La reconversion, parent pauvre des politiques d…
Tandis que les normes de la 5G ont été spécifiées fin 2018 par l'ensemble des acteurs à l’échelle mondiale, les pays et opérateurs de télécommunications se livrent désormais à une course au déploiement,...
Tandis que les normes de la 5G ont été spécifiées fin 2018 par l'ensemble des acteurs à l’échelle mondiale, les pays et opérateurs de télécommunications se livrent désormais à une course au déploiement puisque les premiers entrants sur le marché de la 5G auront un avantage compétitif qui pourrait s’avérer décisif face à ceux qui prendront le train en marche.
En effet, les enjeux géopolitiques, stratégiques et commerciaux sont nombreux avec l’arrivée de la nouvelle famille de réseaux mobiles qui s’annonce être une révolution plus qu’une évolution puisqu’elle devrait soutenir la prochaine génération d'infrastructures, qu'il s'agisse des villes intelligentes, des voitures autonomes ou des milliards d’objets connectés qui devraient être mis en service au cours des prochaines années.
Ainsi, la 5G pourrait être la clé de la promesse du président Donald Trump " Make America Great Again " mais aussi de l’ambition de la Chine de devenir leader mondial en intelligence artificielle (IA) d'ici 2030.
Dans les faits, les opérateurs de télécommunications doivent choisir l'équipementier qui prendra en charge la fourniture du matériel nécessaire au déploiement de la 5G. Derrière ce choix, il s’agit en réalité de savoir qui va définir le modèle, l’architecture et l’agenda de la prochaine génération de réseaux mobiles. Cette décision revêt donc une importance stratégique majeure.
Au-delà de cette dimension stratégique, d’importantes considérations commerciales sont en jeu puisqu’en 2035, la 5G devrait permettre une production économique mondiale de 12,3 billions de dollars.
La 5G apparait donc comme une technologie cruciale tant pour l’avenir des infrastructures que des économies nationales, ce qui explique la lutte que se livrent les États-Unis et la Chine pour dominer ce marché.
Les réseaux mobiles, dont la 5G, exigent des normes communes afin que les fabricants d’équipements de télécommunications ainsi que les opérateurs de télécommunications puissent déployer ces technologies dans le monde entier. C’est dans cette course au déploiement que se sont lancées des entreprises chinoises comme ZTE et Huawei, et des entreprises européennes comme Ericsson et Nokia avec pour ambition de devenir leader du marché de l’équipement de télécommunications. Ils développent l’ensemble des produits et logiciels nécessaires au déploiement de la 5G : antenne, stations relais, développement du coeur de réseau, articulation du transfert des données etc…
Sur ce marché stratégique, Huawei est devenu un acteur incontournable et semble avoir pris une avance significative avec une force de travail et une technologie supérieure à la concurrence.
Depuis 2017, Huawei se positionne en leader du marché de l’équipement de télécommunications, revendiquant près de 30% de part de marché et un chiffre d’affaire de 92,55 milliards de dollars en 2017, soit plus du triple de ses concurrents Nokia et Ericsson sur la même année.
Huawei surpasse également ses concurrents sur le plan de la recherche, en témoignent ses récents investissements en R&D qui s’élèvent à plus de 100 milliards de yuans en 2018 (soit 13 milliards d’euros), ses plus de 3500 demandes de brevets du secteur de la 5G depuis 2018 ou encore ses 11000 contributions à la recherche dans le domaine. L’entreprise mène également la course au déploiement de la 5G avec ses près de 1000 familles de brevets 5G quand Ericsson en détient 800 et Nokia seulement 300.
Quand Ericsson et Nokia emploient chacun 100 000 personnes environ, Huawei en emploie près du double et le géant chinois est le seul sur le marché à proposer l’intégralité de la technologie 5G clé en main. L’équipementier chinois contrôle l'entièreté de la chaîne de production et fabrique l’ensemble des éléments nécessaires à la construction des réseaux 5G mais est aussi capable d’assembler ces éléments et de les installer à l’échelle mondiale, le tout à des tarifs inférieurs à ses concurrents. L’entreprise revendique d’ailleurs 12 mois d’avance sur ces derniers en matière de technologie 5G.
Fort de cette position de leader sur le marché, Huawei a réalisé des tests pré-commerciaux 5G avec plus de 30 opérateurs leaders au Canada, en Chine, en Allemagne, au Japon, en Russie, à Singapour, en Corée du Sud, au Royaume-Uni, etc.
En janvier 2019, Huawei dévoile le premier chipset de station de base 5G au monde. Dénommé Tiangang, ce dernier simplifie les réseaux 5G et permet donc un déploiement à grande échelle. Véritable avancée technologique en matière d’intégration et de capacité de calcul, Tiangang prend également en charge la largeur de bande spectrale de 200 MHz, requise pour les futurs réseaux, tout en étant 2,5 fois plus rapide que les produits existants. Tiangang améliore également les antennes actives (Active Antenna Unit) et réduit de moitié le poids des stations de base 5G.
En février, Huawei lance sa solution 5G simplifiée à l’occasion du Mobile Word Congress. Destinée aux opérateurs de télécommunications, cette solution doit permettre de construire des réseaux 5G performants avec une expérience utilisateur de qualité, un déploiement simplifié et rapide et un faible coût d’exploitation.
A l’occasion de son Analyst Summit en avril, le géant chinois de l'équipement de télécommunications souligne son avance dans le domaine de la 5G : il revendique alors 46 accords commerciaux 5G et affirme avoir expédié plus de 45 000 stations de base 5G, faisant de lui le premier équipementier en la matière. Début juin, ce sont 46 contrats qui sont conclus et plus de 100 000 stations de base 5G qui sont expédiées.
Fin mai, l’opérateur de télécommunications britannique EE lance sa 5G dans six villes au Royaume-Uni. Côté équipement, Huawei, bien que écarté du coeur de réseau, fournit tout de même des points de relais à l’opérateur.
Début juin, en marge d’une rencontre entre les présidents russes et chinois, Huawei et le plus grand opérateur de télécommunications russe MTS signent un accord dans le cadre du déploiement de la technologie 5G en Russie et du lancement de tests dès cette année.
Après un premier partenariat signé avec Huawei pour l’installation d’infrastructures 5G, Monaco a conclu un nouvel accord dans le cadre de son programme “5G Smart Nation” qui devrait lui permettre de déployer des services de “smart city” sur son territoire. Des serveurs du géant chinois, nécessaires au développement des services 5G, devraient également bientôt être installés. Plus récemment, Monaco est devenu, grâce à son partenariat avec Huawei, le premier état entièrement couvert en 5G.
Par ailleurs, Huawei et Ericsson vont collaborer avec l’opérateur Vodafone en Espagne pour lancer un réseau 5G dans 15 villes espagnoles dont Madrid, Barcelone, Séville, Malaga et Valence. L’Espagne deviendra alors l’un des rares pays où la 5G sera commercialement opérationnelle.
Début juillet, Ryan Ding, responsable de la division télécom du géant chinois, affirme que deux tiers des réseaux 5G lancés hors de Chine reposent sur des infrastructures Huawei.
Enfin, les démonstrations et coopérations internationales se multiplient à l’image du partenariat conclu avec l’Egypte qui accueille cet été la Coupe d’Afrique des Nations 2019. A cette occasion, Huawei met en oeuvre les premières expériences de la 5G au stade du Caire. Cette expérimentation intervient dans un contexte de coopération entre l’Egypte et Huawei dans le domaine de l’intelligence artificielle, du transfert de technologie et de la 5G.
Cette exposition au premier plan n’est pas sans conséquences pour Huawei qui, sous le feu des projecteurs, subit le revers de la médaille. Accusé d’espionnage gouvernemental par les Etats-Unis, le géant chinois voit son accès à certains marchés limité voire interdit.
Sous fond de guerre commerciale, Huawei se voit accusé par les Etats-Unis d’espionnage pour le compte du gouvernement chinois.
En février 2018, six agences américaines dont le FBI, la CIA et la NSA mettent en garde contre les téléphones ZTE et Huawei, considérant qu’il existe un risque d’être espionné par la Chine. Quelques mois plus tard, Washington décide de bloquer les ventes des deux équipementiers chinois aux opérateurs américains. Huawei se retrouve alors écarté du marché américain de la 5G. Les Etats-Unis font alors pression auprès de leurs alliés pour que ces derniers suivent leur démarche et empêchent l’accès à leur marché aux deux entreprises chinoises. En août 2018, Huawei et ZTE se voient alors exclus du marché australien de la 5G tandis que peu de temps après la Nouvelle-Zélande et le Japon en font de même.
Cet appel au boycott résonne différemment en Europe. En mars 2019, la Commission Européenne annonce vouloir renforcer la sécurité des réseaux 5G mais n’exclut par Huawei de son marché. Ainsi, malgré les menaces américaines de cesser le partage de renseignements avec les pays qui continuent à intégrer des équipements Huawei, l’Europe préfère temporiser et opte pour une collaboration plutôt qu’une confrontation.
La position de la France semble floue. Publiquement, le gouvernement français se dit prêt à accueillir Huawei. C’est en tout cas ce que laisse entendre Emmanuel Macron lors de sa visite au salon Vivatech à Paris en mai 2019. Néanmoins, la proposition de loi “visant à préserver les intérêts de la défense et de la sécurité nationale de la France dans le cadre de l’exploitation des réseaux radioélectriques mobiles” sème le doute. Selon les opérateurs de télécommunications français, cette proposition de loi dissimule en réalité une “loi anti-Huawei” visant à exclure le géant chinois du marché de la 5G en France, ce à quoi ils s’opposent fermement.
Cette prise de recul vis à vis des menaces américaines est également perceptible chez les opérateurs de télécommunications français. En effet, SFR et Bouygues Telecom font confiance à Huawei et utilisent d’ores et déjà ses équipements. Orange a quant à lui mené plusieurs expérimentations 5G avec du matériel Huawei mais déclare qu’il se fournira auprès de Nokia et d’Ericsson pour déployer la 5G même si Huawei reste l’un de ses principaux fournisseurs à l’échelle de l’ensemble du groupe.
Ces accusations d’espionnage ne devraient en définitive pas retarder le lancement commercial de la 5G en France prévu pour 2020. C’est ce qu’assure l’Arcep, l'Autorité de Régulation des Communications Électroniques et des Postes.
Au Royaume-Uni, malgré les alertes américaines, Theresa May a donné le feu vert à Huawei pour l’aider à construire le nouveau réseau 5G britannique. En effet, le Conseil de Sécurité, présidé par le Premier Ministre, a accepté de permettre à l’équipementier chinois un accès limité pour l’aider à construire des antennes et autres infrastructures n’appartenant pas au coeur de réseau.
Enfin, mi-avril, alors que les enchères 5G sont en cours, Jochen Homann, président de l’agence allemande des réseaux télécoms, ouvre la porte à Huawei en déclarant qu’aucun fournisseur d’équipements de télécommunications ne sera exclu du marché allemand.
Le 16 mai 2019, cette guerre commerciale escalade quand Donald Trump signe un décret empêchant les entreprises américaines de travailler avec les entreprises étrangères présentant un risque pour la sécurité des Etats-Unis et visant clairement Huawei.
S’en suit alors une succession de complications pour l’équipementier chinois qui voit ses fournisseurs de composants américains et européens mais aussi ses distributeurs de produits rompre leur collaboration : Google retire la licence Android ; Intel, Qualcomm et Broadcom, trois des principaux fournisseurs de puces, mettent fin à leurs relations ; ARM se retrouve dans l’impossibilité de fournir au géant chinois la licence pour l’utilisation de son architecture ; l’entreprise japonaise Panasonic suspend ses échanges et Microsoft arrête la commercialisation des PC Huawei Matebook.
Dans l’incapacité de se procurer certains logiciels et composants américains, Huawei reporte le lancement de certains produits à l’image d’un nouvel ordinateur portable Windows qu’il aurait dû annoncer au salon CES Asia.
Par ailleurs, certains opérateurs de télécommunications affichent peu à peu une prise de distance avec le géant chinois. Au Royaume-Uni, au Japon ou encore à Taiwan, Huawei voit ses smartphones exclus des lancements 5G majeurs. En France et plus largement en Europe, c’est la sortie de ces smartphones qui est compromise.
Cette guerre commerciale et le climat de méfiance qu’elle installe semble impacter les ventes de smartphones du constructeur chinois en France et en Allemagne. Plus globalement, il semblerait que ce soit la demande en matériel de télécommunications qui ait chutée, les clients traditionnels de Huawei se tournant par précaution vers d’autres fournisseurs pour leurs équipements de réseau 5G, notamment Nokia. Ainsi, le groupe finlandais revendique début juin avoir dépassé Huawei en concluant 42 contrats (contre 40 pour Huawei à la même date), avant que Huawei ne déclare quelques jours plus tard avoir signé 46 contrats. Quels que soit la réalité de ces chiffres, la mauvaise passe de Huawei semble jouer en faveur de ses concurrents qui profitent de cette occasion pour rattraper leur retard.
Face à ces manoeuvres visant à déstabiliser son géant national, le gouvernement chinois décide de monter au créneau début juin en accélérant le calendrier chinois pour le déploiement de la 5G pour soutenir Huawei. Pour cela, les premières licences sont accordées aux principaux opérateurs de télécommunications chinois. Cette intervention étatique cherche à limiter les dégâts subis par Huawei sur le plan international en lui permettant de se déployer plus rapidement que prévu sur le marché intérieur chinois.
Bloquer Huawei ? Pas sans conséquences
Un récent rapport de la GSMA, association regroupant les principales entreprises de l’industrie des télécommunications, estime que bannir Huawei du déploiement de la 5G en Europe serait lourd de conséquences. En effet, cela pourrait provoquer un retard dans la construction des infrastructures pouvant aller jusqu’à 18 mois, engendrant par la même occasion un surcoût de l’ordre de 55 milliards d’euros pour les opérateurs européens et 45 milliards d’euros à l’échelle de l’économie de l’Union Européenne.
Cette hausse des coûts s’explique notamment par le fait que les tarifs de Huawei sont plus attractifs que ceux de ses concurrents européens mais pas seulement : la moitié de ce surcoût serait due à la hausse des coûts des intrants provoquée par le passage de trois à deux acteurs sur le marché des équipements de télécommunications et donc par la diminution de la concurrence.
Par ailleurs, certains opérateurs de télécommunications européens, dont SFR et Bouygues Telecom en France, ont d’ores et déjà installé des infrastructures prêtes à recevoir les équipements du géant chinois. Se passer de Huawei oblige ces opérateurs à remplacer les infrastructures existantes et engendrerait des surcoûts importants. Nokia réfute cette contrainte mais les craintes des opérateurs persistent puisque ces derniers doutent également de la capacité des équipementiers européens Nokia et Ericsson à répondre à la demande mondiale en équipement de télécommunications pour le déploiement de la 5G.
Le risque pour les pays qui se passeront des services de Huawei est de se retrouver dépassés par ceux qui se fourniront auprès du géant chinois. C’est en particulier le cas des Etats-Unis inquiets de voir la Russie collaborer avec Huawei et de prendre du retard en matière de développement de la technologie 5G. L’Europe est également sous la menace d’un sous-développement technologique : le rapport de la GSMA affirme qu’un retard de 18 mois creuserait l’écart de pénétration de la 5G entre l’Union Européenne et les Etats-Unis de plus de 15% d’ici 2025. Ce handicap pour la compétitivité de l’Europe se chiffrerait à 15 milliards d’euros.
Plus cette situation de crise perdure, plus la position de Huawei se complique. Mais le géant chinois n’est pas le seul à pâtir de cette guerre commerciale entre la Chine et les Etats-Unis. Les entreprises américaines tirent la sonnette d’alarme et souhaitent que le gouvernement américain annule sa sanction à l’encontre de Huawei. Avec l’interdiction aux entreprises américaines de travailler avec Huawei, c’est un client majeur qui disparaît et des pertes significatives qui s’annoncent. En ce sens, le fondateur d’ARM annonçait début juin que le bannissement de Huawei allait avoir des effets catastrophiques sur le long terme pour toutes les entreprises américaines.
L’alerte semble avoir été entendue du côté de l’administration Trump puisqu’elle annonce début juillet l’assouplissement de ses restrictions et affirme que ces dernières ne s’appliqueront qu’aux produits liés à la sécurité nationale, laissant la porte entrouverte à un retour des échanges entre les entreprises américaines et Huawei sur le marché du smartphone, à priori non concerné par ces restrictions. Des licences devraient être accordées, au cas par cas, aux entreprises américaines souhaitant travailler avec Huawei.
La nouvelle de cette éclaircie est la bienvenue puisqu’en définitive, ce contexte de crise est une situation que ni Huawei, ni les entreprises américaines ne peuvent supporter très longtemps et à laquelle les Etats-Unis et la Chine devaient rapidement trouver une issue.