La reconversion, parent pauvre des politiques d…
Depuis quelques années, et notamment la crise de 2008, la notion de croissance verte s’est imposée dans le discours environnemental, afin de concilier le besoin de retrouver une croissance positive et celui de préserver notre environnement, pour lequel les pronostics sont plus que pessimistes.
Lors de la relance budgétaire de crise coordonnée au niveau mondial en 2009, près de 15% des 2 800 milliards de dollars de dépenses ont été consacrés à une relance verte, conduisant à évoquer une forme de « Green New Deal ». En France, cette part a atteint 35%, et en Corée du Sud, les investissements verts ont même atteint 80% du montant de la relance[0]. Plus récemment, la loi sur la transition énergétique, votée en mai 2015, titrait : « La transition énergétique pour la croissance verte. ».
Mais qu’entend-on vraiment par croissance verte ?
« Une politique qui consiste à favoriser la croissance économique et le développement tout en veillant à ce que les actifs naturels continuent de fournir les ressources et les services environnementaux sur lesquels repose notre bien-être »
Face à l’évidente incompatibilité des concepts, une théorie récente a apporté un fondement essentiel à la plausibilité de la croissance verte: la courbe de Kuznets environnementale.
Les résultats de l’analyse de cette courbe montrent que la croissance des revenus peut être positivement corrélée à la baisse de la pollution de notre environnement. Il existe deux types de corrélations positives:
Cependant, il s’avère que la durabilité de la croissance ne se vérifie que dans les cas de pollutions dont les effets de court terme sur la qualité de vie sont facilement observables (air irrespirable en cas d’émissions de dioxyde de soufre, accès vital à l’eau). Pour les cas de pollutions diffuses, et dont la responsabilité et l’impact sont portés collectivement, telles que les émissions de gaz à effet de serre ou à moindre échelle la production et la gestion des déchets, la courbe de Kuznets ne se vérifie pas : l’augmentation du revenu entraîne une croissance continuelle des émissions.[1]
Abordons d’abord les modèles de croissance tels que définis par les plus célèbres de ses théoriciens: le modèle de Solow et celui de la croissance endogène.
Selon Solow la fonction de production est basée sur deux facteurs, le capital et le travail (F = Y(K,H)). Au niveau microéconomique, la croissance est donc l’expression d’une valeur ajoutée (VA = P*V – consommations intermédiaires). Dans cette approche, une augmentation de la production passe nécessairement par une augmentation de la consommation des ressources. Dans ce contexte, l’existence d’une croissance verte « de marché » n’est possible qu’en cas de raréfaction des ressources et d’augmentation de leur prix, entraînant des effets de substitution vers des technologies vertes.
La théorie de la croissance endogène, qui a intégré aux déterminants de la croissance un facteur de productivité influencé par des externalités telles le capital humain et le progrès technique, permet une prise en compte plus large de la contrainte environnementale dans la fonction de production. En effet, le progrès technologique permet d’améliorer l’efficacité énergétique des procédés et ainsi de réduire la consommation d’énergie de la production. Ainsi, Solow et Stiglitz (1974) ont démontré qu’en cas de croissance de la productivité supérieure à celle de la population, une baisse absolue de consommation des ressources serait compatible avec la croissance. Dans ce second cas, il suffit alors d’investir dans la R&D et la technologie afin de garantir une croissance verte, sans changer le modèle existant.
Pourtant, cette théorie se heurte de toute part à la réalité: Celle du recul du pic pétrolier, qui freine la transition vers les technologies vertes. Celle du paradoxe de Jevons, autrement appelé effet rebond, qui établit que les innovations technologiques peuvent parfois avoir l’effet inverse de celui escompté[2]. Celle, enfin, de la contrainte démographique. Si on s’en tient aux seules émissions de GES, il est nécessaire de les diviser par deux en valeur absolue à l’horizon 2050, baisse que l’on confierait raisonnablement au progrès technique. Mais la prise en compte de la croissance de la population d’ici 2050 (+50%) et de son aspiration au développement, établit la baisse effective et nécessaire du rapport CO2/PIB à un facteur 8[3]. Il est dès lors illusoire de se contenter du progrès technique et de l’augmentation du prix des ressources fossiles.
Ainsi, une croissance verte à la hauteur des défis environnementaux de notre époque ne peut être conçue sans intégration directe et concrète de la contrainte « environnement » dans la fonction de production. C’est l’argument principal défendu par le mouvement de l’économie environnementale, dont on put résumer ainsi la pensée :
Le capital naturel, afin d’être préservé, doit être conçu sous forme de flux et de stocks. Toujours sur l’exemple des GES, la vision par flux consiste à mesurer les émissions annuelles et tenter de les réduire, tandis qu’une vision par stock consiste plutôt en une approche par capital global de GES dans l’atmosphère et de stabilisation puis de baisse de ce niveau. Les objectifs correspondants à une vision par stocks seraient alors la limitation de la température moyenne. La différence entre ces deux notions apparaît alors clairement, puisqu’une baisse des flux d’émissions peut être corrélée à une augmentation du stock de CO2 dans l’atmosphère et de la température globale, tant que cette baisse n’a pas atteint un certain rythme critique. Malheureusement, depuis les années 90, les Etats se sont focalisés sur une vision par flux qui permet de fixer des objectifs chiffrés plus « réalisables », en oubliant la vision sur le stock.
Si l’on revient à la fonction de production définie en début d’article, le modèle durable se définit ainsi[4]:
Y = A(Q) * F (K,H,E)
(E) représente la pollution par flux, et devient donc un facteur productif
(A) représente la qualité globale de notre environnement et rétroagit sur la productivité globale des facteurs de production
Afin que cette fonction soit adoptée par les entreprises, le rôle de l’Etat est central, le capital naturel étant un bien non rival et bien souvent non-exclusif[5]. Fixer un prix aux pollutions, selon le principe pollueur-payeur relève alors de la seule solution crédible. Deux solutions existent pour limiter les émissions de GES, la taxe carbone ou les quotas, et il ne sera pas dans notre ambition de trancher entre ces outils. Il est cependant intéressant d’observer qu’en présence de risques environnementaux marginaux supérieurs aux coûts marginaux de dépollution pour les acteurs, la méthode des quotas est plus appropriée, car elle fixe un niveau de pollution maximum, dit critique, et assure qu’il ne soit pas dépassé. C’est pourquoi les USA ont mis en place un système de quotas dans les années 80 pour lutter contre la pollution aux particules par le dioxyde de soufre, chaque unité de pollution supplémentaire ayant un coût croissant et critique. En revanche, si la courbe de coûts environnementaux marginaux des émissions est plutôt constante, et que celle des coûts marginaux de dépollution est plus pentue, alors on peut considérer que fixer une limite en volumes peut entraîner des coûts de dépollution excessifs, et nuire à l’économie. La méthode de la taxe est alors plus appropriée[6]. Les émissions de GES appartenant à cette catégorie, on comprend mieux que l’absence de taxe carbone soit un frein au réel développement d’une croissance verte en France.
Le seul corolaire évoqué du développement durable a longtemps été la décroissance. Pourtant, si celle-ci risque fort de nous toucher, au moins de façon cyclique, elle ne peut être un projet. Ceci acté, le modèle actuel de croissance, non-durable par nature, n’est pas non plus une solution. La notion qui fait le plus sens reste celle de « développement vert » ou de « développement durable », car c’est le développement, et non la croissance, qui fait tendre l’humanité vers une évolution maîtrisée et orientée vers un progrès. Dans son article « Croissance Verte ou développement humain »[7], Bernard Perret fait ainsi une analogie intéressante entre la croissance économique et la croissance physique de l’être humain. Si la croissance prend fin vers 20 ans pour l’homme, son développement, aussi bien intellectuel que social, continue jusqu’à sa mort. Peut-être bien que l’humanité, arrivée à la limite de sa croissance, s’apprête à entrer dans sa phase de développement, qui passe par une économie durable, plus intelligente.
Sources
[0] Crifo Patricia, Debonneuil Michele, Grandjean Alain, Croissance Verte, Conseil economique pour le Développement Durable, 2009, pp 31-33
[1] Bandyopadhya Sushenjit, Shafik Nemat, Economic Growth and Environmental Quality Time-Series and Cross-Country Evidence, Policy Research Dissemination Center, 1992
[2] En effet, dans le cas d’un marché plafonné par une contrainte-revenu ou une contrainte-prix, une innovation technologique réduisant le prix de production et d’achat d’un bien peut entraîner une augmentation de la production et de la consommation de ce bien jusqu’à atteindre à nouveau ce plafond financier, résultant dans une augmentation des ressources globales consommées pour le produire.
[3] Conseil Economique pour le Développement Durable, La croissance verte, principes et instruments de politique économique, CEDD, 2009
[4] Pour plus de précision sur ces modèles : Jouvet Pierre-André, De Perthuis Christian, La croissance verte : de l'intention à la mise en oeuvre, Les Cahiers de la Chaire Economie du Climat, n°15, 2012
[5] La théorie des biens publics de Samuelson : ''The Pure Theory of Public Expenditure'' (1954)
[6] Weitzman Martin, Prices vs. Quantities, MIT, 1974
[7] Perret Bernard, Croissance verte ou développement humain?, Projets, n°317, 2010