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Les problématiques écologiques sont devenues une composante importante de la politique et de l’économie en France, de la croissance du marché du bio et des circuits courts, à la réduction des émissions de CO2, notamment celle du transport, qui représentaient 20% des émissions en France en 2014[1].
L’arrêt des véhicules thermiques en 2040 est l’illustration de la place centrale que représente la sauvegarde de l’environnement dans les politiques publiques. Rapidement, un jalon aura des conséquences concrètes et importantes sur les chaines de distribution de marchandises : l’arrêt du diesel en 2024 à Paris. La capitale pourrait d’ailleurs être suivie rapidement par d’autres grandes villes. Si la question du renouvellement du parc de camions est la première qui vient à l’esprit, les enjeux s’étendent aussi aux modes de transports alternatifs et au positionnement des entrepôts centraux et intermédiaires, remettant en cause la logique actuelle des schémas directeurs logistiques.
Aujourd’hui, le transport de marchandises est structuré autour du Camion Diesel.
En effet, 84% des tonnes-kilomètres réalisées le sont avec des camions[1], ce chiffre monte jusqu’à 95% si on considère uniquement les tonnes transportées[2] (plus de marchandises transitent par camions, sur moins de distance qu’en cargo). 97% de ces camions carburaient au Gazole en 2017, 0,3% seulement à l’électricité.
Dans cet écosystème, la logistique du dernier kilomètre est la plus couteuse (20% du coût de transport[3]) et aussi la plus impactée par les restrictions de circulation en ville. Les livraisons en ville représentent 1 véhicule sur 5 dans la ville de paris.
Avec la ville de Paris en leader, les politiques de transport des grandes métropoles à moyen terme et du gouvernement à long terme se tournent vers un transport « propre ».
Si le gouvernement a annoncé un objectif de fin des ventes de véhicules thermiques en 2040, la ville de Paris, dans son plan climat 2018, a annoncé son souhait d’interdire le diesel dès 2024. L’essence serait quant à elle interdite en 2030. Ainsi, la direction est clairement définie vers un remplacement du parc par des technologies « propres » (électriques, hybrides etc…), quand il s’agit de transport urbain, ou de dernier kilomètre. Aussi, le contexte politique peut évoluer rapidement : en octobre 2018, la métropole du grand Paris a annoncé un calendrier de restrictions qui s’alignera avec celui de Paris en 2022[4], ce qui pose un deuxième enjeu. En effet, les principales plateformes d’entreposage se situent dans cette zone (illustration 1).
Certaines métropoles ont également fait des annonces similaires, notamment Lyon qui créera des ZFE (Zones à faibles émissions) à partir de 2020 où seuls les véhicules avec des vignettes Crit’air 1 pourront circuler. Grenoble pour sa part a fait une annonce similaire pour 2025.
Les modèles des plateformes logistiques en périphérie des métropoles, ainsi que la livraison des clients finaux en ville (consommateurs ou commerçants) seront donc fortement impactés. Les évolutions à mettre en œuvre concerneront non seulement les outils (changement du parc de véhicules) mais aussi les organisations (modification des schémas directeurs transports et logistiques)
A paris, un véhicule en circulation sur 5 livre des marchandises, et le coût du dernier kilomètre peut représenter 20% du coût total de la livraison d’un produit. Les premiers impacts de l’interdiction du diesel se verront donc sur cet échelon.
Toutefois, vu le coût élevé qu’il représente, il a été longuement optimisé et plusieurs innovations ont permis d’en changer les facettes. Un exemple est la généralisation du point relais, un mode de livraison qui a été utilisé au moins une fois par 86% des e-acheteurs en 2017[5] contre 66% en 2015[6], et qui a permis de réduire la longueur et la durée des tournées. Toutefois, l’enjeu du diesel reste présent car la majorité des livraisons se fait toujours par utilitaire.
Si la poste a été précurseur en expérimentant des véhicules électriques depuis 2010, l’offre en utilitaire électrique reste toujours réduite. Cependant, différents constructeurs ont annoncé depuis 2017, des projets de camions électriques à horizon 2020 ou plus : principalement Volvo Trucks et Renault Trucks, qui ciblent le marché urbain (100 km), Mercedes Trucks dans un segment péri-urbain (200 km) et Tesla qui vise une autonomie de 800 km.
Ces camions, d’une charge utile variant de 12 à 25 tonnes, permettront de satisfaire les besoins de livraisons vers des plateformes logistiques et/ou clients finaux.
Toutefois, l’enjeu économique est important : avec une commercialisation qui commencera en 2020, et une interdiction du diesel quatre ans après, la fenêtre d’investissement est réduite par rapport au besoin de renouvellement, notamment en Ile-de-France. En effet, avec un parc de 922 000 camions diesel en Janvier 2017[7], une capacité de production faible au lancement des véhicules et un capital conséquent à mobiliser, il sera difficile de renouveler entièrement le parc d’ici 2024. : le nombre de camions pouvant circuler sera plus faible après l’interdiction, engendrant une perte de capacité pour les distributeurs. Ainsi, le marché de la livraison risque d’être sous tension. Des solutions de réduction du besoin de camions seront donc nécessaires.
Amazon a profité de l’Euro 2016 pour présenter une offre de livraison de certains produits sous deux heures à Paris alors que le standard de livraison rapide était auparavant le J+1.
Les deux facteurs qui ont permis à cette offre d’exister sont la livraison depuis des plateformes urbaines, plus petites, avec un assortiment restreint, mais plus réactives (entrepôts dans les villes, commerçants existants …) et l’utilisation de nouveaux modes de livraison (motos, vélos …).
De nouveaux services de mutualisation sont en train de se développer également. On peut citer les exemples de Co-Colis ou Colis-voiturage, qui mettent en relation les particuliers pour la livraison de colis.
Ces nouveaux moyens et services de transports peuvent également être transposés aux flux B2B. En effet, en détournant une partie des flux traditionnellement opérés par camions vers des petits utilitaires, des motos / vélos ou en mutualisant avec d’autre commerçant, le recours aux camions au dernier kilomètre diminuera, réduisant ainsi le besoin d’investissement tout en respectant les enjeux environnementaux.
Les plateformes logistiques sont, intrinsèquement, des lieux où des palettes sont « éclatées » pour constituer des colis à destination des commerçants ou des particuliers. Traditionnellement, ces plateformes tiraient leur efficience de par leur taille : assortiment large et capacité à traiter un stock important et commandes importantes. Ces facteurs permettent d’avoir un rapport coûts / commande faible.
L’interdiction du diesel, et donc la réduction du nombre de camions, pose le challenge de chercher de nouveaux facteurs d’efficience. Dans les exemples cités, cette efficience est tirée de l’amélioration de la réactivité, de l’augmentation de la fréquence et de l’utilisation de nouveaux mediums / services. La question qui se pose est donc : Peut-on imaginer un concept de plateforme logistique qui fonctionne différemment de l’actuel, et qui permet un niveau similaire d’efficacité ?
Cette approche commence par le recours au plateformes urbaines, de plus petites tailles, qui permettent de satisfaire les demandes qui sont faibles en volumes mais fréquentes. Cette approche est favorisée notamment par des systèmes d’informations et des outils d’analyses des demandes plus performants. En effet, ces outils permettent de mieux connaître les besoins et donc de réduire le risque de rupture tout en réduisant la taille des livraisons vers les magasins. Leur réactivité permet aussi de gérer des commandes à quasi temps réel et donc de répondre plus rapidement aux besoins ponctuels.
Ces plateformes peuvent être des lieux « dédiés » à la logistique (à l’exemple des entrepôts ouverts par Amazon) ou peuvent être virtuelles : des livraisons à partir de magasins de taille importante (très grandes surfaces par exemple) vers les surfaces plus petites à l’image du Ship from Store, dans une logique B2B.
Avec des commandes plus petites, l’utilisation de moyens de transport à plus faible charge est donc favorisée, surtout que ceux-ci permettent de ravitailler à toute heure, et potentiellement plusieurs fois par jour, les retailers. L’ajout de ce maillon permet donc de réduire le besoin de camions pour le dernier kilomètre. Ces plateformes devront, quant à elles, être alimentées par des camions à charge utile importante, qui devront respecter les critères environnementaux ou par d’autres voies « propres ».
Le transport fluvial s’est développé depuis les années 2000 pour faire face aux enjeux de congestion des villes et des restrictions horaires sur les livraisons. Ainsi, Monoprix ou Lapeyre ont été parmi les premiers à relancer ce mode de transport, grâce notamment à des barges capables de transporter des conteneurs. Ils ont permis de développer des ports qui font office également de plateforme logistique (Bercy, Limay, Gennevilliers.) et qui permettent d’éclater le contenu des conteneurs sur des moyens de livraisons adaptés à la ville.
Ce mode de transport, plus propre, permet donc de réduire le besoin de transport en camion en amont de la plateforme logistique, tout en ayant une charge utile jusqu’à 5 000 tonnes par barge[8] (soit l’équivalent de 131 camions de 38 tonnes). Ce mode de transport présente un fort potentiel de développement : les conteneurs / colis lourds ne représentent que 8% du trafic ; la majorité des marchandises transportées sont des matériaux de construction (42%) et des produits agricoles non transformés (18%).
Le développement des plateformes urbaines sera accompagné par l’utilisation de moyens de transports différents. L’accent mis sur la réactivité, la rapidité et la faible charge permet d’explorer d’autres moyens de transport que le Poids lourds, et la réflexion peut être poussée à des moyens autres que le camions de toute catégorie (lourd ou léger).
En effet, à l’image des vélos et des motos qui sont utilisés dans les livraisons pour particulier, les 2 roues peuvent servir pour des livraisons B2B. Ceci est déjà le cas dans plusieurs pays en développement, où le manque de capital et le trafic ont orienté le développement vers des outils de transport légers : motos ou voitures avec remorques, triporteurs ou utilitaires.
Ces moyens de transports présentent des caractéristiques intéressantes pour des livraisons de petite taille :
Moto : Charge utile allant de 400 kg à 1t
Utilitaire léger électrique : Volume utile d’environ 4m3 et charge jusqu’à 700 kg
Certaines initiatives vont plus loin, à l’image de l’expérimentation par TNT, Renault Trucks et la Métropole de Lyon. Cette expérimentation consiste à répartir les colis non plus dans un camion mais dans 3 modules mobiles, indépendants les uns des autres. Chaque module est alors transféré sur un véhicule léger qui prend le relais pour la livraison du dernier kilomètre.
Le détournement de ces véhicules, utilisés jusqu’à présent pour des livraisons B2C vers du B2B, et l’utilisation de nouveaux moyens innovants, permettront donc d’accompagner les professionnels dans leur transition du tout diesel en réduisant le besoin de camions en aval de la plateforme logistique.
Les différentes solutions qui se présentent aux industriels de la livraison face à l’interdiction du diesel vont donc générer une complexité importante des flux : Ajout de nouveaux maillons (plateformes urbaines, ports fluviaux) et de méthodes de transports (vélo, moto, utilitaire électrique).
Les fonctions de pilotage, de prévisions et de gestion de flux devront donc être renforcées pour gérer ce challenge afin d’éviter les variations de stocks trop importantes, les surstocks ou les ruptures tout en gardant une qualité de service constante.
Ces évolutions seront notamment possibles grâce à la transformation des processus pour les rendre plus agiles, à une meilleure connaissance des consommateurs et grâce à l’utilisation d’outils d’analyse de données poussées, qui pourront améliorer la précision des prévisions et anticiper les risques de stocks. L’Intelligence Artificielle pourra même avoir une valeur ajoutée importante en automatisant certaines décisions sur les flux (meilleur moyen de transport, anticipation de commandes …).
Par ailleurs, la capacité des plateformes urbaines à traiter un nombre de commandes important est un facteur clé de succès. Les processus qui régissent celles-ci devront être robustes, avec une marge d’erreur très faible. Le challenge peut être surmonté par l’apport d’automatisation dans le storage / picking des produits, ou l’utilisation d’outils de tri automatisé qui ont déjà prouvé, notamment pour La Poste et Amazon, leur capacité à traiter des colis rapidement et avec une marge d’erreur très faible.
Enfin, la mutualisation des outils (plateformes et transport) peut représenter un gain important pour améliorer le taux de remplissage des véhicules et réduire le nombre de trajet. Cette mutualisation peut être réalisée en amont (mutualiser vers une seule plateforme) et en aval (mutualiser les produits à transporter).
L’interdiction du diesel pose un challenge qui peut être surmonté par deux solutions complémentaires : remplacer une partie du parc véhicule, et opérer un changement important de la logistique du dernier km pour détourner une partie des flux des camions. Si chacune des solutions explorées est réalisable et économiquement rentable dans les grandes villes, la réflexion devra tout de même porter sur des solutions mixtes : Gérer le maximum de flux avec des plateformes de proximité qui offrent des délais de distribution rapides pour des petits volumes ; exploiter des plateformes en périphérie pour les volumes importants. Ainsi, l’investissement nécessaire sur un nouvel outil de transport plus propre (électrique, hybride …) devra être accompagné d’une transformation de la logistique pour gérer la complexité des flux. L’automatisation des activités et la mutualisation du transport, même entre concurrents, pourront apporter un gain d’efficacité supplémentaire et seront également un atout majeur pour réussir le défi de la fin du diesel. Ces nouvelles contraintes créeront de nouveaux espaces de concurrence pour la fonction logistique et transport, et permettront de stimuler l’innovation et la transformation de ce secteur.