La reconversion, parent pauvre des politiques d…
Depuis plusieurs mois, la taxe GAFA (Google Amazon Facebook Apple), ou taxe sur les services numériques, fait débat en France
Depuis plusieurs mois, la taxe GAFA (Google Amazon Facebook Apple), ou taxe sur les services numériques, fait débat en France. Cette taxe de 3% sur les recettes de certains acteurs numériques est en vigueur depuis l’été 2019. L’idée motrice de ce projet est de corriger la loi française pour éviter que les profits des entreprises numériques échappent à l’impôt, du fait de règles fiscales dépassées. Sia Partners décrypte les différentes actualités autour de cette loi pour définir les enjeux et perspectives qu’elle offre aux entreprises sur le territoire français
La taxe sur les services numériques (TSN) est un projet de loi français adopté le 11 juillet 2019. Cette taxe a pour but d’imposer à hauteur de 3% “ les recettes tirées des prestations de ciblage publicitaire, (...) et des prestations de mise en relation entre internautes, en particulier les places de marché. ” selon le communiqué de presse du Conseil des Ministres du 6 mars 2019. Derrière l’appellation commune taxe GAFA, ce projet concerne en réalité plusieurs entreprises dont certaines françaises. Selon les critères inscrits dans cette loi, le cabinet Taj a identifié a priori 26 entreprises concernées pour l’année 2019. Les acteurs ciblés sont ceux qui réalisent un chiffre d'affaires sur leurs activités numériques de 750 millions d'euros dans le monde et de plus de 25 millions d'euros en France.
Cette taxe fait suite à l’échec, après 18 mois de débat, du vote d’une taxe similaire à l’échelle européenne : la France fait donc cavalier seul et assume une taxe GAFA nationale. Cependant comme nous le verrons par la suite, le débat autour d’une possible imposition à l’échelle internationale est aujourd’hui rouvert, et porté par l’OCDE (Organisation de Coopération et de Développement Économiques).
Les réactions à l’annonce de cette nouvelle taxe en France ne sont pas aussi positives qu’attendues. Les GAFA se sont bien sûr insurgés contre cet impôt qu’ils ont estimé injuste et dénué de sens :
" (...) taxer une poignée de grands groupes de l'internet n'a pas de sens quand tous les secteurs deviennent numériques " (Nicholas Bramble, représentant de Google)
Mais de façon plus inattendue, d’autres entreprises françaises, concernées directement ou indirectement, se sont aussi exprimées sur le sujet. En effet, ces entreprises saluent une initiative louable mais dénoncent une double taxation :
“ Nous allons payer plusieurs millions d'euros de taxe Gafa (...) On a l'impression de passer deux fois à la caisse ” (Antoine Jouteau, CEO de Le bon coin)
Lors du G7 qui a récemment eu lieu en France, le débat s’est tendu entre la France et les Etats Unis. L’annonce de cette taxe ayant été faite juste avant ce sommet, le président Américain a fait part de sa désapprobation vis à vis de cette taxe, allant même jusqu’à menacer de la répercuter sur certaines importations françaises. Mais après une discussion avec le président Trump pour apaiser le débat, la France s’est engagée à rembourser aux entreprises concernées la différence entre sa taxe et la future imposition actuellement en discussion au niveau international.
Les entreprises françaises ont fait savoir leur mécontentement concernant l’absence d’équité fiscale à plusieurs reprises lors de sommet ou de rencontres avec le gouvernement. Encore récemment, sur le sujet de la réforme audiovisuelle lors d’une conférence Médias en Seine, Alain Weill, PDG d’Altice déclarait « L'enjeu, c'est qu'on bénéficie des mêmes règles que les Gafa, pas plus, pas moins ». C’est ce même sentiment que partage nombreux dirigeants d’entreprises françaises, alors rattrapés par les GAFA dans leur propre secteur.
A l’occasion du grand débat national, la revendication d’une meilleure justice fiscale s’est renforcée du côté des particuliers. Cela fait déjà plusieurs années que les particuliers mais aussi certaines entreprises s'insurgeaient des manipulations fiscales des GAFA qui leur permettaient de payer très peu d’impôts en France malgré leurs résultats.
Cette loi apparaissait comme une solution pour répondre à ces réclamations et mettre sur un pied d’égalité l’ensemble des parties prenantes.
La taxe Gafa, adoptée par le Parlement en juillet et rétroactive au 1er janvier, devrait rapporter environ 400 millions d’euros à l’Etat français.
Même s’il s’agit d’une avancée par rapport aux années précédentes, Mounir Majhoubi, ex-secrétaire d'État chargé au Numérique, affirme que cette taxe devrait rapporter bien plus. Selon lui, elle devrait permettre à l’Etat de récolter jusqu’à 1,1 milliard d’euros. Ce rapport se base sur des données croisées car les chiffres officiels des GAFA ne sont pas partagés. Le député espère que ce rapport permettra à la France de défendre de façon pertinente ses droits lors des discussions au sein de l’OCDE prochainement. L’objectif pour l’Hexagone est d’évaluer si la taxe internationale est à la hauteur de ce que le gouvernement français devrait toucher à travers une taxation juste des géants numériques sur son territoire.
En effet, depuis 2013 des négociations au sein de l’OCDE sont en cours pour trouver un accord autour d’une imposition internationale des géants du numérique. Car si aujourd'hui les entreprises du numérique sont taxées en fonction leur présence sur un territoire, les spécialistes envisagent d'imposer les produits et les données numériques en fonction du lieu où ils sont consommés. Il s’agit d’un système d’imposition ancien, qu’il faut adapter aux transactions numériques réalisées par des entreprises souvent digitalisées et mondialisées.
Les négociations au sein de l’OCDE étaient bloquées par l’existence de trois propositions divergentes et “ concurrentes ” portées par le Royaume-Uni, les États-Unis et l'Inde.
Après plusieurs années de débat sans issue aussi bien à l’échelle internationale qu’européenne, la France a donc décidé de prendre les devants et d’appliquer sa propre taxe numérique à l’échelle nationale. L’enjeu pour la France était double : faire avancer la situation quitte à faire ce choix seul et avoir la possibilité de choisir son propre champ d’application pour qu’il soit le plus avantageux possible.
Mais les discussions au sein de l’OCDE concernant une législation fiscale internationale sur la question ont repris fin mai 2019. Un nouveau projet de loi a été émis et cette fois-ci, les Etats-Unis ne se sont pas opposés. Un des représentants de l’OCDE a affirmé que l’objectif était de clore le débat d’ici juin 2020. La difficulté première sera, bien sûr, d’accorder les intérêts de chaque pays.
La proposition de l’OCDE a été validée par les ministres des finances du G20 lors de leur réunion des 17 et 18 octobre à Washington. Maintenant que le texte a été approuvé, il va être discuté et adapté au sein de l’OCDE entre ses 134 pays membres.
Si cette réforme internationale est effectivement entérinée, l’unification de l’imposition numérique permettra à la France d’échapper à l’ensemble des menaces qui lui ont été faites à l’annonce de sa taxe GAFA.
Cependant le projet de loi de l’OCDE ne correspond pas exactement à la taxe GAFA française. Si la France cible plus particulièrement les entreprises du numérique, le projet de l’OCDE vise, lui, plus généralement toutes les entreprises qui interagissent avec un marché sans y posséder “ d’établissement stable ” (de présence physique significative), mais sont en contact avec les consommateurs locaux. La taxe internationale exclurait seulement celles qui n'ont pas de lien direct avec le public, comme par exemple les équipementiers automobiles, qui vendent leur production à des fabricants.
L’organisation propose donc une “ approche unifiée “, et fait glisser le champ de la réforme au-delà des géants du numérique. Le fait d’imposer plus les entreprises là où leurs produits sont consommés réduira l'impôt rapatrié en France par les sociétés exportatrices. Ainsi en 2018, les sociétés du CAC 40 ont payé 33 milliards d'euros d'impôts au titre de leurs bénéfices mondiaux. La France a été le premier bénéficiaire de cette manne qui diminuera dans le cadre de cette réforme internationale. La réforme promue par l'OCDE pourrait donc pénaliser structurellement les finances de l’état français.
Le risque majeur pour la France est une taxe mondiale rapportant moins que sa taxe GAFA. Selon Christian Chavagneux, la France se verra obligée de “ réclamer un traitement particulier des entreprises du numérique pour se sortir du piège politique dans lequel elle vient de se mettre ”.
Les GAFA ont quant à eux réagi positivement à la proposition de l'OCDE. Ils préfèrent l’idée d’une approche multilatérale au scope large qui leur apparaît comme plus juste. Ainsi, Amazon a qualifié cette proposition “ d'important pas en avant “ et renouvelé son soutien au projet de l'OCDE. Google et Facebook ont eux-aussi affirmé leur appui aux travaux de l’organisation.
Mais si rien n’est décidé à l’échelle internationale ou du moins, si cela prend plus de temps que prévu, la France devra maintenir ses positions. L’un des premiers effets négatifs d’une telle situation serait l’impact sur les liens commerciaux avec les entreprises concernées mais aussi leur pays d’origine.
Ainsi, Amazon a annoncé qu’il répercuterait la taxe sur les taux des frais de ventes sur Amazon.fr. La firme Américaine est la première des entreprises concernées à annoncer de telles mesures de compensation. Toutes les entreprises travaillant avec Amazon en France seront concernées par cette mesure. Elles pourront choisir une autre plateforme de distribution mais, de façon plus probable, elles répercuteront la hausse sur le prix proposé au consommateur.
De plus, le président Américain, à l’annonce de la taxe GAFA, a menacé de taxer les produits français, tels que le vin, à l’importation. Même si le dialogue semble s’être apaisé depuis le G7, ce genre de menaces a de quoi inquiéter le gouvernement français étant donné l’importance du marché américain dans de nombreux secteurs.
Si un règlement international n’est pas défini, la taxe GAFA française pourrait être adoptée par d’autres pays. C’est l’une des raisons qui a poussé les Américains a accepté de rouvrir le débat à l’échelle internationale. Ainsi à Bruxelles, si l'unanimité n'a pas été atteinte pour voter la proposition de taxe à l’échelle européenne, 24 des 27 pays ont tout de même approuvé le projet de loi français. Il n'est donc pas inimaginable que ces autres états décident de voter une loi semblable sur leur territoire. Si le Royaume Uni et l’Italie ont déjà publié un projet de loi semblable, le Canada a aussi affirmé qu’il pourrait suivre la France à son tour. Les Etats-Unis ont beaucoup retardé la décision, la question n’est donc plus de savoir si une législation internationale sur la question est nécessaire ou non, mais quand elle sera mise en place et sur quel périmètre. Le risque majeur est d’aboutir à une fragmentation de la fiscalité numérique d’ici la fin des discussions au sein de l’OCDE.
Mais pour la France, le vrai enjeu sera de savoir faire valoir ses intérêts au milieu du débat international concernant l’étendue de la taxe internationale afin d’éviter un contre-effet de cette réforme pourtant tant attendue.
Références :
Taxe GAFA : le verre à moitié plein
La spirale infernale de la taxe GAFA à la française
Plusieurs millions d'euros de taxe GAFA
Taxe GAFA : Mahjoubi estime le manque à gagner à 700 millions d'euros
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