Agentforce, l'agent GenAI de Salesforce
En juin 2018, le ministre de la Transition écologique et solidaire présentait un plan de déploiement de l’hydrogène en 14 mesures, accompagné d’un financement dédié de 100 M€ visant à positionner cette molécule comme « un pilier de la transition énergétique à moyen terme ».
L’hydrogène pourrait en effet jouer un rôle clé dans la décarbonation du système gazier, tout en valorisant le surplus de production des énergies renouvelables et participant à l’équilibre des réseaux électriques. Ces perspectives laissent entrevoir à long terme l’émergence d’un marché de l’hydrogène à des niveaux locaux, nationaux et européens. Les systèmes gaziers devront cependant être repensés pour permettre l’acheminement et la valorisation de cette énergie à grande échelle. La construction de nouvelles infrastructures ou l'adaptation des réseaux et des équipements existants aux propriétés de la molécule hydrogène seront des évolutions lentes, qui occasionneront des investissements significatifs. L’injection d’hydrogène dans les réseaux gaziers actuels est ainsi considérée comme une solution pour réduire les coûts liés à la construction de nouvelles infrastructures, tout en garantissant un exutoire à une production d’hydrogène décarboné.
Mais les réseaux de transport, de stockage et de distribution de gaz sont-ils prêts à acheminer de nouveaux mélanges de gaz naturel et d’hydrogène ?
Le marché de l’hydrogène, aujourd’hui tourné vers des usages comme matière première dans l’industrie, pourrait à l’avenir répondre à une demande diffuse en tant vecteur énergétique pour le stockage d’électricité, la production de chaleur par combustion ou encore la production décentralisée d’électricité et la mobilité via l’usage de piles à combustible[i]. L’émergence de ces nouveaux marchés impose la création de chaînes d’approvisionnement permettant de relier producteurs et consommateurs d’hydrogène à moindre coûts.
L’acheminement par canalisations apparaît comme la solution la moins onéreuse pour transporter et distribuer en grandes quantités de l’hydrogène qui ne pourraient être valorisées à proximité immédiate de son lieu de fabrication[ii]. La demande diffuse en hydrogène ne pourra cependant émerger en l’absence de réseaux adaptés pour son acheminement . Or, aucun investissement dans des infrastructures nouvelles ne sera entrepris sans l’assurance de voir émerger cette future demande.
Les réseaux gaziers existants sont des actifs mobilisables pour dépasser ce dilemme. Ils offrent en effet un exutoire aux producteurs d’hydrogène en permettant une injection de la molécule dans les infrastructures existantes, en mélange avec du gaz naturel. La valorisation de l’hydrogène mélangé serait alors rendu possible par son acheminement vers des clients classiques des gestionnaires de réseaux. Il peut également être envisagé de séparer l’hydrogène et le gaz en aval des postes de livraisons vers des consommateurs d’hydrogène, afin de valoriser ce vecteur sous sa forme pure, loin de son lieu de production[iii]. L’injection d’hydrogène dans les réseaux permettrait ainsi de limiter les risques liés à la demande pour les producteurs, tout en réduisant les coûts d’investissement nécessaires au déploiement d’une filière hydrogène décarbonée.
Cette pratique favorisera par ailleurs l’éloignement des zones de production et de consommation d’hydrogène et de mélanges gaz-hydrogène. Il pourra en résulter l’installation d’électrolyseurs dans des territoires disposant de conditions favorables à la valorisation du surplus de production des énergies renouvelables et la réalisation d’économies d’échelles par la concentration des capacité de production.
À titre illustratif, l'industriel français H2V, projetant l'installation de plusieurs électrolyseurs de 100 MW de puissance à Port-Jérôme, Loon-Plage et Fos-sur-Mer, souhaite la commercialisation d'une partie de sa production par "injection dans les réseaux de transport de gaz naturel"[iv].
L’injection d’hydrogène dans le réseau de gaz naturel présente cependant, dans le contexte actuel, des contraintes techniques, économiques et réglementaires. Cette pratique est d’ailleurs soumise à des restrictions, différentes d’un pays à un autre.
En France, les spécificités contractuelles du gaz livré par les opérateurs de réseau prévoient une limite maximale de 6% d'hydrogène en volume dans le réseau de gaz naturel. Toutefois, cette limite reste aujourd’hui théorique étant donnée l’absence d’injection de cette molécule dans les canalisations françaises.
Certains équipements des consommateurs de gaz présentent peu ou pas d’adaptabilité aux éventuels changements dans le mélange constituant le fluide arrivant via les canalisations. La tolérance des équipements est ainsi particulièrement faible chez les gros industriels, notamment dans le secteur de la sidérurgie, pour lesquels une modification de contenu énergétique du carburant impliquerait de potentielles instabilités dans le processus de production[v].
D’autre part, les caractéristiques et les conditions d’exploitation de certaines canalisations actuellement en place (matériaux, pression, etc.) impliquent des risques particuliers quant au transport de la molécule d’hydrogène. Étant donné sa petite taille, le taux de fuite est relativement important (allant jusqu’à 4 à 5 fois celui du méthane, pour certains types de canalisations[vi]), présentant ainsi des risques de sécurité et de pertes financières.
Outre les problématiques d’ordre technique, un cadre réglementaire plus incitatif serait nécessaire pour favoriser un décollement du marché : comme pour le biométhane, un mécanisme de rémunération propre à l’injection dans le réseau de gaz naturel, ainsi que des objectifs européens clairs, devront être définis pour encourager la naissance de projets économiquement viables. En effet, une étude publiée par la FCH JU (Fuel Cell and Hydrogen Joint Undertaking) en 2017 portant sur le modèle économique des projets de la filière hydrogène en 2017 et en 2025, envisage dans ses modélisations un tarif d’injection réglementé à 90 €/MWh PCI en 2025 (Pouvoir Calorifique Inférieur), équivalent à celui du bio-méthane aujourd’hui[vii].
Un cadre réglementaire adapté au développement du marché de l'hydrogène en tant que vecteur énergétique est en cours d’élaboration au niveau européen avec la Directive Energies Renouvelables II (RED II Renewable Energy Directive Post 2020). Bien que celle-ci classe l’hydrogène hydrolytique sous la nouvelle catégorie de carburants ReFuNoBiO (Renewable Fuel from Non-Biological Origins[viii]), elle ne fournit pas de vision claire quant à l’injection de ce dernier dans le réseau de gaz naturel.
Les enjeux techniques liés à la prise en charge de mélanges d’hydrogène et de gaz naturel pourraient impliquer d’adapter les infrastructures ou l’exploitation des réseaux gaziers : réglage ou remplacement des équipements industriels les plus sensibles, adaptation des plans de surveillance, etc. Le coût de mise en œuvre de ces solutions augmentera de manière graduelle en fonction des quantités d’hydrogène injectées.
Les gestionnaires des infrastructures gazières entreprennent d’ores et déjà des expérimentations visant à caractériser les adaptations à réaliser sur les composants des réseaux gaziers pour différents pourcentage d’hydrogène mélangés avec du gaz naturel. Ces initiatives permettront notamment d’identifier les territoires et les réseaux présentant les caractéristiques les plus propices au développement de projets d’injection.
Les enseignements de ces différents projets seront cruciaux pour déterminer les conditions techniques et économiques permettant l’injection d’hydrogène dans les réseaux. Le plan national de déploiement de l’hydrogène présenté en juin 2018 par Nicolas Hulot, ex-ministre de la Transition Écologique et Solidaire, pose un premier jalon aux opérateurs des réseaux gaziers français. La mesure 12 du plan les enjoint en effet à rendre d’ici “mi-2019” un rapport présentant ces conditions, qui seront “validées par l’Etat en tant que de besoin”[ix].
[ii]Le rapport final du projet HyFrance (2007) estime ainsi entre environ 20 et 45 €/GJ le coût pour les stations-services françaises de l’hydrogène produit par vaporeformage du méthane et livré par camion. Les fourchettes de prix de l’hydrogène fabriqué par ce même procédé et transporté par canalisation dédiée sont estimées équivalentes lorsque le CO2 produit est capturé et stocké.
[iii] Le rapport final du projet HyFrance (2007) estime entre 15 et 30 €/GJ le coût dans les stations-services françaises d’un hydrogène produit par vaporeformage de méthane et transporté via par une canalisation mélangeant le gaz naturel et l’hydrogène, en prenant en compte des coûts liés à la capture et au stockage du CO2 et à la séparation de l’hydrogène et du méthane avant distribution de l’hydrogène dans les stations-services.
[iv] Projet de s'implanter sur la zone industrielle de Port Jerome
[v] Hydrogen from Renewable Power - Technology Outlook for the Energy transition , IRENA, September 2018
[vi] Evaluation of the Permeability to CH4 and CH4+H2 of PE Currently Used in Gas Distribution Networks, D. Gueugnaut, and Denise rousselot, GAZ De France (2008)
[vii] Study on early business case for H2 in energy storage and more broadly power to H2 applications, FCH JU, June 2017
[viii] Hydrogen Europe Law regulation overview
[ix] Plan déploiement hydrogène