La reconversion, parent pauvre des politiques d…
Nicolas Lesur nous livre son point de vue sur le marché de la Finance Participative
Nicolas Lesur, vous êtes le Directeur Général et fondateur de la plateforme de crowdfunding Unilend et le Président de l’association Financement Participatif France. En quelques mots, pouvez-vous nous retracer votre parcours ?
Diplômé d’HEC Paris, de l’Université Paris Sorbonne et de l’INSEAD, j’ai commencé ma carrière en 1999 en Banque Privée chez BNP Paribas. En 2001, j’ai rejoint la banque Neuflize OBC où j’ai pris en 2002 la direction du département Marketing de la Banque Privée. A travers cette expérience, j’ai eu l’occasion de développer une expertise sur à peu près tous les produits financiers pour les épargnants qui existent. Puis j’ai basculé, de 2007 à 2012, côté Asset Management, en intégrant « La Financière de l’Echiquier » comme Directeur du Marketing et de la Communication.
En fait, c’est cette dernière expérience chez La Financière de l’Echiquier – qui a encore un esprit très start-up – qui m’a incité à me lancer moi aussi dans l’aventure entrepreneuriale.
Vous avez joué un rôle de pionnier dans l’essor du crowdfunding par le prêt aux entreprises en France. Comment a émergé et comment s’est structuré le projet d’Unilend ?
J’avais déjà l’idée du crowdfunding dans la tête depuis quelque temps, mais à l’époque, c’était encore quelque chose qui se cantonnait à financer des disques, ni plus ni moins. Personne ne soupçonnait que cela pouvait potentiellement servir aussi à financer des entreprises. L’idée a donc germé avec mon associé au mois de décembre 2011. Nous avons travaillé dessus et dès lors que nous l’avons clairement identifiée nous avons foncé.
Mais avoir l’idée est une chose, la concrétiser en est une autre. Et un ensemble de paramètres exogènes se sont imposés à nous, notamment le contexte politique et économique du moment, assujetti à un monopole bancaire sur le crédit – héritage de la planification colbertienne d’après-guerre – qui est l’un des plus stricts en Europe. Il nous a donc fallu faire preuve d’ingéniosité pour tenir compte de ces contraintes afin d’évoluer dans le cadre existant et concrétiser notre projet. Après 15 années à évoluer dans le secteur financier, nous savions que cela ne s’invente pas.
Avec l’aide de notre avocate nous avons donc identifié la possibilité d’utiliser les bons de caisse – qui à l’époque avaient été un peu oubliés et relégués dans un coin du Code Monétaire et Financier – alors qu’ils se révélaient être le parfait outil pour notre projet. Codifiés en 1937 comme des titres de créances permettant à de petits commerçants de lever des fonds auprès de leurs clients, les bons de caisse entraient parfaitement dans la logique qui était la nôtre en 2012 à savoir, faciliter au maximum la levée de fonds tout en protégeant l’épargnant par la communication de la bonne information.
Partant de cela, il nous a donc fallu construire tout le cadre – y compris réglementaire – le vrai sujet étant les flux de paiements générés par ces prêts. Il fallait un cadre qui satisfasse les exigences de la Directive sur les Services de Paiement (DSP). Pour ce faire, nous sommes ainsi devenus Agents Prestataires de Services de Paiement.
Nous avons élaboré toute la mécanique (le corpus contractuel de la plateforme, la base de données, le modèle) en dialogue constant avec les autorités régulatrices – l’ACPR et l’AMF – de la part de qui nous avons reçu une excellente écoute dès le début.
Vous avez œuvré à la mise en place d’un cadre juridique en faveur du développement de la Finance Participative. Pouvez-vous nous en dire plus sur cette levée progressive des barrières réglementaires en France ?
L’idée de donner un cadre à la Finance Participative a émergé avec les Assises de l’Entrepreneuriat en avril 2013. Avec Arnaud Poissonnier, fondateur de Babyloan, et Vincent Ricordeau, cofondateur de KissKissBankBank, notamment, nous avons alors engagé la rédaction d’un Livre Blanc sur le prêt. A l’époque, il n’y avait personne dans le paysage concurrentiel. Il a fallu convaincre qu’il était possible de demander une dérogation au monopole bancaire existant. L’époque avait changé et il n’y avait pas d’anarchie à libérer le crédit, comme l’avaient déjà fait l’Espagne ou la Grande-Bretagne. Ce n’est pas la distribution de crédit qui est compliquée, c’est son recouvrement et son allocation. Les gens n’y croyaient pas. Peu importe, on nous demandait notre avis, et ce Livre Blanc était l’occasion de l’exprimer ! Et, à la surprise générale, le 4 juillet 2013 à Bercy, les propositions que nous avions faites ont été acceptées. C’est cela qui a marqué le vrai point de départ de notre aventure. Unilend – une plateforme où nous avons réussi à se faire rencontrer prêteurs et emprunteurs – en a été la concrétisation dès novembre 2013, avant même la mise en œuvre de la nouvelle réglementation, grâce à l’utilisation des fameux bons de caisse !
Selon vous, quels sont les freins réglementaires résiduels ? Quelles sont les perspectives à envisager ?
La France a déjà beaucoup fait et aujourd’hui l’enjeu prioritaire se situe plutôt à l’échelle européenne où il est nécessaire d’unifier toutes les mesures prises.
Si l’on se recentre sur la France, l’enjeu résiduel se situe au niveau de la fiscalité. En considérant, dans une vision à long terme, qu’un financement non bilanciel a vocation à émerger de manière forte – pas forcément en remplacement du financement bilanciel, mais bien en complément – quelque chose entre le financement de marché et le financement bancaire, cela signifie qu’il faut organiser les conditions pour que le coût du capital soit raisonnable. Or aujourd’hui, le coût du capital est deux fois plus élevé qu’il ne devrait l’être, du fait notamment d’une fiscalité extrêmement contraignante. A titre d’exemple, un prêteur qui prête à 7% chez Unilend pourrait, en réalité, obtenir le même niveau de rentabilité-risque net, s’il n’avait pas d’impôts, en prêtant à 4%. En fait, d’une certaine manière, c’est l’Etat qui renchérit le coût du capital des plateformes et ce, de manière assez paradoxale, puisqu’en parallèle, il souhaite leur développement et l’orientation de l’épargne vers l’économie réelle. En fait, ce n’est pas normal qu’un prêt – qui présente quand même un certain niveau de risque – soit fiscalisé de la même manière qu’un livret bancaire avec un certain niveau de garantie. Donc selon moi, les prochains chantiers sont là.
On anticipe un potentiel marché de 10 milliards de dollars en France en 2020. Quelles évolutions majeures du secteur anticipez-vous ?
Le potentiel est énorme, c’est certain. Et il y a encore des horizons totalement inexploités ! Ce qui est très étonnant c’est que personne, depuis la création du statut d’IFP, n’ait fait autre chose que de financer des entreprises. Attention, je ne parle pas du prêt aux particuliers qui, lui, est interdit si c’est pour financer des besoins non professionnels. Pour autant, on peut tout à fait imaginer une plateforme de financement des études, du permis de conduire, des professions libérales … qui sont bien des besoins professionnels.
Le marché français est encore embryonnaire par rapport au marché mondial.[1] Quelle est la portance du marché ? Faut-il s’attendre à de nouveaux entrants ou au contraire à un mouvement de concentration ?
Il faut savoir que pour être rentable, une plateforme doit atteindre 100 millions d’euros de financements par an. C’est donc avant tout une histoire de capacité industrielle. Pour être en mesure de traiter des volumes aussi importants de flux, il faut avoir une plateforme parfaitement outillée sur le plan technologique et humain et construire un processus de traitement parfaitement huilé et optimisé. Et cela n’est rendu possible qu’après avoir réussi à lever plusieurs millions d’euros. Très peu d’acteurs en sont capables.
De ce fait, la plupart des acteurs présents sur le marché aujourd’hui sont voués à disparaitre. La question est de savoir s’ils vont disparaître parce qu’ils vont être rachetés ou parce qu’ils vont mourir. Ma conviction, c’est qu’ils vont mourir. En effet, à mes yeux, et contrairement aux apparences, nous ne sommes pas du tout dans un marché qui s’apparenterait au courtage en ligne. En effet, personne n’a deux courtiers en ligne. Donc fondamentalement si vous rachetez un courtier, vous rachetez des clients que vous n’avez pas. De surcroît, la migration de ces clients est assez simple puisque les instruments, et potentiellement les dépositaires, sont les mêmes. C’est donc une acquisition qui a du sens.
Dans les plateformes de crowdfunding c’est exactement l’inverse. On rachète une base d’emprunteurs et de prêteurs et une technologie. Or, la plupart du temps, les emprunteurs ont déjà organisé leurs prêts. On n’a alors plus que des remboursements à gérer, mais plus de chiffre d’affaires à espérer. Quant aux prêteurs, ils ont probablement diversifié leurs portefeuilles en souscrivant à d’autres plateformes concurrentes. Par conséquent, on ne rachète pas forcément une base que l’on ne possède pas déjà. Enfin, d’un point de vue technologique, racheter une plateforme n’est pas forcément avantageux, notamment si notre propre outil « maison » nous convient. Les coûts d’intégration générés sont généralement faramineux et n’en valent pas la chandelle. Le risque de telles acquisitions est donc de racheter une base qui ne rapporte plus, une technologie que l’on a déjà et des prêteurs que l’on a déjà. Cela n’a aucun sens.
Donc, selon moi, il n’y a pas de raison de consolider le marché par acquisitions. Seules les acquisitions de ce type qui s’inscrivent dans une stratégie d’internationalisation ont pour moi un véritable intérêt. Cela peut permettre de pénétrer plus facilement un marché étranger en bénéficiant de la bonne connaissance locale des équipes nouvellement intégrées afin de faire face aux spécificités et aux enjeux locaux (réglementaires, marketing, etc.)
D’après vous, quelle place la technologie doit-elle prendre dans ce secteur ? Quelles synergies peut-on envisager avec le secteur bancaire ?
La place de la technologie est vraiment importante et structurante. Et bien entendu, si les banques veulent se positionner sur ce marché, elles ne peuvent en faire abstraction. Leurs Directions SI ont donc tout à gagner à utiliser nos technologies pour digitaliser les processus qu’elles ne parviennent pas aujourd’hui à transformer seules.
Aujourd’hui, chez Unilend, nous sommes capables de traiter 400 millions d’euros de flux annuels à iso-technologie et iso moyens humains, du fait de l’automatisation de la plupart de nos processus. Et nous espérons doubler – voire tripler – cette capacité dans l’année qui vient et ce, sans forcément doubler les équipes.
Comment voyez-vous l’évolution de votre positionnement ? Quels sont les principaux défis à venir ?
L’internationalisation, nous y travaillons. Mais nous ne nous lancerons vraiment que quand nous nous sentirons suffisamment prêts pour y aller en toute confiance. Aborder des sujets comme le crédit et l’épargne dans des pays qu’on ne connaît pas est une chose difficile qui s’anticipe et se prépare. Le vrai sujet c’est avant tout de trouver les bonnes équipes. Ce n’est donc pas tant un problème réglementaire qu’un problème de choix pertinent d’équipe.
Il y a aussi un large éventail de segments de marché à explorer, autres que l’entreprise sur lequel nous sommes positionnés. Dans un premier temps, nous souhaitons d’abord consolider notre savoir-faire sur les entreprises. Dans un second temps, nous pourrons nous attaquer à d’autres cibles et, pourquoi pas, étendre l’offre de services actuellement proposés. Le champ des possibles est encore très vaste nous concernant !
[1] Tout type de crowdfunding confondus, en moyenne les Britanniques investissent 10 fois plus que les Français et 100 fois plus que les Italiens.