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La vente de voyages dans la grande distribution

Le voyage de loisirs a connu un essor considérable en France ces dernières années grâce au développement d'Internet et des nouveaux modes de vie.

Malgré le contexte économique et social difficile, les Français consentent toujours à des efforts financiers importants pour s'octroyer des moments de repos dans l'Hexagone ou à l’étranger. Guidés par une volonté de changement, ils cherchent à se dépayser et si certains postes de dépenses des ménages diminuent, le tourisme de loisir en reste une composante incontournable. Ainsi, 64% des Français de plus de 15 ans sont partis en voyage en 2017[1] ce qui constitue un record depuis le début du siècle.

Le chiffre d'affaires des agences de voyage devrait donc continuer d'augmenter compte tenu de l'amélioration du pouvoir d'achat global en France (+5% estimé en 2019)[2]. Outre les acteurs traditionnels de la distribution touristique qui se sont apparus après les Trente Glorieuses, de nouveaux acteurs, plus méconnus issus des groupes de la grande distribution se sont développés. Les pionniers historiques Leclerc et Carrefour Voyages ont été rejoint par Auchan Voyage et plus récemment Lidl Voyages, en septembre 2017. Ces arrivées ont toutefois été de pair avec des fins d'activités à l'instar de Cora ou Casino Voyages en 2013. Alors, la grande distribution menace-t-elle les agences de voyage classiques ? Quels sont les enjeux du développement de la vente de voyages dans la grande distribution ? Est-ce que cette stratégie de diversification est payante pour la grande distribution ou bien n'est-ce pas rentable à long terme ?

Un secteur en pleine mutation

Des acteurs historiques solidement installés

C'est en 1841 que le britannique Thomas Cook a commencé à organiser des voyages de groupe, jusqu'alors limité à une clientèle fortunée. Peu à peu, les transports vont se démocratiser et le XXème siècle verra l'explosion du tourisme de masse. Il existe aujourd'hui plus de 4000 agences de voyage physique en France, chiffre en déclin avec l'essor du e-tourisme ces dernières années (tendance qui a confirmé son dynamisme en 2018 avec une croissance supérieure à 10% et des fréquences d'achat en hausse de 9%[3]). Le marché est partagé entre des réseaux intégrés d'acteurs généralistes (le groupe Tui avec Marmara, Lookéa et Nouvelles Frontières, numéro un mondial du voyage présent depuis plus de 50 ans avec 265 agences, Thomas Cook avec 450 agences ou Club Med avec 80). A cela s'ajoute des réseaux intégrés d'agences de voyage (Havas Voyage avec 335 points de vente en France), des indépendants (Manor, Selectour, Tour Com…) ainsi que des réseaux intégrés à des compagnies aériennes ou ferroviaire (Air France, SNCF…).

Réserver ses vacances comme l’on fait ses courses séduit plus d'un million de français chaque année. Ils recherchent prioritairement le meilleur rapport qualité-prix en développant un comportement opportuniste. Sachant que les offres proposées par les tour-opérateurs classiques se ressemblent (généralement package transport + logement, en France ou à l'étranger), le critère de différentiation principal reste le prix de vente.

La percée de la grande distribution

Inexistante il y a encore 20 ans, les enseignes de la grande distribution ont très vite conquis jusqu'à un quart du marché de la distribution de voyages en France et ont progressivement acquis la crédibilité et la légitimité qui leur faisaient défaut au début. Leur objectif de démocratiser le voyage de loisir en profitant de leur potentiel d’achat extrêmement puissant semble bien fonctionner jusqu'à présent. Grâce à leurs boutiques adossées aux hypermarchés, à leurs volumes d'achat et offres sur mesure, elles ont vite rattrapé leur retard sur les enseignes classiques en cassant les prix. Désormais confrontées à la baisse de fréquentation des hypermarchés, elles utilisent d'autres leviers pour augmenter les ventes (voir ci-dessous).

Même si aujourd'hui les prix pratiqués par la grande distribution sont similaires à ceux des tour-opérateurs classiques pour des voyages standards, les prix peuvent être jusqu'à 50% inférieurs[4] pour les offres promotionnelles ou ventes flash. Sur le plan de l'offre, la différence entre chaque enseigne de voyages réside dans les activités de billetterie (avion, train…) et autres prestations de cross-selling (assurances, etc…).

Dans une logique de diversification mais aussi de rentabilité de la surface de vente, chaque hypermarché, franchisé ou non doit arbitrer entre différentes activités, comme les bijoux, la parfumerie ou le voyage. Mais bien souvent jusqu’à aujourd’hui, le choix a été fait de proposer à la vente des voyages. "C'est sans aucun doute le rayon qui fait le plus rêver" déclarait Isabelle Cordier Archer, ancienne directrice de Carrefour Voyages.

Leclerc et Carrefour trustent les premières places

Le marché de la vente de voyage par la grande distribution est depuis de nombreuses années dominé par 2 inconditionnels chefs de fil Leclerc (195 agences) et Carrefour Voyages (167 points de vente dont 30 franchisés) qui disposent à la fois d'un réseau de boutiques et d'un site marchand dont le chiffre d'affaires est en augmentation constante.

Avec plus de 700 000 clients par an et un volume d'affaires de 545 millions d'euros, en progression de 12% en 2017[5], E.Leclerc Voyages a réussi en 30 ans d’existence à devenir le pionnier du secteur. Référençant une quarantaine de tour-opérateurs, ce sont surtout ses offres promotionnelles (une vingtaine par an) qui font sa force. L'enseigne bat aujourd'hui des records à tel point qu'à l'heure où la vente de séjours touristiques sur Internet n'en finit de croître, le réseau d'agences se déploie désormais dans des zones de chalandise de prime abord plus limitées mais suffisantes pour assurer la rentabilité minimale d’une agence. A l’instar de Leclerc, Carrefour Voyages a su durer et après 25 ans d'existence, son chiffre d'affaires atteint 288 millions d'euros pour 450 000 clients par an. Des accords ont été passés avec environ 150 tour-opérateurs dont une dizaine de nouveaux chaque année. Pour tenter de se démarquer, le réseau a signé fin 2017 un partenariat avec Mister Fly (fournisseur de séjours packagés) et a conclu des accords avec Expedia ou encore Very Chic.           

Mais plusieurs autres acteurs gagnent des parts de marché

D'autres acteurs de la distribution classique se sont développés tels qu’Auchan Voyages qui a fêté ses 20 ans en 2018, revendu au groupe Marietton Développement en 2014. Une quinzaine d'agences sont présentes en France, essentiellement dans le Nord, berceau de l’entreprise, en Rhône-Alpes et en région parisienne.

Face à ces poids-lourds de la distribution physique, des acteurs plus jeunes gagnent des parts de marché en misant sur la vente en ligne et les prix cassés. Le dernier en date, Lidl Voyages, promet à ses clients de casser les codes grâce au "vrai prix de vos rêves". L’enseigne allemande vend depuis septembre 2017 des séjours vers plus de 100 destinations, exclusivement en ligne en misant sur l'expertise de sa maison mère qui vend déjà des prestations dans six pays européens dont l'Allemagne et l'Italie. Voulant se débarrasser de son image low-cost, Lidl négocie chaque semaine 2 ou 3 offres exclusives à prix discount pour ses fidèles clients (de moins 20% à moins 60% par rapport à la concurrence) ce qui participe aujourd'hui à son succès. Un an après sa création, en septembre 2018, Lidl Voyages comptabilisait déjà 20 000 voyageurs actifs. Le groupe souhaite désormais développer son offre au départ des régions (pour satisfaire au mieux ses clients dont la moitié vit en province) et de dernière minute, avec des départs à J-2.

Il est important de noter la disparition de plusieurs enseignes ces dernières années liée à la concurrence intense et à l’inadéquation entre l’offre et la demande comme par exemple Mousquetaires Vacances en 2007, Cora Voyages en 2012 et Casino Vacances en 2013 (ce dernier pesait seulement 0,03 % du CA groupe à la fin de l'activité).

De nouveaux entrants issus du e-commerce en pleine expansion

Face à ces agences majoritairement physiques, des acteurs venus du e-commerce ont investi le marché. Le premier a été Vente Privée (aujourd'hui Veepee) en investissant d’abord dans Mister Fly déjà partenaire de Lidl Voyages (voir plus haut) puis Showroomprivé. Plus récemment, au Printemps 2018, 2 des sites les plus visités en France c’est-à-dire Cdiscount et La Redoute ont lancé leur boutique en ligne. Le premier cherche à capitaliser sur ses 9 millions de clients avec des ventes flash de séjours combinés (avion + hôtel), disponibles à la vente pendant seulement quelques jours. D’un autre côté, La Redoute Voyages apparu en juin 2018 cherche à devenir la « plateforme lifestyle préférée des familles ». Développé avec des start-ups ou des professionnels du secteur, ces pureplayers mettent à profit leur nombre important de visiteurs uniques mensuels (8,5 millions pour la Redoute dont 58% serait intéressé par cette offre de voyages)[6], pour se lancer dans le voyage.                           

Ces diversifications leur permettent d'occuper un positionnement lifestyle en complément de leur catalogue mode et maison.

Enfin, il convient de noter la présence des OTAs (Online Travel Agency) tels Booking[7] ou Expedia qui continuent de truster une part importante du marché de la distribution de voyage. Commercialisant essentiellement des prestations fournies par des tiers, ces sites sont très fréquentés notamment par les générations X et Y, particulièrement adeptes des réservations en ligne. Alors qu’il y a encore 10 ans, les Français préféraient réserver leurs vacances hors ligne, la tendance s’est inversée : 72 % d’entre eux réservent aujourd’hui sur Internet, 44 % via une OTA et 21 % par une agence traditionnelle[8].

Le client final a donc une multitude de choix pour réserver en ligne ses voyages ce qui pousse les agences de la grande distribution à continuellement innover et à tirer les prix vers le bas.

Un canal qui résiste à la crise du secteur des agences de voyage…

Les groupes de distribution s’appuient sur l’omnicanalité

Les agences de voyage issues de la grande distribution ont emprunté les recettes qui ont fait le succès de leur maison-mère : grâce à leur base client, elles peuvent s'engager auprès des tour-opérateurs sur de gros volumes de vente et faire des économies d’échelle avec comme finalité un prix pouvant-être jusqu'à 40% inférieur à une agence classique. Elles profitent également des multiples supports de communication dont elles disposent (mailing aux porteurs de carte fidélité, présentoir en magasin, spots TV ou radio…) même si le prospectus reste l'un de leur atout numéro un pour tirer son épingle du jeu. A titre d’exemple, celui de Lidl est tiré à 12 millions d'exemplaires chaque semaine et relaie les offres exclusives de voyage. De plus, contrairement aux OTAs, elles mettent à profit leur très large base de données pour adresser leurs voyages en offrant une expérience personnalisée, unique et de qualité[9] : plus de 2 millions de clients Lidl reçoit ainsi des offres promotionnelles ou 1,2 millions du côté de Leclerc. Dans ce sens, afin de développer sa base client, Carrefour Voyages propose en avril 2019 une réduction de 30 euros pour tout ses nouveaux inscrits à sa newsletter.

Face aux difficultés de la grande distribution, les enseignes diversifient leurs activités en se tournant vers la distribution de services comme le voyage. Les groupes peuvent alors jouer la carte de l'omnicanalité et faire des ponts avec leurs différentes marques. Il y a par exemple les agences, installées dans les supermarchés ou les galeries commerciales, les Drives, le site du groupe ou ses filiales Rue du Commerce et Showroom privé qui communiquent et revendent les offres de Carrefour. Dernièrement, leurs 14 millions de membres[10] du programme de fidélité ont pu profiter de réductions flashs.

Les voyages profitent à tous

Les agences de voyage sont de véritables outils marketing pour les enseignes de la distribution au service de leur image de marque qui peuvent enrichir leur relation client et attirer des consommateurs en proposant des services additionnels. C'est le cas notamment de Lidl Voyages qui a choisi une stratégie de communication ambitieuse pour vendre ses offres de voyage en ligne en misant sur l'émotion, l'expérience et l'inspiration en plus des offres promotions sur ses réseaux sociaux. Carrefour de son côté compte sur sa branche Voyages pour créer un univers de marque différent et constituer une communauté de voyageurs (plus de 100,000 abonnés sur son compte Instagram début 2019). Enfin, Leclerc a su faire évoluer sa clientèle depuis la création du réseau en 1987 : autrefois liée à une image populaire, l'enseigne va chercher aujourd'hui des clients avec un panier moyen élevé, qui voyagent régulièrement en France ou en Europe.

Désormais, la concurrence et l’exigence de la clientèle obligent les agences à proposer davantage de personnalisation dans leurs voyages avec le meilleur rapport qualité/prix. Selon Jean-Marc Rozé, secrétaire général des Entreprises du voyage "le distributeur ne doit pas se contenter d'être revendeur, il doit organiser des voyages en les construisant de bout en bout". Même si la profitabilité par m² est moindre que pour l'alimentaire ou le bricolage, la distribution de voyage est un excellent média de communication pour l'image des enseignes de la grande distribution".

…mais qui reste confronté à de nombreux enjeux structurels

Un marché difficile à anticiper et à exploiter

Le marché du tourisme de loisir reste complexe du aux marges faibles (env. 2%), aux charges importantes et à la concurrence que s’exercent les différents acteurs. C'est un marché fluctuant dans lequel il convient de peaufiner son modèle pour espérer un jour faire décoller son activité. De plus, c'est un marché soumis aux données climatiques, économiques, géopolitiques et sanitaires. L’enjeu premier des agences de voyage est donc celui de la souplesse.

Une offre plus complète pour mieux répondre aux attentes des consommateurs

Pourquoi passer par des intermédiaires lorsque l'on peut réserver en ligne directement sur le site de la compagnie aérienne ou de l'hôtel ? Il existe aujourd'hui en France une offre pléthorique pour commander un voyage (agences physique, OTAs…) et les dernières années ont montré que ces acteurs étaient trop nombreux... Face aux sites de voyages et aux OTAs qui représenteront un volume mondial de vente estimé à 434 milliards de dollars en 2020[11] (chiffre qui aura quadruplé en 10 ans), les agences traditionnelles doivent se spécialiser et prouver leur haute valeur ajoutée. En effet, les clients sont devenus des « sachants » qui préparent leur voyage en ligne avant de se rendre en boutique, certains ne passant même plus par une boutique « downtown ».

D’après une étude Phocuswright, spécialiste des voyages en ligne, la bataille de la distribution pour l’aérien et les produits hôteliers basiques a déjà été remporté par les OTAs mais la vraie valeur ajoutée des « traditionnels » réside dans la vente de produits complexes comme les croisières. L’objectif premier des Leclerc ou autre Carrefour Voyages de démocratiser le tourisme étant rempli, il faut désormais chercher à satisfaire le plus grand nombre avec des produits sur-mesure et d’exception. Sachant que les agences issues de la grande distribution disposent la plupart du temps d’un réseau physique et d’un site Internet, elles doivent donc continuer à travailler sur l’omnicanalité pour répondre le mieux aux attentes des clients et se réinventer en permanence car en face les acteurs du tourisme ont bien compris les enjeux de faire revenir les clients sur leur site et ont pris des mesures en proposant à la vente des produits exclusifs.

La menace des GAFA

La montée en puissance des GAFA (Google, Amazon, Facebook, Apple), les 2 premiers en tête sur le marché des agences de voyage inquiètent les professionnels du tourisme. Depuis plusieurs années, l’entreprise dirigée par Sundar Pichai cherche à devenir un guichet unique pour la réservation de vols, d’hébergements et d’activités.[12] Selon Jean-Pierre Nadir, fondateur d’Easyvoyages "Google peut racheter n'importe quel acteur du tourisme possédant une technologie qui l'intéresse" ; le combat s'annonce difficile entre les distributeurs classiques dont ceux issus de la grande distribution et les GAFA qui ont une avance considérable grâce à leurs données. Reste désormais à chacun de prouver sa valeur ajoutée.

Conclusion

La montée en puissance de la grande distribution dans le voyage a permis une profonde remise en cause de l'ensemble des acteurs et une montée en gamme : le consommateur final peut aujourd'hui bénéficier de prix attractifs et d'offres sur mesure à la fois sur Internet ou en boutique physique ce qui profite à la 1ère destination de voyage des Français à savoir la France[13]. Les agences présentes en physique rivalisent d'ingéniosité pour offrir plus de services, un service-après-vente peu développé sur le Net et de l'expertise clients comme le montre l'ouverture de la plus grande agence de voyage du monde à Barcelone en 2018 (1700 m²), aménagée dans un ancien cinéma dont l'écran a été conservé pour diffuser des vidéos de promotions et qui dispose d'une trentaine de vendeurs "experts".

Mais les difficultés structurelles du marché de la distribution en France ne pourront être mises de côté dans le futur. Ainsi malgré la réduction de pertes du groupe Carrefour en 2017 grâce au plan de redressement "Carrefour 2022", Carrefour Voyages ne serait pas épargné et des rumeurs feraient état d'une vente des 160 points de vente prochainement. De quoi voir l'avenir de ces agences de voyage de la grande distribution d'un moins bon œil…    


[1] Enquête Raffour Interactif, 2018

[2] Source Xerfi

[3] Données 1er trimestre 2018, Fevad

[4] Séjours en croisière 

[5] Données L’Echo Touristique

[6] La Redoute se lance dans le voyage 

[7] Pour plus d’informations

[8] Enquête OpinionWay / Kayak, 2016

[9] Pour plus d’informations

[10] Source LSA

[11] Données Euromonitor

[12] Vols, hôtels, locations : Google donne un coup d'accélérateur 

[13] 1ère destination touristique mondiale avec 89 millions de personnes en 2017