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En France, et dans toutes les économies développées, la sécurité alimentaire n’est plus un sujet d’inquiétude majeure au sein d’une famille de classe moyenne. Marchés, supermarchés et services de restauration n’ont d’ailleurs jamais été aussi accessibles et démocratisés.
Les Français prennent de plus en plus conscience de l’origine et de la composition des aliments, et 69% d’entre eux s’inquiètent aujourd’hui de l’impact de leur alimentation sur leur santé[1]. En effet, de nombreux scandales alimentaires ont été révélés au grand public au cours de la dernière décennie. En 2013, de la viande de cheval a été retrouvée dans plus de 4,5 millions de produits étiquetés comme étant du bœuf et expédiés dans plusieurs pays européens[2]. Plusieurs produits de nutrition infantile fabriqués par le groupe Lactalis ont fait l’objet d’un rappel en 2017, en raison d’un risque de contamination par des salmonelles[3]. En 2018, 1500 tonnes des steaks hachés surgelés contenant de la viande non-conforme (excès de gras, défauts dans la composition ou encore mauvaise qualité des tissus) ont été fournies à des associations distribuant de l’aide alimentaire en France[4].
Cette prise de conscience se traduit par une attention nettement accrue portée sur le contenu de nos assiettes : OGM, pesticides, additifs, allergènes, excès de graisses saturées, de sucre ou de sel… la liste est longue. Or, la tâche est rendue complexe par des emballages qui séduisent le consommateur et un marketing si efficace qu'il est bien souvent difficile de distinguer les produits sains des produits mauvais pour la santé. Les étiquettes sont en effet difficiles à décrypter, les informations affichées sur deux étiquettes de deux produits similaires pouvant être très différentes.
Ce travail de décryptage et de comparaison de produits similaires est long et fastidieux, et n’aboutit pas toujours à une conclusion évidente. Et même lorsque nous trouvons une réponse, que faut-il privilégier ? La faible quantité de sucre, de sel ou de graisses saturées ? L’absence d’additifs ? L’origine biologique du produit ?
C’est pour répondre à cette nouvelle prise de conscience et à cette demande de transparence sur la composition et l’origine des produits que les applications telles que Yuka, Scan Eat, Eugène ou encore Kwalito sont arrivées sur le marché. L’objectif de toutes ces applications est le même : vulgariser et synthétiser les informations des étiquettes, afin de nous aider à faire les bons choix pour notre santé et à comparer les produits entre eux. Certains outils proposent même une évaluation des produits en fonction d’un régime alimentaire particulier (végétarien, sans gluten, sans porc, sans huile de palme, etc.), d’autres une liste de courses thématique avec des produits bien notés (par exemple, pour un goûter d’anniversaire d’enfant).
La plupart de ces applications reprennent l’évaluation du Nutri-Score[5], système d’étiquetage des produits alimentaires en cinq niveaux de qualité nutritionnelle lancé par le gouvernement français en 2016 :
Les applications de décryptage vont cependant plus loin que le Nutri-Score, en mettant également en évidence la présence d’additifs et d’allergènes, la dimension biologique du produit ou encore la présence de certains ingrédients controversés comme l’huile de palme ou la viande importée. Pour les produits alimentaires ayant reçu une évaluation négative, Yuka suggère même des produits équivalents meilleurs pour la santé.
Le boom de ces applications à leur lancement s’explique sans doute par leurs deux qualités principales : elles sont gratuites et pratiques. Il suffit d’avoir un smartphone et dans certains cas une connexion à internet pour avoir accès à une base de données quasi exhaustive des produits industriels disponibles en France. Ainsi, dans le cas de Yuka, 98% des produits alimentaires français étaient référencés en octobre 2019[6].
Mais c’est l’indépendance affichée par ces applications qui permet finalement de comprendre leur succès durable depuis trois ans :
Les applications de décryptage se présentent donc en tant que partie neutre dans le monde de l’agroalimentaire, ce qui leur confère une légitimité auprès du grand public. Cela leur permet de se rapprocher de l’objectif affiché de leurs créateurs : que le consommateur prenne conscience et devienne acteur du changement des habitudes d’achats et de consommation. Ce fonctionnement partiellement communautaire donne aux consommateurs le sentiment d’avoir un rôle à jouer et de pouvoir contribuer activement à l’amélioration des produits de l’industrie l'agroalimentaire.
Afin de mesurer son réel impact sur les utilisateurs, Yuka a commandé une étude[8] en septembre 2019 auprès de 230 000 utilisateurs et 21 industriels. Les conclusions de l’étude indiquent que :
Selon cette même étude[8], 94% des utilisateurs ont arrêté d’acheter certains produits (notamment ceux contenant des additifs controversés), 78% achètent davantage des produits biologiques et 92% remettent les produits dans le rayon s’ils sont mal notés (note inférieure à 25/100) sur l’application. L’impact de Yuka irait même jusqu’à changer les comportements alimentaires des foyers : 57% des utilisateurs déclarent cuisiner plus souvent et essayer de se fournir davantage auprès des producteurs locaux, et 66% des parents déclarent utiliser l’application comme outil de sensibilisation de leurs enfants au supermarché.
Au-delà des impacts sur les utilisateurs, les applications de décryptage alimentaire ont également eu un impact positif non négligeable sur les industriels. L’utilisateur en est conscient : 90% des utilisateurs de Yuka considèrent que l’application peut pousser les industriels à proposer de meilleurs produits[8].
Et c’est effectivement ce que l’on constate[8]. Certains industriels ont fait évoluer leurs recettes afin de répondre aux attentes des consommateurs qui souhaitent acheter des produits moins transformés et plus frais. Certains additifs, conservateurs et allergènes ont été supprimés et les proportions de matières grasses, de sel et de sucre ont été réduites dans les recettes. La marque Michel et Augustin, par exemple, a lancé une version sans sucre de sa mousse au chocolat et a réduit la quantité de sucre de 40% dans sa citronnade, qui est devenue également biologique[8]. Les industriels simplifient de plus en plus leurs listes d’ingrédients, réduisent les doses d’additifs et développent leurs offres bio et végétales. Ils ont également changé leurs étiquettes pour plus de transparence afin de respecter leur engagement sur le Nutri-Score, comme c’est le cas de Nestlé.
L’impact le plus important des applications sur les produits alimentaires porte néanmoins sur les additifs : Intermarché a annoncé en septembre 2019 la modification de 900 recettes, avec, entre autres, la suppression de certaines catégories d’additifs, dans le but d’être mieux noté sur les applications de décryptage alimentaire. L’enseigne estime que, d'ici 2020, 142 additifs disparaîtront[8].
D’autres industriels ont réagi différemment, comme c’est le cas de Magasin U. L’enseigne a décidé de créer sa propre application Y’A Quoi Dedans, afin de participer activement au changement. Dans le cas de cette application « maison », l’indépendance des critères de notation est bien moins évidente.
L’implication des grandes marques de distribution n’est pas le seul reproche fait aux applications d’évaluation de produits alimentaires. En effet, les applications de décryptage les plus téléchargées n’intègrent pas ou très peu de critères sociaux, environnementaux et économiques dans leur système de classification. De nouvelles applications arrivent sur le marché pour pallier ce manque au sujet d’un véritable enjeu de société.
Dans ce contexte, l’application Buy or not ? appelée « Le Yuka anti-lobbies » montre, en plus de l’impact sanitaire du produit, l’impact sociétal de l’entreprise qui le commercialise : empreinte énergétique, impact environnemental de la production ou encore conditions de travail des employés. Elle offre même la possibilité à l’utilisateur de participer à des campagnes de boycott de certains produits.
On constate donc une idéologisation des problématiques abordées par ces applications. L’enjeu est en effet majeur : ces applications indépendantes, rendues légitimes par les utilisateurs, ont déjà entraîné une réelle modification des comportements d’achats dans l’alimentaire et continuent à le faire avec désormais une volonté d’évaluer l’impact sociétal des marques. Dans ce contexte, le risque de voir un jour ces applications rachetées par des majors de l’agroalimentaire ou bien qu’elles perdent leur indépendance de manière générale est donc réel.
Une analyse de Mariana Ormelezi Santos
Sources et Notes :
[1] Ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation – Les Français toujours plus concernés par leur alimentation (juillet 2018)
[3] Portail de l'Économie, des Finances, de l'Action et des Comptes publics - Salmonelle : rappel de lots de lait infantile interdits à la consommation (décembre 2017)
[5] Santé publique France – Nutri-Score
[6] Interview sur France 24 de Julie Chapon, cofondatrice de Yuka : « Il faut redonner du pouvoir au consommateur » (octobre 2019)
[8] Mesure d’impact – Comment Yuka contribue à changer les choses ? (septembre 2019)