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En cette période de crise sanitaire où les Supply Chain sont sous tension, il est plus que jamais nécessaire d’assurer le maintien des flux de marchandises dites vitales tout en limitant les risques de propagation du virus et en assurant la protection des employés.
En cette période de crise sanitaire où les Supply Chain sont sous tension, il est plus que jamais nécessaire d’assurer le maintien des flux de marchandises dites vitales tout en limitant les risques de propagation du virus et en assurant la protection des employés.
Le fret ferroviaire a tiré son épingle du jeu en Europe depuis mars, en offrant un mode de transport adapté en temps de crise : ratio agents sollicités / quantité transportée favorable, résilience face aux coûts de production et disponibilité accrue du réseau.
A cela s’ajoutent bien sûr les avantages déjà connus du transport ferroviaire : moins d’émissions de CO2, moins de pollution sonore, moins d’impact sur les paysages.
Pourtant, si la crise vient mettre en valeur les atouts du fret ferroviaire, sa part modale, en comparaison reste très faible en Europe et encore plus en France. Compte-tenu du plafonnement des prix de marché par le transport routier et de la forte intensité capitalistique du secteur ferroviaire, l’augmentation de la part modale du ferroviaire ne peut se faire sans l’aide des gouvernements nationaux et de l’Union Européenne : un soutien réglementaire et si possible financier pour stimuler la performance des transporteurs et l’adaptation des infrastructures ferroviaires.
Comme le rappelle Ursula Von Der Leyen, présidente de la commission européenne “Nous devons prendre des mesures exceptionnelles pour protéger la santé de nos citoyens. Mais faisons en sorte que les biens et les services essentiels continuent à circuler dans notre marché intérieur” [1]. Aussi, la Commission Européenne a imposé, pour soutenir au mieux les échanges entre les états membres, que ces derniers désignent des voies prioritaires pour le transfert de fret. Les membres du secteur doivent pouvoir s’y déplacer librement, et en particulier franchir le plus rapidement possible les frontières, quelle que soit leur marchandise [2].
Le maintien du transport de marchandises permet en effet aux usines de l’agroalimentaire de s’approvisionner en céréales pour les transformer en produits de consommation. Lesquels seront ensuite transportés dans les réseaux de distributeurs pour servir les populations. Il permet aussi l’approvisionnement des usines de l’industrie pharmaceutique en matières premières, qui seront ensuite transformées en médicaments ou encore l’approvisionnement des hôpitaux en produits sanitaires tels que les gels hydro alcooliques ou les masques.
S’agissant du fret ferroviaire, il est certes ultra-minoritaire en Europe : 18% de part modale contre 75% pour la route et 7% pour le fluvial [3]. Mais c’est un mode essentiel pour transporter les marchandises nécessaires en temps de crise : les trains vitaux nation indispensables pour le maintien de services de base tel le chauffage (bois) ou l’assainissement de l’eau (chlore), les trains vitaux pandémie qui acheminent les ressources nécessaire à la production des denrées de consommation, alimentaires et pharmaceutiques entre autres, et enfin les trains de continuité industrielle pour le maintien de l’activité de certaines industries [4]. Au total, pour la France par exemple ce sont deux tiers du trafic nominal qui ont été maintenu durant le confinement. A contrario, le transport routier a largement ralenti : ce sont près de 52% des camions qui ont été à l’arrêt [5]. Ainsi le fret ferroviaire s’est montré particulièrement au rendez-vous durant la crise sanitaire.
Les mesures de distanciation sociale et de restriction des déplacements qui ont été mises en place en Europe ont contraint fortement l'utilisation des ressources humaines, c’est à dire des conducteurs.
Or le train offre un ratio “conducteurs par quantité de marchandises transportée” bien plus faible qu’un camion. A titre d’exemple, la société de logistique Transfesa s’est fixée comme objectif de remplacer les 30 camions quotidiens de la liaison Valence - Grande Bretagne par un train unique [6]. En temps de crise, une telle mesure permettrait de réduire la mobilité des conducteurs de 30 personnes à une seule, à quantité égale transportée. En sollicitant un nombre réduit de conducteurs, c’est moins de personnes à protéger et moins d'environnements de travail à sécuriser (nettoyage, fourniture de masques et de gel,...).
Faisons l’exercice en appliquant ce ratio : les 730 trains de fret qui circulent chaque jour en France transportent autant que 21 900 camions. A raison de 2 masques par trajet, cela représente un écart de 1,3 million de masques économisés par mois grâce au fret ferroviaire.
Allons plus loin : si la part modale du fer était la même en France qu’en Suisse soit 34,7% [8] (au lieu de 9,9% en France), alors le recours au fret ferroviaire français permettrait d’économiser 3,1 millions de masques supplémentaires par mois. Mais on en est évidemment très loin.
Il s’agit d’un élément important quand on sait la difficulté d’approvisionnement en produits sanitaires en temps de crise. Le risque étant que les employés, mal protégés face au virus, exercent leur droit de retrait, ce qui impacterait directement la production. Au début de la crise, ce sont les chauffeurs routiers qui déploraient “un manque de masques, gants et gel hydro alcoolique” [7].
Concernant les coûts, le transport routier ressort habituellement grand gagnant. En effet, ses coûts de production sont faibles puisqu’il ne paie pas l’utilisation de la route (sauf les péages autoroutiers) ni ne compense les émissions de CO2 émises. À l’inverse, le transport ferroviaire est quant à lui un secteur à forte intensité capitalistique qui, combiné à un plafonnement des prix imposé par le transport routier conduit à des marges faibles - et parfois négatives - pour l’ensemble des opérateurs de fret ferroviaire en Europe.
Cependant la crise sanitaire a conduit à une désorganisation des flux de marchandises du transport routier qui rend difficile toute optimisation, comme la Fédération Nationale des Transports Routiers (FNTR) l’a monté dans une enquête en mars dernier [5]. En effet, “les retours se font dans leur très grande majorité à vide” et la production s’accompagne d’un aménagement du temps de travail pour les chauffeurs routiers avec “une augmentation nette des heures supplémentaires et jours travaillés”. Ainsi, la crise sanitaire vient modifier l’équation habituelle où le transport routier opère une stratégie de domination par les coûts. Par conséquent, la robustesse du modèle économique du routier est mise à mal dans ce contexte de crise où il est difficile d'optimiser les plans de transport.
Dans certains pays comme la France, le trafic ferroviaire de fret est dépriorisé par rapport à celui de voyageurs (contrairement à la Suisse par exemple, où les deux trafics sont traités sur un pied d’égalité), ce qui peut entraîner des retards sur les nombreux tronçons où le réseau est partagé. Avec les mesures de restriction des déplacements, le nombre de trains voyageurs a été limité (moins de 10% du trafic habituel), ce qui a permis au gestionnaire d’infrastructure d’accorder davantage de place au trafic fret [9].
Les périodes de crise jouent parfois le rôle d’accélérateur du changement. Le transport ferroviaire de fret pourrait “surfer” sur son succès durant la crise sanitaire, pour renforcer son importance à plus long terme.
Au sein d’un secteur, le transport, qui représente près de 28% des émissions de CO2 en 2015 en Europe, le fret ferroviaire est réputé pour sa faible empreinte écologique : en moyenne le train représente neuf fois moins d’émissions de CO2 que le transport routier, ou encore 85 fois moins de décès prématurés causés par la pollution ou les accidents [3]. Les pouvoirs publics, s’ils n’imputent pas au transport routier les externalités négatives qu’ils provoquent, doivent favoriser autrement le fret ferroviaire.
En annonçant le 17 avril, que 390 millions d’euros seraient alloués au transport routier, le gouvernement français démontre qu’il est à même d’apporter son soutien au transport de marchandises [10]. Mais au delà de la période de crise sanitaire, l’Etat doit mettre en place des mesures fortes en faveur du fret ferroviaire européen. La mise en place de mesures fortes par les gouvernements a notamment permis à des pays comme la Suisse et l’Autriche de garantir une part modale élevée au fret ferroviaire. L’Autriche a par exemple financé le tunnel ferroviaire du Brenner via la directive eurovignette et va imposer dans le Tyrol que 20% des poids lourds circulent via autoroute ferroviaire d’ici à 2021 [11].
Cependant, plus que des initiatives isolées, c’est une coopération au niveau européen qui est nécessaire. L’exemple de l’Autriche est représentatif car la hausse du nombre de poids lourds en circulation dans le Tyrol est en partie due à la mise en place d’une taxe poids lourds en Suisse dès 2001 [12]. L’Union Européenne et les Etats doivent donc favoriser et mettre en oeuvre les conditions nécessaires au report modal du transport routier vers le transport ferroviaire de marchandises.
Les infrastructures ferroviaires jouent un rôle clé dans la stratégie d’augmentation de la part modale du ferroviaire dans le transport de marchandises. Evidemment, les réseaux ferrés du dix-neuvième siècle souvent utilisés n’apportent pas une performance aussi forte que celle d’autoroutes de la fin du vingtième siècle. Les pouvoirs publics doivent offrir les moyens nécessaires à la modernisation, à la compétitivité, et à la sécurité du réseau actuel.
Dans ce contexte actuel de crise, il s’agit aussi de soutenir financièrement en priorité les projets qui permettront de relancer durablement l’économie française et à plus grande échelle, l’économie européenne, à travers un mode de développement responsable, à l’image du projet de liaison ferroviaire Lyon-Turin. Au cœur d’une stratégie de report modale dans les Alpes, ce projet devrait par ailleurs générer 8 000 emplois directs et indirects et chaque euro investi dans le tunnel transfrontalier rapportera 1,6 euros pour les économies française et italienne, d’après l’étude du groupe CLAS de 2019 [13].
Le chemin de fer est une technologie du dix-neuvième siècle ; les innovations pour le fret ferroviaire existent mais elles doivent pouvoir être financées. Citons par exemple celles pour automatiser certaines tâches (essai de frein, ouverture des trappes de wagon, etc., voire conduite autonome du train) ou bien pour fournir des services à valeur ajoutée pour le suivi des marchandises et du matériel roulant (géolocalisation, état, kilométrage, maintenance prédictive,...). En France, SNCF s’est associée avec des constructeurs et des équipementiers pour mener ce projet à bien d’ici 2023 [14]. Mais ces innovations sont coûteuses et leur financement par les opérateurs ferroviaires seuls n’est pas envisageable. Le budget total des projets de trains autonomes pour les voyageurs et pour le fret est par exemple estimé à 57 M€ par la SNCF [15].
Des solutions de financement existent déjà. En France, cela passe par différents organismes à l’instar des pôles de compétitivité comme I-Trans et des Instituts de Recherche Technologique (IRT) comme Railenium ou System X. L’Agence De l’Environnement et de la Maîtrise de l’Energie (ADEME) et la Banque publique d’investissement (Bpifrance) distribuent quant à eux les fonds du Programme d’Investissement d'Avenir doté de 57 Md€ [16]. Il existe également des mesures au niveau européen tel que le plan “Horizon 2020”, l’appel à projet “Shift2Rail” doté d’un budget total de 150 M€ pour 2019 [17] ou encore les plans “Interreg” qui favorisent les investissements inter-régionaux. Il s’agit donc d’investir une part significative de ces fonds pour des projets ayant un impact environnemental, sociétal et économique fort, qualité intrinsèque du fret ferroviaire. À terme, cela peut se traduire par des feuilles de route revisitées au travers d’objectifs stratégiques favorisant le financement des projets liés au fret ferroviaire pour les appels à projet à venir après 2020. Les Etats doivent bien soutenir ces initiatives voire les compléter, pour assurer la modernisation du fret ferroviaire.
Sources :
[3] Coalition Rail Freight Forward, rapport “30 by 2030”
[4] Fret SNCF, qui détient 55% des parts de marché en France
[5] Fédération Nationale des Transports Routiers
[7] Force ouvrière
[8] Eurostat : Part modale des chemins de fer dans le transport de fret en Suisse en 2018
[9] SNCF
[11] MediaRail
[12] MediaRail lien loi en Suisse sur le trafic dans le Tyrol
[14] SNCF : Projet “Train de Fret Autonome”
[15] SNCF : “Des trains autonomes d’ici 2023”
[16] Gouvernement Français : “Le Programme Investissement Avenir”
[17] Horizon 2020 : Appel à projets “Shift2Rail”