La reconversion, parent pauvre des politiques d…
La prochaine génération de réseaux mobiles est arrivée. La 5G, qui devrait succéder à la norme 4G dans les années à venir promet une amélioration significative des fonctionnalités et des performances. Il en résultera des réseaux mobiles à la fiabilité et aux capacités accrues.
Pour mener à bien cette transition technologique, d’importants investissements ont déjà été réalisés par les opérateurs télécoms et d’autres sont à prévoir : on estime à plus de 57 milliards de dollars1 les investissements qui seront consentis dans les quatre prochaines années.
Face à ces chiffres, la question de la rentabilité se pose et l’enjeu pour les opérateurs, à l’origine de la majeure partie de ces investissements, est d’éviter une répétition du scénario vécu à l’arrivée de la 4G. En effet, bien que la génération précédente de réseaux mobiles ait été un succès sur la plan de son adoption et de la révolution qu’elle a permis dans l’usage des données, les opérateurs ont eu du mal à générer des revenus supplémentaires auprès des utilisateurs finaux pour couvrir leurs investissements.
Avec des tarifs aux consommateurs tirés vers le bas par la concurrence exacerbée que se livrent les opérateurs, l’utilisateur final s’attend continuellement à avoir plus de données, plus de connectivité, plus de fonctionnalités, tout en payant le même prix ou moins. Les modèles classiques de facturation à la quantité de données utilisée par l’utilisateur final n’étant plus viables, les opérateurs doivent imaginer de nouveaux modèles de monétisation.
Les spécifications techniques de la 5G ouvrent la voie à cette réflexion puisqu’elles laissent entrevoir de nouveaux cas d’usages et permettent donc d’imaginer de nouvelles sources de revenus.
Cinq caractéristiques techniques majeures peuvent être identifiées, laissant imaginer trois familles de cas d’usage1.
A/ Très haut débit mobile et accès fixe sans fil
Les cas d’usage de cette famille peuvent inclure des applications comme le streaming vidéo, les jeux multi-joueurs interactifs, les jeux et expériences de réalité virtuelle et de réalité augmentée mais aussi la connexion des patients aux services de soins à distance.
B/ Communication type-machine massive
La scalabilité et la faible consommation d’énergie de la 5G vont permettre d’interconnecter les machines via l’IoT. Les cas d’usages sont ici les applications industrielles telles que la télémaintenance prédictive et la gestion des réseaux intelligents mais aussi les applications urbaines telles que la gestion du trafic en temps réel, les drones ainsi que les services et équipements intégrés à la maison connectée.
C/ Communication en temps-réel
Pour les clients professionnels, la 5G s’avère d’autant plus importante qu’elle permet d’obtenir des informations en temps réel ou quasi réel grâce à sa fiabilité et sa latence ultra-faible. Les cas d’usage de cette famille sont l’exploitation de chaînes de production, l’exploitation minière automatisée, le développement de la voiture autonome et notamment de sa réactivité ou encore des applications médicales comme la chirurgie à distance.
D/ Segmentation du réseau
Outre les caractéristiques techniques évoquées plus haut, la capacité de segmentation du réseau est l’une des clés du développement de la 5G. Elle consiste en la segmentation d’une infrastructure réseau unique en plusieurs segments virtuels pour étendre les capacités du réseau. Elle permettra aux opérateurs d’offrir des services différenciés aux utilisateurs et conduira à une plus grande efficacité et à une optimisation des coûts. Il ne sera en effet plus nécessaire d’offrir un lot de services de manière indifférenciée à tous les clients s’ils n’en veulent pas ou n’en ont pas besoin4. La segmentation du réseau permet aux fournisseurs de services d’optimiser plusieurs paramètres de la prestation de services tels que la bande passante et la latence pour un type de service spécifique, sans affecter les performances globales du réseau.
E/ Edge Computing
Cette forme d’architecture informatique distribuée ouverte fait aujourd’hui office d’alternative au Cloud Computing qui, d’après des spécialistes comme Cisco4, pourrait ne pas supporter le volume données qui sera généré d’ici quelques années. Cette architecture permet un traitement des données directement par le périphérique qui les génère (objet connecté, smartphone, etc.) ou par un ordinateur/serveur local au lieu de les transmettre à un data center distant. La 5G va permettre la généralisation de cette technologie et les opérateurs pourront se saisir de cette opportunité pour la monétiser via des applications partenaires hébergeant leurs services en périphérie du réseau.
Une étude6 menée par Ericsson ConsumerLab en mai 2019 auprès de consommateurs, de groupes de discussion, de responsables de l’industrie des télécoms et de sociétés d’AR/VR illustre l’intérêt des consommateurs vis-à-vis des principaux exemples de cas d’usage 5G.
Il en ressort un intérêt prononcé et généralisé pour le très haut débit mobile, la maison connectée (tv 5G, vêtements connectés, capteurs), les cartes en réalité augmentée ou encore le divertissement et les technologies embarquées à bord des véhicules automobiles.
Cependant, cet intérêt ne se traduit pas forcément par une prédisposition du consommateur à payer plus pour l’accès à ces services. C’est notamment le cas pour le très haut débit mobile, la traduction en temps-réel ou le pare-brise en réalité augmenté. Cette réticence à payer plus peut s’expliquer, par exemple, par une absence de nécessité pour le cas du très haut débit mobile, les performances de la 4G étant jugées suffisantes. Les cas d’usage pour lesquels un surcoût est envisagé par les consommateurs sont : la TV 5G, les cartes en réalité augmentée, les vêtements et objets connectés liés à la santé. Certains cas d’usage sont très segmentés, à l’image du cloud gaming qui ne concerne qu’une part spécifique de la population. Pour ces cas d’usage, on retrouve logiquement une importante prédisposition à payer plus malgré un intérêt non généralisé.
En France, les opérateurs n’ont encore que très peu communiqué au sujet du prix des futurs forfaits 5G. Pour Orange, “On ne peut pas dire que la 5G sera plus chère que la 4G”. Même son de cloche du côté de Free qui annonce vouloir “rester sur ses valeurs historiques”, contrairement à SFR qui semble sous-entendre une hausse des prix en déclarant que “dans tous les pays où la 5G a été déployée, la monétisation a été différente par rapport à la 4G”. La situation semble donc encore floue.
Les Français de leur côté sont prêts à envisager un surcoût mais à certaines conditions : 50% des français sont prêts à payer jusqu’à 9€ de plus pour avoir la 5G à condition de se voir proposer des usages innovants, au-delà donc d’une simple augmentation des débits5.
Ailleurs en Europe, là où la 5G est déjà disponible comme en Finlande, au Royaume-Uni, en Espagne, en Italie, en Suisse ou encore en Allemagne, des forfaits 5G sont d’ores et déjà commercialisés depuis plusieurs mois, même si le déploiement du réseau mobile 5G n’y est pas encore généralisé. Le tableau ci-dessous présente en synthèse l’état des lieux de la tarification de la 5G en Europe5.
Globalement, on constate qu’hormis quelques exceptions, les forfaits 5G coûtent plus chers que leurs prédécesseurs. Néanmoins, il faut souligner la hausse raisonnable des prix, qui reflète finalement la conscience des opérateurs en matière d'appétence du consommateur à payer plus cher pour la 5G.
Traditionnellement, le modèle de monétisation des opérateurs repose sur la facturation de la consommation de données aux utilisateurs. Cependant, avec l’arrivée de la 5G, on constate un attrait, une attente et un engouement de la part des consommateurs moins fort qu’il ne l’avait été à l’arrivée de la 4G. Il faut dire qu’à sa sortie, les appareils permettant de supporter cette technologie et de fournir les services sous-jacents étaient déjà disponibles chez les principaux acteurs comme Samsung et Apple. Avec la 5G, la mise à niveau des téléphones mobiles n’est pas encore généralisée et un flou se dessine auprès des consommateurs quant à la disponibilité réelle des services 5G, se traduisant par une adoption plus lente.
Par ailleurs, les consommateurs seront probablement plus réticents à payer un surcoût pour un service amélioré ou supplémentaire. Une récente étude de PWC1 montre qu’un tiers des usagers seulement sont prêt à payer davantage pour avoir accès à la technologie et aux services 5G.
Le modèle reposant sur un simple rôle de fournisseur de connectivité orienté B2B ou B2C ne semble donc plus viable. Pour justifier et couvrir les investissements nécessaires au déploiement de la 5G, les opérateurs vont devoir aller au-delà du modèle de monétisation traditionnel et cibler de nouveaux cas d’usage, rendus possibles par les spécifications techniques de la 5G.
Les opérateurs se divisent sur le rôle à jouer pour exploiter au mieux les opportunités de la 5G. La réelle promesse de la 5G pour les opérateurs pourrait se trouver dans l’opportunité de révolutionner les modèles de monétisation des réseaux mobiles en se positionnant au-delà de leur rôle historique. En effet, alors que certains souhaitent rester de simples fournisseurs de connectivité, d’autres souhaitent occuper une place plus importante dans l’écosystème en contribuant à la fourniture de solutions verticales intégrées à leurs clients.
Il est néanmoins communément admis que les opérateurs ne créeront pas d’eux-mêmes les applications 5G verticales. Les partenariats seront la clé d’une monétisation réussie de la 5G et le seul moyen de capter une part de la valeur ajoutée générée par ces applications. Les opérateurs s’accordent également à dire que les réseaux 5G ne doivent pas uniquement servir à laisser traverser le trafic 5G mais qu’ils doivent aussi permettre d’en extraire des données.
A/ L’extrapolation du modèle classique de fournisseur de connectivité
Certains opérateurs souhaitent continuer à exploiter le modèle traditionnel de facturation de la consommation de données aux utilisateurs en proposant davantage de services et d’innovations permis par la 5G. Ces offres s’adressent aussi bien en B2B qu’en B2C.
Pour appliquer un tel modèle, les opérateurs devront offrir des débits, des niveaux de qualité de services et des prix différents en fonction des besoins et du budget de chaque client. Cette approche risque d’être trop complexe pour les utilisateurs finaux qui peuvent avoir du mal à comprendre la valeur d’un forfait dont le prix est défini sur la base de fonctionnalités techniques (telles que la latence et la fiabilité) plutôt que simplement la vitesse et la quantité de données disponibles.
B/ Un modèle vecteur de diversification : le B2B2X, l’offre de services clés en main
Le B2B2X semble être un modèle de monétisation particulièrement adapté à la 5G. L’idée pour les opérateurs est de vendre des services à une autre entreprise, qui les proposera ensuite dans le cadre d’une offre groupée à destination de ses clients. Ce modèle suppose de s’éloigner des modèles traditionnels B2B et B2C en créant un modèle B2B2X dans lequel les opérateurs collaborent et partagent les revenus avec leur partenaire fournisseur de services.
Traditionnellement, l’opérateur vend la connectivité voix et données aux utilisateurs finaux qui souscrivent simultanément à des contrats séparés avec les tiers pour accéder à des services. Mais cette tendance évolue : certains opérateurs ont commencé à s’associer à des fournisseurs de services pour regrouper les services de ces derniers avec leur connectivité. L’opérateur ou le fournisseur de services propose ensuite l’offre groupée à ses clients, c’est ce que l’on appelle le B2B2X.
Modèle déjà exploité, le B2B2X pourrait néanmoins devenir un vecteur de diversification si le partenariat est établi avec de nouvelles verticales comme la télé-chirurgie ou la régulation ferroviaire.
Deux formes de partenariats peuvent être envisagées dans le cadre de ce modèle :
Facilitateur de solution
Dans cette configuration, une tierce partie, un fournisseur de cloud ou un service de streaming vidéo par exemple, intègre la connectivité 5G fournie par l’opérateur dans le cadre de sa propre offre. La tierce partie commercialise alors l’offre groupée auprès de ses clients tout en payant l’opérateur pour l’utilisation du réseau sous forme de frais de réseau ou d’une part des revenus générés par la commercialisation de l’offre. Le tiers achète en réalité une « tranche » de la capacité du réseau 5G de l’opérateur et l’interface entre eux est gérée par des API.
Créateur de solution
Ici, l’opérateur crée de nouvelles offres en regroupant les produits et services de tiers et sa connectivité puis commercialise la solution groupée directement auprès de ses clients. Les opérateurs pourraient utiliser ce modèle pour créer des solutions intégrées verticales qui regrouperaient les offres de tiers comme les services et les équipements RV/RA et l’accès à leurs réseaux 5G.
Certains opérateurs, comme Vodafone, ont déjà conclu des accords commerciaux avec des tiers pour acheter leurs services et les revendre aux consommateurs. Ils étudient maintenant comment ce type de modèle pourrait être amélioré pour intégrer des fonctionnalités 5G. De nouveaux modèles de monétisation sont à venir à mesure que les possibilités de la 5G deviendront plus claires pour le marché. Les opérateurs ont la possibilité d’être proactifs dans la mise à l’échelle et l’industrialisation des activités basées sur leurs partenariats.
En plus d’identifier des modèles de monétisation appropriés et des cas d’usage pertinents pour les clients, les opérateurs auront besoin d'un certain nombre de compétences commerciales, opérationnelles et techniques pour s'assurer qu'ils génèrent un retour sur investissement dans la 5G cohérent. Trois compétences seront particulièrement critiques.
A/ L’innovation commerciale
Les opérateurs devront pouvoir créer de nouveaux services, modèles de monétisation et accords de partenariat commercial dans un délai relativement court, tout en exploitant l'analyse des données et l’intelligence artificielle pour s'assurer que leurs services apportent une valeur ajoutée aux clients et aux partenaires de l'écosystème. Ils doivent également s'assurer que leurs solutions de service client peuvent gérer la sophistication accrue des problématiques rencontrées par les clients utilisant des applications 5G.
B/ L’engagement industriel vertical
Les opérateurs devront développer des capacités avancées de prototypage de cas d’usage verticaux 5G et en démontrer les avantages. D'autres étapes importantes comprendront la mise en place de fonctions de gestion de produits, de ventes et de marketing à orientation verticale, ainsi que l'optimisation des capacités de CRM, des plates-formes de vente de solutions, de l'exécution des commandes et du support post-activation.
C/ La culture de la collaboration de masse
La capacité à forger des partenariats étroits et de confiance avec les fournisseurs de services sera essentielle à une monétisation efficace de la 5G. Cela nécessitera une culture de collaboration mise en œuvre par un engagement et une capacité de construction de relations bien développées avec les partenaires, ainsi que la capacité à se connecter à des catalogues de solutions tiers, de créer conjointement des produits groupés et d'articuler chaque proposition de valeur aux partenaires, aux clients et au marché en général.
L'importance relative de chacune de ces capacités dépendra du rôle qu'un opérateur choisira et des business models utilisés pour exécuter cette stratégie. Les opérateurs qui adopteront un rôle de facilitateur de solutions ou de créateur de solutions exigeront un engagement industriel vertical et une culture de collaboration de masse.
L’arrivée de la 5G semble prometteuse en matière d’innovation dans les usages et devrait considérablement élargir le champ des possibles. Mais pour rentabiliser les lourds investissements consentis pour permettre le déploiement de la nouvelle norme de réseaux mobiles, les opérateurs télécoms n’ont d’autre choix que de revoir leurs stratégies de monétisation. Face à une appétence limitée de l’utilisateur à payer plus pour avoir la 5G, la multiplication de fournisseurs de services et les caractéristiques techniques de la 5G sont des opportunités que les opérateurs doivent saisir pour construire leurs nouveaux modèles. La 5G devrait donner naissance à de nouveaux business models, qui se préciseront après une période d’innovation commerciale et technologique.
Les partenariats entre fournisseur de connectivité (opérateur) et fournisseur de services au sein de modèles B2B2X semblent prometteurs et devraient ouvrir la voie à de nouvelles sources de revenus pour les opérateurs.
Pour mener à bien cette bascule stratégique en matière de tarification et de monétisation, les opérateurs devront analyser la rentabilité de leurs offres et pour cela comprendre les nouveaux business models qui s’offrent à eux. Chaque modèle nécessitera une compréhension des cas d’usage que le service va faire naître, ainsi que de la façon dont il sera monétisé et permettra aux opérateurs d’identifier les compétences dont ils ont besoin. Ils auront besoin de partenaires avec qui co-construire ces nouveaux modèles commerciaux. C’est de cette dépendance mutuelle que naîtra la possibilité pour les opérateurs de monétiser pleinement la 5G.
Sources
1. « Making 5G pay », Strategy&
2. « Are You Ready for Profitable 5G Monetization ? », Huawei
3. « A Look at the Business Models », Mavenir
4. 5G monetization opportunity
5. Forfaits 5G plus chers que 4G
6. Monétisation et feuille de route des usages grand public