La reconversion, parent pauvre des politiques d…
Subjectif, inadapté, chronophage, bureaucratique... de nombreux experts de la fonction RH ont pointé récemment l'obsolescence de l'entretien annuel comme outil d'évaluation des collaborateurs.
Il reste pourtant, dans l'immense majorité des entreprises, un des rares moments dédiés à la prise de recul sur le travail réalisé. Nous vous proposons dans cet article de comprendre les reproches qui lui sont adressés et trois leviers pour en faire un outil au service de la performance des organisations. Ces constats et recommandations sont basés sur un benchmark des pratiques d’évaluation conduit auprès de 400 professionnels : collaborateurs, RH et managers.
Le principal reproche concernant l’entretien d’évaluation, qui a conduit des entreprises comme General Electrics ou Microsoft à en repenser radicalement le format, est l’inadéquation du rythme annuel à la réalité du fonctionnement des entreprises. En effet, au moment de l’évaluation, les éléments factuels qui devraient la sous-tendre dépendent largement de la mémoire sélective de l’évaluateur. La fixation d’objectifs annuels ou biannuels apparaît par ailleurs comme un facteur de rigidité dans des entreprises dont les priorités évoluent tout au long de l’année.
Le second reproche adressé est la subjectivité de l’exercice, tout particulièrement dans les métiers de service et les fonctions administratives. Dans 96% des cas, l’évaluation est conduite par le manager hiérarchique, complétée seulement dans 20% des cas par un responsable de projet et dans 10% par une évaluation par les pairs. Etre ainsi évalué par une seule personne, contribue à donner le sentiment d’un « fait du prince », accentué dans certaines entreprises par l’intégration de critères comportementaux ou d'adhésion à des valeurs.
Enfin, les entretiens d’évaluation sont jugés chronophages et bureaucratiques : l’évaluation des collaborateurs est essentiellement portée par le management de proximité, parfois mal à l’aise avec l’exercice, et très largement structurés autour de la saisie d’une trame d’évaluation assise sur des référentiels de compétences souvent très denses. Ce formalisme des échanges n’invite que trop rarement managers et collaborateurs à de vrais retours d’expérience constructifs.
Le constat est sévère : seuls 32% des collaborateurs estiment que l'entretien est réellement utile.
Malgré cela, pour les trois quarts des collaborateurs interrogés, il reste un rituel incontournable ou un moment d’échange privilégié. Ce n’est donc pas tant le principe de l’entretien d’évaluation qui est remis en question que ses modalités de mise en œuvre.
Dans ce contexte, quelles sont les leviers d’action pour redonner du sens et de la valeur aux entretiens d’évaluation ?
Seuls 38% des collaborateurs considèrent que l’entretien a une influence sur les formations proposées l’année suivante. Pourtant, le seul moyen pour qu’il retrouve du sens pour les collaborateurs est qu’ils perçoivent concrètement les actions qui en découlent : si l’entretien ne peut pas donner systématiquement lieu à des décisions de reconnaissance (promotion, prime, rémunération), il doit a minima se traduire par un plan de développement individuel dont les effets sont visibles à court terme (formation et autres modalités d’accompagnement).
Pour cela, les processus RH de l’entreprise doivent être en capacité de compiler et d’exploiter utilement l’ensemble des informations collectées dans le cadre des campagnes d’évaluation ; et de communiquer activement auprès des managers et des collaborateurs sur les décisions prises en conséquence.
De façon générale, la communication de la fonction RH sur la philosophie, les objectifs et sur les suites données à l’évaluation est fondamentale pour une bonne compréhension de tous.
Evaluer la performance d’un collaborateur est un exercice périlleux, tant sur le fond pour asseoir ses décisions sur des éléments tangibles et dimensionnés aux objectifs, que sur la forme pour que les messages positifs comme les points d’amélioration soient bien compris et intégrés. Pourtant, les managers de proximité sont trop rarement formés à la conduite d’entretiens ou aux techniques de feedback, qui sont fondamentales pour que l’évaluation soit utile pour le collaborateur comme pour le manager.
Par ailleurs, pour optimiser le temps consacré à l’échange, il convient d’en réduire autant que possible la charge de travail administrative. Cela passe par l’adoption d’outils digitaux performants (interfaces simples, informations pré-remplies sur l’historique de poste ou de formation, formulaires et données RH accessibles sur mobile ou tablette), mais également par une remise en question des référentiels d’évaluation en challengeant l’utilité de chacun des champs.
Enfin, pour répondre aux limites de la périodicité de l’évaluation annuelle, les pratiques de feedback continu permettent de suivre et documenter la performance tout au long de l’année afin d’enrichir et de recentrer la revue annuelle.
Le développement du fonctionnement en projets et d’organisations matricielles amènent à repenser l’évaluation unilatérale par le responsable hiérarchique. L’instauration de pratiques de revues par les pairs ou à 360° permet d’enrichir fortement l’exercice d’évaluation et de minimiser les biais en y intégrant des feedbacks croisés, concrets, ancrés dans leur contexte.
Pour favoriser le lien entre les objectifs stratégiques de l’entreprise et les actions au quotidien des salariés, certaines entreprises mettent en place des systèmes d’objectifs basés sur la méthode OKR popularisée par Google : la Direction définit des objectifs à long terme, que le manager transpose en objectifs individuels à moyen terme partagés avec le salarié, ce dernier définissant lui-même les résultats tangibles qu’il vise à court terme.
Au-delà de ces bonnes pratiques, l’enjeu pour chaque organisation est de concevoir le dispositif sur mesure qui prend en compte ses enjeux métier et sa culture d’entreprise. De notre expérience, de nombreux processus d’évaluation ont pu être déployés dans le passé en prenant pour point de départ des objectifs propres à l’administration des ressources humaines. Pour redonner tout son sens à l’évaluation, il est fondamental de repartir des enjeux concrets et quotidiens des managers (pouvoir s’appuyer sur des équipes formées et engagées) et des collaborateurs (avoir les compétences et les moyens nécessaires à l’exercice de leurs missions, être traités avec équité en termes de reconnaissance et de parcours professionnel).
Dans cette optique, la refonte d’un processus d’évaluation passera nécessairement par la constitution d’ateliers mixtes impliquant collaborateurs, managers et fonctions RH, ainsi que des méthodologies inspirées de l’approche Design Thinking, pour favoriser la compréhension par tous des freins à lever pour faire de l’entretien annuel un réel levier de dialogue, de développement professionnel et d’engagement.