La reconversion, parent pauvre des politiques d…
Stress, harcèlement, burnout : plus une seule semaine ne se passe sans que les risques psychosociaux ne défraient la chronique.
Dernier constat en date : plus de 12% des actifs français présenteraient un risque important de burnout[1]. Pour le lecteur peu avisé ou le chef d'entreprise inquiet, difficile de s'y retrouver dans cette jungle de concepts relayés par une littérature foisonnante et souvent contradictoire.
Effet de mode ou mal du siècle : Sia Partners a enquêté pour vous sur ce phénomène sans précédent. Le premier opus de cette enquête vous propose de faire le tour de l'évolution de la législation et des pratiques des entreprises en la matière.
L’émergence des risques psychosociaux coïncide avec l’avènement des NTIC, c’est-à-dire bien après la définition des modèles de référence sur le stress (Karasek, 1979 ou Siegriest 1986) ou le burnout (Freudenberger… en 1980 !). Plus qu’un concept clinique, la construction progressive des « RPS » opère sous l’effet de la vague réglementaire des années 2000 et de la nécessité, pour l’opinion publique, de rassembler sous un même vocable l’ensemble des réflexions sur la santé au travail.
La parution de la directive européenne de 1989 [2] constitue de ce fait un tournant majeur. Sa traduction française, onze ans plus tard, aboutit à la création du document unique et, en 2002, à l’obligation pour l’employeur de protéger la santé « physique et mentale » des travailleurs. La notion de harcèlement apparait dans les textes dans le même temps. Le rythme s’accélère ensuite sous la pression des partenaires sociaux et de l’opinion publique : 2003 la pénibilité, 2004 le stress, 2007 le plan Darcos jusqu’à la signature en juin 2013 d’un ANI sur la qualité de vie au travail…
Des TMS[3] au stress, du harcèlement au burnout, l’opinion publique ne retiendra bien vite que les « RPS », masquant du même coup l’hétérogénéité des situations de travail. Pour s’en convaincre, l’analyse des dépêches AFP entre 2002 et 2011 est sans appel, la sur-médiatisation du terme coïncidant avec le scandale France Telecom.
Pour les entreprises, cet essor se traduit par la multiplication des dispositifs d’incitation à la négociation collective sur la santé au travail – 2006 seniors, 2007 plan Darcos, 2011 pénibilité – conjuguée à l’évolution progressive des prérogatives des instances, CHSCT et SST[5] au premier plan. Pour preuve : la négociation d’entreprise sur les conditions de travail représente en 2012 5% des accords, contre 1,3 en 2009 [6].
En pratique, la complexité de la prise en compte des risques psychosociaux induit des situations contrastées, selon l’entreprise se limite à des actions de mise en conformité ou définisse a contrario des objectifs trop ambitieux ou inadaptés à ses enjeux. Pour mieux les appréhender, Sia Partners évalue le niveau de maturité de l’entreprise selon deux axes : la cible de la politique de prévention – individu ou collectif – et le niveau d’intégration des thématiques de santé au travail.
Les premières mesures de prévention s’appuient sur l’idée qu’une exposition prolongée au stress peut entrainer des conséquences sur la santé bien que les réactions puissent varier d’un individu à l’autre [7]. Rapidement dévoyée, cette conception ouvre le champ à la prolifération des formations à la gestion du stress qui tendent à normaliser et neutraliser les réactions d’un collaborateur en situation difficile. A l’inverse, « adapter le travail à l’homme », principe premier de prévention [8], permet d’agir à la source sur la situation de travail, donc sur l’ensemble des collaborateurs concernés et non sur les seuls individus en souffrance.
Absentéisme, burn-out ou harcèlement ne représentent parfois qu’un symptôme particulier d’une même situation de travail. Lutter séparément contre l’une ou l’autre de ces manifestations revient à éluder la compréhension des causes de leurs apparitions. Sous l’impulsion du COCT [9] et de l’ANACT [10], le débat s’oriente progressivement vers une conception systémique centrée sur l’analyse du travail dans son ensemble et non uniquement de ses effets néfastes.
Ce point de vue renverse le paradigme initial et rend possible l’émergence du concept de Qualité de Vie au Travail, ré-affirmé par Michel Sapin le 12 février dernier. [11]
Loin de n'être que souffrance et usure, le travail est une ressource. Sortons d'une vision trop systématiquement négative du travail développée ces dernières années, autour des suicides et des risques psychosociaux que créerait le travail. Ces risques existent et appellent une action de prévention sans faille, mais il devient urgent d'avoir aussi un discours positif sur le contenu du travail. Car c'est dans la qualité de vie au travail que notre économie peut aller chercher performance et compétitivité.
Ce modèle d’analyse inscrit ainsi l’entreprise dans une réflexion progressive sur la santé au travail : du traitement de la crise initiale et de l’accompagnement des individus en souffrance au développement d’une gestion anticipative et collective fondée sur une réflexion plus globale sur l’organisation du travail.
C’est ainsi que s’achève notre premier opus sur l’évolution de la législation et des pratiques des entreprises. Dans notre second opus, prochainement publié sur le blog, nous ferons le point sur les vrais chiffres des conditions de travail.
[1] Technologia, Etude clinique et organisationnelle permettant de définir et de quantifier ce qu’on appelle communément le burn- out, Paris, Janvier 2014 :
[2] Directive 89/391/CEE du Conseil du 12 juin 1989 Concernant la mise en œuvre de mesures visant à promouvoir l’amélioration de la sécurité et de la santé des travailleurs au travail
[3] TMS : Troubles musculo-squelettiques
[4] Leduc, Sylvain, Valléry, Gérard, Les risques psychosociaux, Paris, PUF, coll. « QSJ », 2012
[5] Service de Santé au Travail
[6] DARES, La Négociation Collective en 2012, Paris, 2013 (p520).
[7] Accord cadre européen de 2004 : « le stress est un état accompagné de plaintes ou dysfonctionnements physiques, psychologiques ou sociaux, et qui résulte du fait que les individus se sentent inaptes à combler un écart avec les exigences ou les attentes les concernant. L’individu est capable de gérer la pression à court terme qui peut être considérée comme positive mais il éprouve de grandes difficultés face à une exposition prolongée à des pressions intenses. En outre, différents individus peuvent réagir de manière différente à des situations similaires et un même individu peut, à différents moments de sa vie, réagir différemment à des situations similaires. Le stress n’est pas une maladie mais une exposition prolongée au stress peut réduire l’efficacité au travail et peut causer des problèmes de santé. » cité par Nasse Philipe, Légeron Patrick, Rapport sur la détermination, la mesure et le suivi des risques psychosociaux au travail, remis à Xavier Bertrand, ministre du Travail, des relations sociales et de la solidarité, 12 mars 2008
[8] Article L4121-2 du code du travail, extrait : « 4° Adapter le travail à l’homme, en particulier en ce qui concerne la conception des postes de travail ainsi que le choix des équipements de travail et des méthodes de travail et de production, en vue notamment de limiter le travail monotone et le travail cadencé et de réduire les effets de ceux-ci sur la santé »
[9] Conseil d’Orientation sur les Conditions de Travail
[10] Agence Nationale pour l’Amélioration des Conditions de Travail
[11] Discours de Michel Sapin, Ministre du Travail, de l’Emploi, de la Formation professionnelle et du Dialogue social à l’occasion des 4èmes rencontres parlementaires sur la Santé et le Bien-être au travail, Paris, 12 février 2014