La reconversion, parent pauvre des politiques d…
Les programmes de fidélisation constituent un élément important de la stratégie des compagnies aériennes, partant du principe qu'il est beaucoup moins couteux de fidéliser des clients existants que d'en conquérir de nouveaux.
Les programmes de fidélisation constituent un élément important de la stratégie des compagnies aériennes, partant du principe qu'il est beaucoup moins couteux de fidéliser des clients existants que d'en conquérir de nouveaux.
Depuis leur création au début des années 80 aux Etats Unis, ces programmes se sont profondément transformés et complexifiés pour mieux adresser les attentes des clients - enrichissement des services proposés en aéroport, création de partenariats avec des chaines d'hôtels, des loueurs de voitures, des organismes de crédit...
Les compagnies aériennes traditionnelles sont aujourd'hui confrontées à des problématiques majeures telles que l'explosion des coûts de ces programmes et l'apparition de nouveaux modèles économiques portés par les compagnies low cost, qui pourraient bien remettre en cause la pertinence de ces programmes à moyen terme... Rappel des faits et pistes pour l'avenir.
L'Airline Deregulation Act de 1978 aux Etats-Unis a permis aux compagnies américaines de s'affranchir du contrôle du gouvernement sur leurs prix, routes desservies et fréquences. L'objectif était de stimuler la concurrence et d'ouvrir le marché du transport aérien à de nouveaux entrants.
Les compagnies se sont livrées à une compétition acharnée pour développer leur clientèle existante et capter une clientèle moins habituée aux voyages aériens.
American Airlines fut la première compagnie aérienne à lancer un programme de fidélisation en 1981 (AAdvantages). Ce programme avait trois objectifs majeurs :
Très vite, d'autres compagnies aériennes ont développé leurs propres programmes : United Airline (Mileage Plus) a lancé le sien à peine six jours après celui d'American Airlines; Air France ouvre Fréquence Plus en 1992, Lufthansa ouvre Miles & More en 1993...
Ces programmes sont devenus aujourd'hui incontournables dans le secteur aérien.
Les compagnies aériennes ont dès le départ différencié les typologies de clients adressés, du client occasionnel (clientèle loisir) au client fréquent « haute contribution » (clientèle affaires), et ont organisé les programmes de fidélisation autour de cette segmentation avec la création des Miles-prime (cible : tous les clients potentiels) et Miles-statut (cible : clients haute contribution).
Dans tous les programmes de fidélisation, l'accent a été mis sur la clientèle haute contribution. Cette clientèle est en effet la plus rentable et la plus courtisée, et les compagnies aériennes proposent une gamme très large de services pour la séduire.
D'un périmètre initial exclusif (les clients accumulent et utilisent des miles uniquement sur les vols d'une seule et même compagnie), les programmes de fidélité se sont rapidement élargis à des partenariats aériens (création des alliances - Oneworld, Star Alliance, Skyteam - et développement des partages de code...) puis à des partenariats avec des groupes hôteliers, des loueurs de voitures et des organismes de crédit.
Les partenariats avec les organismes de crédit représentent des revenus importants pour les compagnies aériennes (de l'ordre du milliard de dollars pour Continental, Delta...). Les organismes de crédit achètent auprès des compagnies des stocks de miles qu'elles proposent ensuite à leur clients en rétribution de l'utilisation de leurs services (utilisation des cartes de crédit par exemple).
La plupart des compagnies américaines proposent même des cartes « co-brandées » avec ces organismes. Air France - KLM a développée un tel partenariat avec American Express.
Les programmes de fidélisation ont été historiquement l'apanage des grandes compagnies régulières. Les compagnies low cost, apparues dans les années 70 aux Etats-Unis (Southwest en 1971) puis en Europe dans les années 80 / 90 (Ryanair en 1985, easyJet en 1995) n'ont pas initialement proposé de programmes de fidélisation, mais plutôt une politique tarifaire très agressive visant la clientèle loisir.
Ce nouveau modèle économique a fortement impacté les compagnies traditionnelles, sur leurs dessertes moyen courrier et leur clientèle loisir. L'attrait des programmes de fidélisation n'a pas suffi à contrebalancer les niveaux de prix extrêmement compétitifs proposés par les compagnies low cost.
Cantonnées à leur début au segment loisir, les compagnies low cost s'attaquent maintenant au segment affaires, l'un des derniers bastions des grandes compagnies régulières. Easyjet, Germanwings, Southwest ou Air Asia ont ainsi développé des programmes de fidélisation simplifiés, pour adresser ce segment.
En fait, on assiste depuis quelques années à une inflexion importante entre la clientèle occasionnelle loisir qui perçoit de moins en moins l'intérêt des programmes de fidélisation et la clientèle haute contribution, essentiellement affaires, qui attend des services de plus en plus étendus et un élargissement constant du champ d'action de ces programmes.
Si leur pérennité sur le segment affaires ne fait aucun doute, la même affirmation est aujourd'hui beaucoup plus nuancée sur le segment loisir, d'autant que le cout des programmes devient une problématique majeure...
Les compagnies aériennes sont confrontées, depuis quelques années, à l'explosion des miles en circulation. Les programmes de fidélisation ont rencontré un grand succès et jusqu'à récemment, les miles accumulés par les clients n'avaient pas de date limite de validité. Cette explosion des miles en circulation a des conséquences financières non négligeables.
Les compagnies aériennes, avec l'évolution des normes comptables récentes (norme IFRIC depuis 2008), ont maintenant obligation de faire figurer la charge financière induite par les programmes de fidélisation à leur bilan.
Ainsi, dans le bilan annuel du groupe Air France - KLM pour l'année 2010-2011 (clos au 31 mars), la dette correspondant au programme de fidélisation était valorisée à 806 millions d'euros !
Pour écouler et rationaliser leur stock de miles, les compagnies aériennes n'ont pas eu d'autre choix que de durcir les règles d'accumulation et de restreindre les conditions d'utilisation des miles accumulées par les clients - la plupart des compagnies aériennes limitent aujourd'hui l'utilisation des miles à 24 ou 36 mois après leur acquisition.
Cette stratégie a bien sûr eu un impact négatif sur la perception des programmes de fidélisation par les clients des compagnies aériennes.
Le tableau suivant représente le nombre de miles distribués et convertis, en regard de la croissance du trafic sur la période 1981-2005 ; une projection a été construite jusqu'à l'horizon 2019, sur la base des tendances constatées sur la période précédente.
Cette simulation montre que le ratio du nombre de miles convertis sur le nombre de miles distribués, qui est tombé de 0,7 (0,7 mile converti pour 1 distribué) au milieu des années 1980 à 0,3 à l'horizon des années 2000 pourrait finalement passer à 0,2 en 2019.
La valeur unitaire des miles distribués diminue ainsi régulièrement depuis plusieurs années - plusieurs causes sont à distinguer pour expliquer ce phénomène :
Cette tendance, qui va mécaniquement s'accentuer dans les prochaines années, renvoie à une problématique de fond pour les compagnies aériennes, à savoir comment revaloriser les programmes de fidélisation, particulièrement pour la clientèle loisir.
Alors que les compagnies ont très largement mis en place des actions restrictives (réduction de la durée de validité, barèmes d'accumulation plus serrés...) pour limiter le nombre de miles en circulation mais aussi incitatives pour favoriser la conversion des miles distribués (ouverture à des partenaires toujours plus nombreux, création de barèmes spéciaux...), d'autres pistes sont à creuser d'autant que les premiers effets de ces politiques semblent positifs : alors que la dette correspondant au programme Flying Blue au bilan du groupe Air France - KLM était de 917M€ en 2009, elle a été réduite à 840 M€ en 2010 pour maintenant atteindre 806 M€.
La montée en puissance des organismes de crédits représente une source de revenu importante pour les compagnies aériennes, mais n'en constitue pas moins un effritement des objectifs initiaux des programmes de fidélisation sur le long terme. Les clients, devant la difficulté d'acquisition de miles et de transformation de ces miles en vols gratuits ou avantages, se tournent de plus en plus vers les organismes de crédit. Ces derniers pourraient en effet finir par se substituer aux programmes de fidélité en termes de collecte de miles et de distribution de récompenses. Alors que les billets d'avion restent la récompense la plus valorisée dans les programmes de fidélité multi-industries, les compagnies aériennes doivent veiller à rester « au centre » de leurs programmes afin d'éviter cet effet de substitution.
Les évolutions récentes des politiques des compagnies aériennes diminuent l'attrait des programmes de fidélisation et ce particulièrement pour la clientèle loisir. Les conditions se sont également durcies pour la clientèle affaires mais, globalement, cette catégorie reste moins impactée.
Les programmes de fidélisation doivent être repensés pour « reconquérir » le coeur des clients; un premier axe serait de réviser les mécanismes d'attribution des récompenses et leur nature.
La clientèle loisir, très sensible au niveau de prix, doit pouvoir évaluer plus concrètement le bénéfice d'un programme de fidélisation. Certaines compagnies nord américaines proposent le remplacement des points de fidélisation sur un vol par une réduction immédiate sur le prix du billet - cette approche est développée avec succès par Air Canada. Cette compagnie propose à ses clients de renoncer à l'acquisition de miles sur les tarifs d'appel en échange d'une réduction immédiate (cette réduction est par exemple de 11€ pour un aller-retour Paris-Montréal). On peut aussi citer les exemples de Finnair (Finlande) ou Qantas (Australie) qui permettent aux membres de leur programme de fidélisation d'utiliser une partie de leur stock pour réduire le prix de leur billet.
Etant donnés les coûts de gestion des programmes de fidélisation et le peu d'attrait d'une promesse d'un voyage futur gratuit pour la clientèle loisir, cette solution peut s'avérer payante. Air Canada demande cependant au voyageur d'être membre de son programme de fidélité Aeroplan afin de récupérer des informations marketing.
Les réflexions actuelles des compagnies aériennes autour de la mise en place de services payants (sur le modèle des compagnies low cost) offrent également de nouveaux axes d'évolution : les points des programmes de fidélisation peuvent être utilisés pour l'achat de services (second bagage, accès aux salons, repas amélioré, enregistrement prioritaire...) - les avantages deviennent beaucoup plus concrets pour les clients et faciles à utiliser.
Pour la clientèle affaires, les programmes de fidélisation doivent être élargis en termes de partenariats et de services proposés. Les partenaires doivent être choisis en cohérence avec la typologie de clients visés - les partenariats valorisés par la clientèle affaires (hôtels haut de gamme, surclassements...) ne sont, en effet, pas forcément ceux de la clientèle loisir. De même, le mécanisme d'attribution des primes entre les différents partenaires doit également être adapté aux attentes de la clientèle. Pour deux services perçues à la même valeur par le client (par exemple une nuit d'hôtel gratuite et un vol gratuit), le nombre de points demandés doit être sensiblement le même.
Les compagnies aériennes doivent également harmoniser leur relation avec le client sur tous les canaux et à toutes les étapes. Le client veut être reconnu et traité avec l'ensemble de son historique relationnel avec la compagnie aérienne. Ceci implique que l'ensemble des systèmes de distribution (Réservation, CRM, Yield...) et d'exploitation (enregistrement en ligne, en aéroport, à la Borne Libre Service) communiquent entre eux. Si certaines compagnies aériennes investissent massivement dans ce sens, les interconnexions entre ces systèmes restent aujourd'hui assez faibles.
La filialisation des programmes de fidélisation est dans l'air du temps. Certaines grandes compagnies ont déjà franchi le pas, telles Air Canada ou Quantas. L'intérêt pour une compagnie est multiple :
L'inscription de la dette au passif du bilan est alors transférée à cette filiale.
Le risque potentiel réside dans la perte de contrôle des compagnies sur le choix des partenaires du programme et la valorisation des miles.
Dans ce schéma de gestion, les relations entre la compagnie aérienne et son programme filialisé sont telles que décrit ci-dessous ; la dette est bien valorisée non plus au niveau du bilan de la compagnie mais à celui du FFP.