La reconversion, parent pauvre des politiques d…
L'affaire du Médiator, lorsqu'elle éclate en novembre 2009, révèle les failles du système français de contrôle des produits de santé, chapeauté par l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps).
C'est en effet l'Afssaps qui délivre les Autorisations de Mise sur le Marché (AMM) pour les produits de santé, contrôle leur efficacité, et supervise de manière générale la chaîne du médicament.
Deux ans plus tard, l’Assemblée Nationale adopte la loi instaurant la nouvelle Agence Nationale de Sécurité du Médicament et des produits de santé (ANSM), qui remplace l’Afssaps. Cependant, que se cache-t-il derrière ce changement de nom : quelles sont les véritables évolutions, et surtout le chemin restant à parcourir ?
Pour bien cerner les enjeux auxquels sera confronté ce nouvel établissement public sanitaire, il faut d’abord que nous revenions sur les défaillances à l’origine du scandale du Médiator, duquel se rapproche aujourd’hui l’affaire des prothèses PIP. Nous verrons que le Ministère de la Santé, en s’inspirant du rapport commandé par N. Sarkozy sur le contrôle des produits de santé, n’a pas répondu à toutes les problématiques avec la loi du 29 décembre 2011. En effet, il nous semble que le flou demeure sur la question de la réorganisation de l’Afssaps.
Plusieurs études réalisées en 2010, notamment par la Caisse Nationale de l’Assurance Maladie (CNAM) ou le Centre Hospitalier de Brest, pointent du doigt le lien entre l’usage du Médiator et le décès de plus de 500 personnes : elles mettent ainsi en cause la responsabilité de l’Afssaps qui avait autorisé, et surtout maintenu, la mise sur le marché d’un produit pharmaceutique contre lequel plusieurs alertes avaient été remontées quant à sa dangerosité.
En effet, la première alerte de pharmacovigilance date de 1999 par le CHU de Marseille, alors que d’autres ont été relayées à partir de 2006, et que dans le même temps le produit était suspendu en Espagne par exemple. Mais ce n’est qu’en 2009, lorsque le Dr Frachon fit part à plusieurs reprises de ses fortes inquiétudes auprès de l’Afssaps, que les alertes furent prises en considération.
Cependant c’est la chaîne du médicament dans son ensemble, de la fabrication à la vente, qui présente des défaillances. Tout d’abord, l’influence trop importante des entreprises pharmaceutiques, qui engendre des dérives de prescription par les médecins. Ensuite, c’est le système d’évaluation des produits de santé qui est remis en question, tant pour évaluer la dangerosité que l’efficacité des produits. L’efficacité, aujourd’hui, est mesurée en Service Médical Rendu (SMR), c’est-à-dire l’apport propre du médicament comparé à la non-médication. Ainsi, tant qu’un médicament apporte plus qu’un placebo, il est jugé efficace, sans être confronté aux médicaments déjà existants. Certains professionnels estiment qu’aujourd’hui, près de 40% des médicaments distribués en France sont proches du placebo.
De plus, des incohérences émergent entre diverses entités nationales œuvrant pour le système de santé : ainsi le SMR d’un produit de santé peut être jugé insuffisant par la Commission de Transparence, chargée d’évaluer la qualité et l’efficacité d’un produit mis sur le marché, sans pour autant que le produit en question ne soit retiré de la liste des produits remboursés par la Sécurité Sociale. Cela avait été le cas pour le Médiator. Enfin, il paraît anormal que les systèmes de gestion des produits de santé soient cloisonnés au niveau national et n’interagissent pas davantage entre eux, à minima au niveau européen : le Médiator avait en effet été remis en cause à l’étranger [1].
Lorsque l’affaire éclate, N. Sarkozy réclame un rapport[2] sur l’Affsaps afin d’identifier clairement les dysfonctionnements ayant engendré un tel scandale et définir les axes à suivre pour ériger une institution à même de véritablement contrôler les produits de santé mis sur le marché français. Ce rapport, qui résulte de l’audit de tous les acteurs intervenant sur la chaîne du médicament, propose de mettre l’accent autour de 3 axes.
D’une part, il s’agit de réorienter l’approche générale qui doit guider la nouvelle ANSM. Cela passe par une médicalisation de ses acteurs : les dirigeants doivent être des professionnels de santé, afin de rapprocher les prises de décisions de la réalité quotidienne de la profession. Ce point serait appuyé par une montée en compétences des futurs personnels médicaux en renforçant la formation universitaire sur les problématiques du médicament. De plus, il s’agirait de mesurer l’Apport de Service Médical Rendu, et non plus le SRM seul : c’est-à-dire de comparer un nouveau produit proposé à ce qui existe déjà. Enfin, ce sont une éthique tournée vers le patient et une indépendance totale vis-à-vis de l’industrie pharmaceutique qui doivent régir les actions de ce nouvel établissement afin de garantir l’impartialité et la transparence des décisions prises.
Ces premières propositions, qui s’apparentent plus à des principes théoriques et serviraient à enrober la réforme dans une jolie gélule, sont appuyées par des points plus concrets : le deuxième axe repose sur des aspects juridiques qui devront renforcer l’autorité de cet établissement. D’une part, il s’agit de responsabiliser juridiquement les acteurs de la chaine du médicament, et notamment les membres des entités autorisant les mises sur le marché, afin de s’assurer de leur totale implication dans la prise de décision. D’autre part, il est impératif que l’ANSM détienne la prérogative d’exiger des tests cliniques de la part des fabricants. Jusqu’à présent l’Afssaps ne pouvait que demander des essais complémentaires, qui pouvaient être refusés par le fabricant. Ainsi, le fabricant n’avait donc pas à prouver la sécurité d’un produit, mais c’est l’Afssaps qui devait justifier la dangerosité de celui-ci.
Dans les grandes lignes, Xavier Bertrand a intégré ces principales propositions dans son projet de loi adoptée en décembre 2011. Tout d’abord, la transparence de la « chaine du médicament » et l’indépendance des experts sont renforcées, en parallèle d’une responsabilisation des acteurs prenant part au processus de mise sur le marché. Ensuite, l’ANSM pourra demander des essais comparatifs à un fabricant en vue d’obtenir l’AMM pour un produit, et l’exiger pour en obtenir le remboursement par la Sécurité Sociale. Enfin, la protection est garantie pour tout professionnel de santé qui alerterait les autorités sur la nocivité d’un produit de santé.
Cependant, le troisième axe du rapport, qui se focalise sur le fonctionnement-même de l’établissement public, a quelque peu été délaissé par le projet de loi. Le rapport mettait en avant un point qui nous semble essentiel : le fonctionnement et la réactivité de l’Afssaps. Il est nécessaire que l’organisation de la nouvelle agence soit pensée dans son ensemble dans le but de répondre à sa mission générale et ses objectifs, contrairement à « l’usine à gaz » qu’était devenue l’Afssaps. Il s’agit finalement de lui donner les moyens organisationnels d’être aussi réactive que l’exige sa mission.
Bien que les divers points du projet de loi soient des éléments nécessaires au renforcement du contrôle des produits de santé en France, ils ne nous semblent pas suffisants : l’ANSM pourrait n’être qu’un placebo si elle ne parvient pas à remplir efficacement son rôle. Finalement c’est sur le fonctionnement-même de l’agence que repose tout le succès de sa mission.
Le rapport d’Even et Debré insistait sur la « faillite » d’un modèle « aux rouages tournant dans le vide » [3], et la nécessité de penser dans son ensemble une organisation armée pour répondre aux nouvelles attentes, devenues plus acerbes depuis l’affaire du Médiator. De ce fait, les deux principales missions de l’ANSM, analyser les nouveaux produits pour une mise sur le marché et surveiller les produits existants sur le marché, doivent être confiés à deux entités distinctes, avec des responsabilités clairement définies et un fonctionnement propre et adapté à la nature de chacune de ces deux missions.
L’Afssaps avait également un devoir de réactivité forte en ce qui concerne sa mission d’évaluation des produits déjà mis sur le marché, et n’était pas suffisamment organisée en ce sens. Les responsabilités partagées par plusieurs entités, le chevauchement de prérogatives, les lourdeurs administratives, les rivalités (entre la Haute Autorité de Santé et l’Afssaps au sujet du Comité de Transparence par exemple [4]), sont autant de freins à l’efficacité et donc à la réactivité. Ainsi il va falloir que l’ANSM se dote de nouveaux mécanismes d’alerte qui permettront, aussi bien aux professionnels de santé qu’aux patients, de remonter des informations qui devront être analysées rapidement, avec transparence, et indépendamment des laboratoires pharmaceutiques. Cela passe par une réflexion de fond et le lancement de différents chantiers touchant à la communication faite auprès des consommateurs, aux modalités de remontée des informations, aux moyens alloués au traitement de ces informations et enfin à la responsabilité des décideurs finaux.
Enfin, c’est la gouvernance du système de contrôle dans son ensemble qu’il est nécessaire d’adapter à sa finalité et ses contraintes. D’une part, afin de s’assurer du respect des principes « théoriques » vus plus haut, mais également pour garantir des prises de décisions transparentes et concertées, et être capable de trancher dans les situations critiques.
En conclusion, l’ANSM, qui verra concrètement le jour dans les mois qui viennent, semble avoir été placée sur de bons rails avec la loi du 29 décembre 2011. La responsabilité juridique des acteurs et la transparence exigée sont, entre autres éléments annoncés, autant de points positifs qui ont impressionné le Docteur Frachon, à l’origine des alertes qui ont conduit au retrait du Médiator et à la remise en cause de l’Afssaps. Cependant, une certaine vigilance s’impose face à ces annonces : l’amélioration du système de contrôle des médicaments en France dépendra de la capacité de l’ANSM à rendre rapidement opérationnelle la réforme pensée par le Ministère de la Santé, ce qui nécessite de penser et de mettre en place une organisation à même d’éviter que ne se reproduise une nouvelle affaire Médiator.
[1] Association Française des Diabétiques : http://www.afd.asso.fr/actualites/mediator-symptome-d-une-organisation-malsaine-du-medicament-reformer-de-toute-urgence-001
[2] « Rapport De La Mission Sur La Refonte Du Système Français De Contrôle De L’Efficacité Et De La Sécurité Des Médicaments », http://www.acteurspublics.com/files/rapport_debre_afssaps.pdf
[3] « Rapport De La Mission Sur La Refonte Du Systeme Francais De Contrôle De L’efficacite Et De La Securite Des Medicaments », p.49.
[4] « Rapport de synthèse des Assises du Médicament », http://www.sante.gouv.fr/IMG/pdf/Rapport_de_synthese_des_assises_du_medicament-4.pdf