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Interview : François Guiberteau

Directeur des Systèmes d'Information adjoint chez Qatar Petroleum

Qatar Petroleum (QP) est une entreprise d'État. Elle est responsable de toutes les phases de l'industrie du pétrole et du gaz dans l'État du Qatar. Les principales activités de QP, de ses filiales et de ses coentreprises sont l'exploration, la production, la vente locale et internationale de pétrole brut, de gaz naturel et de liquides de gaz, de produits raffinés, de carburants synthétiques, de produits pétrochimiques, d'additifs pour carburant, d'engrais, de gaz naturel liquéfié (GNL), d'acier et d'aluminium.

Quels sont les grands facteurs d’évolution auxquels est confrontée votre DSI ?

5 grands facteurs d'évolution sont à distinguer:

1. L’agilité du travail

Une sorte de révolution est en cours pour les métiers IT, liée au digital mais pas uniquement. Auparavant, le mode de gouvernance était très traditionnel : avant d’engager un projet, nous définissions tout avant de commencer quoi que ce soit. Cela faisait énormément de documents et prenait beaucoup de temps.

« Aujourd’hui, ce n’est plus du tout ce modèle-là, c’est beaucoup plus agile. Nos interlocuteurs sont eux aussi dans ce même modèle. C’est une petite révolution car les professionnels de ma génération n’ont pas été formés comme cela »

2. L’évolution de plus en plus rapide des technologies

« Auparavant nous définissions des solutions pour les 10 années à venir. Aujourd’hui nous sommes obligés de considérer qu’une solution va avoir une durée de vie de 3 à 4 ans »

​3. Le changement de paradigme en matière de sécurité

Auparavant les systèmes conçus étaient garantis secure. Aujourd’hui nous sommes mis au pied du mur et devons accepter le fait que nous ne pouvons pas tout contrôler en termes de sécurité.

« Nous devons accepter qu’un système va pouvoir être compromis, et nous devons être prêts à détecter et à réagir, à avoir constamment un plan B »

​4. Une approche moins structurée de la donnée

Avant, à chaque fois que nous parlions de donnée ou d’information, nous parlions de l’information structurée, par exemple dans des data-bases. 

Depuis quelques années, nous considérons que la donnée non structurée, non digitalisée, a également de la valeur. C’est le cas des documents scannés mais aussi de la voix, du bruit, des mouvements, des signaux/variations faibles ou globaux. Par exemple, dans le contexte industriel actuel, nous en venons à monitorer de nouvelles sources d’information telles que le bruit ambiant d’une usine pour détecter le comportement anormal d’un équipement, les variations des ondes lumineuses dans une fibre optique pour surveiller les abords d’un pipeline. Ces nouvelles sources d’informations sont utilisées dans les interfaces utilisateur pour détecter l’humeur ou les conditions physiques d’une personne ; je vous laisse imaginer le potentiel de ces sources dans les domaines industriels (safety, travail en milieu hostile, etc.). La technologie permet donc d’approcher ce type d’input qui était hors de considération auparavant. En effet, nous sommes capables de digitaliser de la donnée non digitale et d’y trouver de l’information. Cela nous ouvre des possibilités en termes d’analyse de données.

 

5. De nouvelles pratiques générationnelles

 

« Les nouvelles générations tant coté IT que métier ont de nouvelles façons de travailler qui changent la façon dont l’IT doit penser ses solutions ».   

L’aspect social du travail : nous travaillons aujourd’hui beaucoup plus en collaborant en direct plutôt qu’en ayant des points de check up. C’est l’influence des réseaux sociaux, de la mobilité, du smartphone que nous avons dans la poche.

« Lorsque nous concevons des solutions aujourd’hui, nous devons intégrer cet aspect de l’instantané et de la collaboration ». 

Quelles sont les évolutions de vos métiers et des compétences associées ?

  • Data scientists et data analysts

Dans les métiers pétroliers, les  métiers de data scientists et data analysts demandent de nouvelles compétences que nous avons parfois du mal à trouver. 

J’ai l’impression que tous les métiers sont concernés par la data science. Il n’y a pas un domaine qui ne nous a pas déjà sollicité sur ce sujet, car tous ont de l’information et veulent en tirer quelque chose. 

  • Techniciens de la sécurité

Les compétences des techniciens de la sécurité évolue. Il existe beaucoup de techniciens de la cybersécurité, mais leurs compétences relèvent plus de celles du technicien, et moins de la capacité à gérer les risques.

« Il est difficile de trouver des gens qui ont une approche risque, des risk-managers ».

  • Chefs de projet senior

« Pour des métiers tels que celui de chef de projet senior, il est nécessaire pour les personnes en poste de parvenir à se reconvertir, ou tout du moins à ajouter à leur portefeuille de compétences de l’agilité (techniques Lean et Six Sigma). Sinon, ces personnes vont avoir énormément de difficultés à mener des projets digitaux, qui ont besoin de fonctionner avec cette approche. »

Face à ces évolutions, quels sont vos enjeux RH et les chantiers en cours et à venir pour y répondre ?

Des reconversions sont à faire dans le domaine data analytics et data science : certains développeurs ou certaines personnes qui ont travaillé dans le domaine des bases de données (dont certains étaient un peu captifs) ont en ce moment des opportunités de se former à tout ce qui est à data analytics. Des opportunités de passerelles sont à découvrir.

Dans mon précédent poste de DSI, nous avions ajouté un département dédié au data information management, et nous y avions ajouté petit à petit des compétences : data architect, dashboard factory, … Ce sont des changements organisationnels et de développement de capacités qui dérivent de la prise de conscience d’un aspect stratégique. Nous avons utilisé une matrice de compétences pour identifier celles dont nous avions besoin, et évaluer celles que nous avions déjà. Cependant, les gap ont été gérés de manière empirique, il n’y avait pas de plans de carrière, simplement des formations pour certains et des mobilités pour d’autres.

« Pour moi, l’un des challenges, ce sont vraiment les passerelles. Quand un DSI se demande comment prendre les virages liés au digital, comment naviguer dans la transformation digitale, très souvent, il se dit qu’il faudrait recruter. Mais en fait, il y a beaucoup de choses possibles sans recruter, certaines passerelles sont presque plus rapide que de recruter quelqu’un qui ne connaît pas l’entreprise. »