La reconversion, parent pauvre des politiques d…
Sia Partners a rencontré Arnaud de Lhoneux, Regional Business Development Manager chez Hydrogenics. L’objectif : en apprendre davantage sur l’électrolyse de l’eau et les différentes technologies d’électrolyseurs, maillon indispensable pour assurer une production décarbonée d’hydrogène.
Arnaud de Lhoneux : Hydrogenics est une entreprise canadienne spécialisée dans la fabrication d’électrolyseurs pour la production d’hydrogène et de piles à combustibles avec une portée internationale. Nos bureaux sont installés en Belgique, en Allemagne, au Canada, en Russie et aux Etats-Unis. Historiquement, l’activité d’Hydrogenics était tournée vers la production d’électrolyseurs alcalins[1] pour des usages industriels (industrie du verre, de l’acier, centrales électriques, etc.). Sur les 4 dernières années, nous observons une croissance des projets destinés aux usages énergétiques de l’Hydrogène (mobilité, power-to-gas) plutôt qu’aux usages industriels.
Aujourd’hui, nous proposons également à nos clients des électrolyseurs PEM[2], plus adaptée aux besoins de compacité, flexibilité, et de grande taille que représentent ces nouveaux marchés.
Nous avons développé notre technologie PEM à partir de notre connaissance historique sur les piles à combustibles PEM, basées sur la réaction inverse. Nous avons déployé nos premiers projets commerciaux en 2015 et avons remporté en Février 2019 le plus gros projet PEM au monde de 20 MW au Canada en collaboration avec Air Liquide[3]. Cette installation PEM a pour but d’agrandir la capacité d’un site centralisé de production d’hydrogène déjà existant (qui possède déjà une unité de vaporeformage produisant l’hydrogène à partir de gaz naturel), hydrogène ensuite distribué aux industriels voisins.
Nous assurons l’ensemble des étapes du projet : développement, production, assemblage, mise en service, et maintenance. L’objectif est de proposer des projets « Plug and Play » où il suffit pour le client de brancher l’eau et l’électricité à l’électrolyseur Hydrogenics afin de démarrer la production d’hydrogène.
Arnaud de Lhoneux : Nous avons décidé de miser sur la technologie PEM, alors que certaines entreprises choisissent de rester sur la technologie alcaline. Il est aujourd’hui encore très difficile de se prononcer pour savoir si une technologie prendra le pas sur les autres à moyen-terme.
Aujourd’hui, les innovations autour des principales technologies d’électrolyseurs sont majoritairement incrémentales (ex : le rendement de conversion). En effet, la réaction d’électrolyse de l’eau est connue et développée depuis une centaine d’années. Pour la technologie PEM, l’un des gros challenges est la réduction de l’utilisation de matériaux rares PGM (Platinum Group Metal) comme catalyseurs tout en gardant les mêmes performances. Les axes d’amélioration s’orientent également sur les nouvelles combinaisons de membranes ou encore sur l’augmentation des densités de courants de fonctionnement. Ces densités de courant sont plus grandes pour les électrolyseurs PEM qu’alcalins, ce qui permet d’obtenir une meilleure compacité des électrolyseurs. Ainsi pour un même volume de stack, il est possible d’atteindre des puissances plus importantes en technologie PEM. Enfin, d’importants efforts sont également consacrés à améliorer la flexibilité des systèmes pour répondre à un approvisionnement électrique parfois très variable ou intermittent (éolien/solaire).
L’augmentation progressive de la taille des projets et l’augmentation de la demande en électrolyseurs vont également permettre de progressivement standardiser leur production tout en réalisant des économies d’échelle, ce qui fera baisser le prix des équipements.
Arnaud de Lhoneux : La compétition est importante car tous les grands leaders répondent à l’ensemble les appels d’offres, presque peu importe la technologie portée et la taille des projets.
Nous sommes dans une phase de transition où la plupart des grands acteurs qui ont su se faire une place sur le marché industriel, souhaitent désormais prouver leur savoir-faire dans le domaine de l’hydrogène-énergie. Pour cela, le défi est de remporter et de mener à bien des projets d’envergure, opérationnels, fiables et clé-en-mains : c’est par exemple tout l’enjeu de notre projet d’électrolyseur PEM de 20 MW au Canada.
Les acteurs du marché des électrolyseurs tels qu’ils existent actuellement sont issus d’une succession de fusions et d’acquisitions entre spécialistes du secteur, mais le marché n’est pas encore suffisamment mature pour envisager à court terme une consolidation entre ses différents acteurs. Aujourd’hui, les grands groupes d’énergéticiens se positionnent peu à peu sur les « pure players » du marché de l’électrolyse : Air Liquide est entré dans le capital d’Hydrogenics à 19%, EDF à 20% dans Mcphy, Man Energy Solution a racheté H-Tec.
Arnaud de Lhoneux : Les secteurs d’application où l’hydrogène va trouver le plus de sens vont fortement dépendre des contextes politiques et réglementaires des différentes zones géographiques. Par exemple, le problème de la qualité de l’air en Chine rend très porteur l’usage mobilité, avec des mécanismes de soutien considérables pour les véhicules propres. La Corée du Sud possède également des objectifs ambitieux en termes de mobilité.
En Europe, l’augmentation progressive des taxes et du prix des quotas carbone, ainsi que la directive Européenne RED II[4] pourraient pousser certains industriels à intégrer de l’hydrogène dans leur processus, ou certains consommateurs actuels d’hydrogène de passer à des modes décarbonés (ex : engrais, raffineries). Pour répondre au stockage de l’électricité produit par les gigantesques champs éoliens en mer du nord, l’usage power-to-gas pourrait également considérablement se développer d’ici 2030. D’ores et déjà, de très nombreux projets sont lancés. Néanmoins, les business cases en Europe souffrent du coût relativement élevé des renouvelables et des facteurs de capacité relativement faibles par rapport à l’Afrique du Nord ou au Moyen-Orient.
L’Afrique du Nord, avec des PPA[5] observés à 30$/MW et moins, les projets ne sont nullement restreints par une problématique de place et le facteur de capacité peut atteindre 60%. Ces conditions sont économiquement propices à la production d’hydrogène décarboné compétitif. On pourrait imaginer à long-terme, une production d’hydrogène réalisée en Afrique du Nord puis exportée en Europe, à l’image de ce qu’on observe actuellement entre l’Australie et le Japon.
Ainsi, les dynamiques de développement de l’hydrogène décarboné vont donc être très locales, fortement orientées par les politiques de soutien mises en place.
Propos recueillis par Gaspard Cebal & Ji-Hoon Hu.
"Diplômé comme Ingénieur Civil mécanicien à l’Université Catholique de Louvain (UCL) en 2016, j’ai commencé ma carrière par une expatriation de deux années dans le Parc National des Virunga dans l’Est du Congo, où je travaillais comme Site Manager à la conception et la construction d’un réseau électrique de distribution dans la région du Lubéro à partir d’une centrale hydroélectrique en cours de construction. A mon retour en 2018, j’ai commencé comme Regional Business Development Manager dans l’Hydrogène Renouvelable chez Hydrogenics."
Notes et Sources :
[1] II existe trois grandes catégories d’électrolyseurs : les alcalins, les PEM et les SOE (par ordre de maturité). Cf. étude Sia Partners EnergyLab pour une description complète de ces technologies
[2] Proton Exchange Membrane
[3] Air Liquide est d’ailleurs récemment rentré au capital d’Hydrogenics à hauteur de 19%
[4] Renewable Energy Directive
[5] Power Purchase Agreement