QUALITY :
QUantification : Les activités d'élimination du carbone doivent être mesurées avec précision et offrir des avantages non équivoques en matière d'élimination du carbone. Le "bénéfice net de l'élimination du carbone" doit être quantifié de manière robuste et précise.
Additionnalité : Les activités d'élimination du carbone doivent aller au-delà des pratiques courantes et des exigences légales. La méthode privilégiée pour démontrer l'additionnalité consiste à définir un niveau de référence "standard" reflétant les pratiques courantes et les conditions réglementaires et de marché. Pour garantir une ambition à long terme, le niveau de référence doit être mis à jour périodiquement.
Long-terme storage (Stockage à long terme) : Les activités d'élimination du carbone doivent garantir que le carbone éliminé est stocké aussi longtemps que possible, et le risque de libération de carbone doit être réduit au minimum. Les certificats tiendront clairement compte de la durée du stockage du carbone et distingueront le stockage permanent du stockage temporaire et du stockage à long terme. Par exemple, dans le cas du stockage du carbone dans des produits, le stockage doit respecter une période de contrôle d'au moins 35 ans pour bénéficier du système de certification. Au bout de 35 ans, si les opérateurs ne procèdent pas à un nouveau contrôle, le carbone capturé et stocké est considéré libéré dans l'atmosphère.
SustainabilITY (Durabilité) : Les activités d'élimination du carbone doivent avoir un impact neutre sur d'autres objectifs environnementaux tels que la biodiversité, l'adaptation au changement climatique, la réduction des émissions de gaz à effet de serre, la qualité de l'eau, la pollution zéro ou l'économie circulaire, ou générer des co-bénéfices pour ces objectifs. La Commission donnera la priorité à l'élaboration de méthodes de certification adaptées aux activités d’agriculture de carbone qui présentent des avantages connexes importants pour la biodiversité.
Pour obtenir la certification d’absorption du carbone, les opérateurs d'activités d'élimination du carbone devront s'adresser à un système de certification public ou privé approuvé par la Commission européenne. Des organismes de certification indépendants évalueront les activités d'élimination du carbone pour vérifier si elles sont conformes aux critères. En cas d'approbation, des certificats de conformité, valables jusqu'au prochain audit de re-certification (généralement tous les ans, ou au moins tous les 5 ans), et des unités d'élimination de carbone seront délivrées. De plus, les résumés des audits et les certificats de conformité seront enregistrés dans des registres publics gérés par les systèmes de certification jusqu'à l'établissement du registre CRCF de l'Union européenne.
Afin de minimiser les coûts de contrôle et de certification, la surveillance sera une combinaison de télédétection ou de modélisation et de mesures sur site conformément aux règles établies dans les méthodologies de certification de l'UE. En outre, l'audit de groupe sera autorisé pour les groupes d'opérateurs (par exemple, les petits agriculteurs et les propriétaires de forêts), et le règlement définira des niveaux de référence normalisés et encouragera les synergies avec d'autres systèmes d'information de l'UE, tels que le système d'information sur les parcelles agricoles (Land Parcel Identification System LPIS) établi dans le cadre de la politique agricole commune (PAC).
Maintenant que la proposition a été adoptée par le Parlement européen à une large majorité - 441 députés pour, 139 contre et 41 abstentions - ce nouveau texte doit encore être approuvé par les États membres au sein du Conseil de l'UE. Une fois adoptées par les ministres nationaux, les nouvelles règles entreront officiellement en vigueur 20 jours plus tard.
Ensuite, la prochaine étape pour la Commission européenne sera d’encadrer la mise en œuvre de cette nouvelle législation par le biais d'actes délégués ayant pour objectif principal d'introduire des méthodologies de certification adaptées aux différents types d'activités de captage du carbone - agriculture de carbone et stockage dans les produits, stockage permanent et stockage dans des produits durables - basées sur le travail de 70 experts.
Ces actes délégués devraient également mettre en œuvre des règles de vérification par des tiers et établir un registre européen des certificats d’absorptions du carbone. Ce processus sera également l'occasion de traiter les problèmes qui ont pu être soulevés par les ONG afin d'éviter les pratiques de greenwashing.
D'ici 2026, la Commission doit également évaluer la possibilité d'inclure les absorptions permanentes de carbone dans le système d'échange de quotas d'émission de l'UE (SEQE-UE), et éventuellement présenter une proposition législative et l’évaluation de l'impact d'une telle inclusion.
" Les modèles d’affaires liés à aux absorptions de carbone sont toujours insuffisamment investigués par les acteurs du marché qui pourraient être concernés", selon Charlotte de Lorgeril, Partners Energy, Environment& Utilities chez Sia Partners. "Il y a plusieurs raisons à cela : la complexité des modèles commerciaux, le faible niveau de sensibilisation, la crainte d'être accusé de greenwashing et le manque de confiance dans les systèmes de certification. Le futur cadre européen pourra apporter une réponse à certaines de ces problématiques."
"La réglementation définit par ailleurs un ensemble de bonnes pratiques qui pourraient inspirer les législateurs et les labels dans d'autres géographies."
Pour Yann Lesestre, Manager Energy, Environment & Utilities chez Sia Partners, "Certains projets d’absorption de carbone nécessiteront de structurer entièrement de nouvelles chaînes de valeur, impliquant les producteurs de CO2, les transporteurs et éventuellement les consommateurs de CO2. Des partenariats solides et à long terme entre tous ces acteurs et les acheteurs des certificats d’absorption de carbone seront un moyen d’atténuer les risques des projets. Cette approche sera également essentielle pour accroître la confiance des acheteurs dans la qualité des certificats achetés."