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Fusion-acquisition : un choix entre stabilité et agilité pour les énergéticiens

L’année 2017 fut une année record dans le monde français des fusions-acquisitions. Avec une hausse de 50% du nombre de transactions, le pays a été l’un des moteurs européens. A l’échelle mondiale, le secteur de l’énergie a représenté 13,4% des transactions pour un montant atteignant près de 500 Mds$

En comptant parmi les plus grands énergéticiens internationaux, les groupes français profitent d’un marché favorable pour se repositionner et adopter de nouvelles stratégies.

Ce positionnement, par croissance externe, est notamment représenté par Total, dont le rachat du fournisseur d’énergie alternatif Direct Energie a été annoncé le 18 avril 2018. Une telle acquisition, d’une valeur de 1,4 Md€, témoigne de l’ambition de l’entreprise de devenir un acteur incontournable sur le marché de l’électricité. Le pétrolier s’était déjà illustré en 2016 avec le rachat du belge Lampiris. Cependant, Total n’est pas le seul énergéticien français à être actif sur le marché des fusions-acquisitions afin de se développer dans le contexte de la transition énergétique.

Renforcement dans les activités historiques

Dans un marché mondial en excédent de liquidités, dopé par des politiques économiques accommodantes et des taux d’intérêt maintenus à un niveau bas, les investisseurs sont encouragés à emprunter et à investir avant une remontée probable des taux. Les énergéticiens ne font pas exception et choisissent en premier lieu des investissements stables à long terme. Le renforcement des activités historiques en est un exemple. Ils peuvent s’appuyer sur leur leadership sectoriel et réaliser des économies d’échelle pour conserver un revenu stable.  En avril 2018, ENGIE a déposé une offre non engageante auprès de la compagnie publique Petrobas afin de reprendre un réseau de 4 500 kilomètres de gazoduc au nord du Brésil. Le transport de gaz est au cœur des métiers d’ENGIE qui dispose du 1er réseau de transport de gaz en Europe, avec sa filiale GRTgaz. Le groupe entretient donc une expertise reconnue lui permettant de rentabiliser au mieux de tels actifs.

Par ailleurs, pour faire face aux marges des intermédiaires, de nombreux énergéticiens ont choisi d’adopter une intégration verticale. Ils cherchent à se positionner sur une grande partie de la chaîne de valeur afin de réduire au maximum les coûts de transaction. C’est le cas de Direct Energie qui a racheté le producteur d’énergie renouvelable Quadran en 2017, ou encore d’EDF avec l’acquisition de Framatome confirmée début 2018. En acquérant Framatome, EDF intègre dans son activité la fourniture de réacteur nucléaire et d’équipements, l’assemblage combustible et les services à la base.

Ainsi, grâce à une expertise sectorielle, des économies d’échelle et une intégration de leurs activités, les énergéticiens peuvent assurer un niveau de cash-flow régulier. Ce cash-flow leur permet de pouvoir investir dans l’énergie comme l’a fait remarquer Patrick Pouyanné en marge du forum économique de Davos en janvier 2018[1]. Total a ainsi fait l’acquisition, en août 2017, de la société pétrolière Norvégienne Maersk Oil pour 6,33 Mds€. Avec un montant de transaction plus de quatre fois supérieur à celui de l’acquisition de Direct Energie, on constate que le groupe continue à renforcer ses positions sur son secteur d’activité historique tout en anticipant l’après pétrole en diversifiant son portefeuille d’actifs. Le secteur de l’Oil&Gas reste en effet l’un des plus profitables, notamment porté par un prix du baril élevé, en hausse depuis 2016, engendrant pour le pétrolier un résultat net en croissance de 28% pour l’exercice 2017 par rapport à 2016. Cette acquisition permet à Total de renforcer ses activités en mer du Nord, mais aussi en Algérie et aux Etats-Unis tout en augmentant ses réserves afin de sécuriser son activité sur le long terme. En parallèle, l’acquisition en Novembre 2017 des activités GNL upstream et midstream d’ENGIE montre aussi l’intégration verticale de la chaîne de valeur gazière dans la stratégie du groupe.

Diminution de l’empreinte carbone

Diminuer l’empreinte carbone de leurs activités est une volonté affichée que l’on retrouve parmi les trois grands énergéticiens français. Outre Total, qui a choisi de réduire sa production de pétrole en faveur du gaz, EDF est un des acteurs les plus performants dans la décarbonation de son portefeuille. En effet, le mix énergétique électrique du groupe est à 88% sans émission de CO2[2], grâce à la forte présence du nucléaire dans ce mix, mais pas seulement. Depuis 2015, le groupe poursuit un plan de cession d’actif à hauteur de 10 Mds€ à horizon 2020. Le groupe a cédé sa filiale polonaise (EDF Polska) qui opérait principalement des centrales à charbon, permettant ainsi à EDF de réduire son empreinte carbone d’environ 23%. Mais ce choix stratégique est avant tout orienté par un facteur économique : les centrales à charbon ne sont plus aussi rentables qu’avant. En cause, des réglementations sur la qualité de l’air de plus en plus strictes de la part de l’Union européenne, un prix du combustible en hausse depuis 2015 et l’essor des moyens de production EnR qui font automatiquement baisser le prix de l’électricité. En Europe cette perte de rentabilité a été chiffrée à 22 Mds€. Il n’est donc pas étonnant de voir les grands groupes se retirer de tels actifs. Au même titre qu’EDF, ENGIE est aussi dans un vaste plan de cession d’actif de 15 Mds€ se terminant fin 2018. Ainsi, l’entreprise a cédé sa filière Exploration et Production et de nombreux actifs thermiques partout dans le monde. Ces nombreuses cessions permettent à ces groupes de réduire leur endettement net et donc d’augmenter leur capacité d’endettement afin de réinvestir dans d’autres actifs et de réorienter leur stratégie.

C’est notamment vers les énergies renouvelables que les nouveaux investissements s’orientent. Tous les grands groupes les intègrent à leur stratégie de développement.

Les groupes sont sensibles à la transition énergétique et choisissent de décarboner leurs activités, d’intégrer des moyens de production renouvelables à leurs portefeuilles d’actifs et de se tourner vers des énergies moins carbonées à l’image de Total qui renforce son positionnement sur le marché de l’électricité. Cela leur permet également de diluer les risques liés à leurs activités historiques. En effet, les marchés de l’électricité, du gaz et du pétrole sont très volatiles. En réduisant leur exposition via une stratégie orientée vers le renouvelable, les énergéticiens diminuent ces risques et profitent de politiques incitatives sur le rachat de l’énergie produite à prix fixe leur permettant d’obtenir une rentabilité autour de 10%[3]. Cependant, le marché des EnR est devenu très concurrentiel ayant pour conséquence de faire baisser les marges. Dans un secteur où les CAPEX sont importants, une politique de taux bas est un moteur de développement du marché car cela permet à de nombreux acteurs d’y participer plus facilement. Une hausse des taux dans le futur, accompagné d’une réduction brutale des subventions, entrainerait un bouleversement du secteur avec la concentration du marché autour des acteurs disposant de capitaux suffisants, les autres se retournant vers les moyens de production requérant un investissement initial moindre, comme le gaz.

L’efficacité énergétique et les « Négawatt »

Autre objectif des énergéticiens et notamment d’ENGIE : devenir un grand producteur de « Négawatts ».  Les Négawatts sont les mégawatts économisés grâce à une innovation technologique ou un changement de comportement du consommateur. L’avantage pour les fournisseurs est la réduction de certains risques liés, par exemple, aux aléas climatiques ou bien aux comportements des consommateurs.  En ce sens, ENGIE adopte une stratégie de croissance externe de 2 Mds€ d’acquisitions d’ici à fin 2018 visant les entreprises de services énergétiques. Les services énergétiques offrent des solutions permettant de réduire la consommation d’énergie, de consommer plus intelligemment ou encore de mettre en place des microgrids.

Dans l’objectif de rester le premier fournisseur de services énergétiques dans le monde[4], ENGIE envisage d’élargir son portefeuille de solutions et de se développer sur les marchés en croissance. Avec la moitié des habitants sans accès à l’électricité, des ressources financières limitées et une population croissante ayant une demande énergétique croissante, l’Afrique est une région clé pour les services. Dans les zones rurales dépourvues d’accès à l’énergie et très pauvres, ces entreprises développent des réseaux « off-grid » en privilégiant l’insertion d’énergie à faible coût (solaire photovoltaïque notamment). En 2016, l’Afrique ne représentait que 0,45% du chiffre d’affaire du groupe. Depuis, il y a conduit plusieurs acquisitions comme SPIE Maroc ou encore Afric Power.

Total et EDF misent également sur une stratégie de développement des services liés à l’efficacité énergétique. En Septembre 2017, Total a racheté GreenFlex, une société française de services énergétiques pour les entreprises. Cette acquisition permet à Total de s’inscrire dans son plan 20% (cf : tableau ci-dessus) et à GreenFlex de pouvoir s’internationaliser. Dans le même temps, EDF a rassemblé toutes ses filiales de services sous la bannière EDF Solutions Energétiques avec pour objectif de réaliser 11 Mds€ de chiffre d’affaire dans ce secteur d’ici à 2030, soit une hausse de 150% par rapport à 2016.

En choisissant d’investir sur les services, les énergéticiens diminuent les risques liés à la production et au négoce d’énergie sur les marchés et limitent aussi les investissements liés à l’installation de nouveaux moyens de production.

 

Ainsi, dans un contexte économique favorable mais incertain les grands énergéticiens français cherchent à stabiliser leurs revenus à long terme. A travers l’acquisition de sociétés de services, le roulement de leur portefeuille d’actifs et une intégration verticale de leur chaîne de valeur, ils s’inscrivent dans une logique d’aversion au risque appuyé par un intérêt économique sous-jacent pour la transition écologique.

Les sociétés de services qu’ils acquièrent sont aussi la porte ouverte à l’acquisition de nouvelles compétences portées sur le numérique, et à de nouveaux marchés. Cela leur permet de diversifier leurs offres en France et à l’étranger pour faire face à un marché où la concurrence est élevée et les marges diminuent.