La reconversion, parent pauvre des politiques d…
Le bois est une source d’énergie produite localement, bon marché et renouvelable. Cette filière fait d’ailleurs partie intégrante du Grenelle de l’Environnement et présente un potentiel important pour produire de la chaleur et de l’électricité renouvelables, et bientôt des biocarburants.
Pourtant, chaque année, moins de la moitié des réserves annuelles disponibles en France sont commercialisées. L’élaboration et la mise en place d’une stratégie nationale de mobilisation de la biomasse, décidées par le Sénat, devraient donner un nouveau souffle à la filière.
La France possède l’un des plus grands patrimoines forestiers d’Europe. Sa forêt, en croissance depuis plus d’un siècle, s’étend sur 16 millions d’hectares ce qui en fait la 4ème forêt européenne en taille et la 3ème en volume(1). Pour ne pas nuire au développement de la forêt et dans une optique d’exploitation durable, la filière bois peut produire chaque année la quantité de bois équivalente au taux d’accroissement. Entre 2004 et 2012, ce taux s’est stabilisé à 91 Mm3/an. Pourtant, sur cette même période, la commercialisation de bois est restée inférieure à 40 Mm3. Plusieurs éléments permettent de comprendre le phénomène. Tout d’abord, la forêt française a été en grande partie privatisée au cours du 19ème siècle. Aujourd’hui, l’Etat ne possède que 9%(2) des forêts tandis que les communes en comptabilisent 17%(3). Le reste, 74%, est détenu par des particuliers ou par des structures privées. La majeure partie de la récolte de bois échappe donc à l’Organisation Nationale des Forêts (ONF) qui gère le patrimoine des forêts publiques françaises. Deuxièmement, cette forêt est fortement morcelée. En 2009, plus de 50% de sa surface était répartie en 3,4 millions de propriétés(4) de moins de 25 ha. Ce morcellement réduit l’offre disponible en imposant aux acheteurs de bois de contractualiser avec un grand nombre de propriétaires privés hésitant à mettre leur forêt en exploitation, au profit d’autres activités comme le tourisme et la chasse, plus rentables. De plus, les coûts élevés de transport de la matière imposent une consommation au niveau local. Or, les lieux de production ne correspondant pas toujours aux lieux de consommation, ainsi une grande partie des bois se retrouvent non exploités faute de besoins locaux. Pour finir, certaines réserves de bois se situent dans des zones difficilement exploitables. C’est le cas des régions montagneuses comme les Alpes ou les Pyrénées, concentrant 20% des réserves métropolitaines. Ces reliefs incompatibles avec la mécanisation des outils de production rendent l’exploitation de certaines parcelles financièrement difficile, voire logistiquement impossible.
Ainsi, sur les 91 Mm3 de bois disponibles annuellement, seulement 35 Mm3 ont été récoltés et commercialisés en 2013 dont 7 Mm3 pour le bois énergie.
Ainsi, sur les 91 Mm3 de bois disponibles annuellement, seulement 35 Mm3(5) ont été récoltés et commercialisés en 2013 dont 7 Mm3 pour le bois énergie. Une grande partie de la production (25 Mm3(5)) est cependant directement récoltée et autoconsommée par les propriétaires. Le reste est tout simplement non exploité permettant à la forêt de croitre année après année. Alors que le pays cherche à diminuer sa facture énergétique et développer une nouvelle politique énergétique durable, il est logique de s’interroger sur ce manque d’efficacité de la filière.
La sous-exploitation du potentiel forestier n’est pas une nouveauté et est décriée depuis plusieurs décennies comme en attestent les nombreux rapports à ce sujet(a). S’il est avéré que la France sous-exploite sa forêt, il est cependant beaucoup plus complexe d’évaluer le potentiel de gisement supplémentaire ainsi que sa répartition sur le territoire. Tout d’abord parce qu’une trop grande partie du bois est directement consommé par le producteur (ou son réseau proche) et échappe totalement aux circuits professionnels et donc aux statistiques. Même si la quantité, environ 25 Mm3/an, est assez bien connue, la répartition de cette production reste encore assez floue. Deuxièmement, la plupart des propriétaires ne sont pas disposés à exploiter et commercialiser leurs ressources en bois du fait d’un manque de temps ou de rentabilité(b). Il est alors difficile d’évaluer leur volonté à vendre leur bois. La combinaison des deux effets aboutit à un niveau d’incertitude encore trop élevé. En 2009, deux rapports, l’un de Cemagref(6) et l’autre de l’ADEME(7), présentaient des résultats très contrastés à ce sujet. Le premier tablait sur un gisement de bois d’industrie et de bois d’énergie (BIBE) mobilisable de 28 Mm3 tandis que les résultats de l’ADEME se voulaient plus conservateurs annonçant seulement 12 Mm3 de BIBE supplémentaires. En considérant les conclusions du deuxième rapport et en y ajoutant le potentiel de « bois menu »(c), un peu plus de 19 Mm3/an de bois seraient techniquement et économiquement mobilisables à l’échelle nationale. Le potentiel de valorisation énergétique oscillerait alors entre 3 Mtep (pour une cogénération biomasse avec un rendement global de 70%) et 3,9 Mtep d’énergie thermique (pour une chaufferie biomasse avec un rendement de 90%) selon le mode de consommation du bois. Ces chiffres sont à mettre au regard des objectifs du Grenelle de l’Environnement qui prévoyait une hausse de 8 Mtep de la consommation finale d’énergie à partir de la biomasse solide entre 2005 et 2020. L’exploitation de ces gisements permettrait de répondre à près de 50% de cet objectif. Mais comment justifier aujourd’hui une possible exploitation de ce potentiel ?
A l’image de l’initiative prise par le Sénat en janvier dernier lors du projet de loi sur la transition énergétique, la France doit définir et mettre en place une stratégie nationale de mobilisation de la biomasse avec un volet réservé au bois énergie. La première étape consiste à mettre en place un suivi régulier de la production, de la commercialisation et des réserves supplémentaires de bois permettant année après année de suivre l’évolution de ces trois indicateurs. Par ailleurs, la démarche devra construire une plateforme de regroupement et d’échanges entre les acteurs de l’amont et de l’aval. En effet, les filières aval (chaufferie bois, cogénération biomasse, etc.) sont détenues par des grands industriels tandis que la filière production est aujourd’hui majoritairement composée de petites PME de quelques salariés aboutissant à la multiplication des interlocuteurs. Par ailleurs, les autres filières biomasse solide (résidus agricoles et agroalimentaires, déchets urbains, etc.) souffrent également d’un éparpillement de leurs ressources ainsi que d’un manque de rapprochement entre les lieux de production et ceux de consommations. La mise en place d’une stratégie commune permettrait alors de mutualiser les bonnes pratiques.
Néanmoins, devant la forte disparité des gisements selon les régions, il est peu probable qu’un plan national soit suffisant et efficace pour maximiser la production de bois en France. Selon le rapport de l’ADEME, l’essentiel des gisements se situe sur un axe Nord-Est/Sud-Ouest : le Centre (15%), la Bourgogne (15%), la Franche-Comté (9%), la Lorraine (9%), la Champagne-Ardenne (7%), le Limousin (7%), l’Auvergne et Midi-Pyrénées (7%) regroupent 73% des ressources. Cette concentration peut s’expliquer en partie par le manque de tissu industriel fort du secteur du papier au sein de ces régions. Par ailleurs, la nouvelle politique devra permettre d’accompagner les différents acteurs de chaque maillon des projets : de la production et exploitation de la biomasse à la phase de consommation en passant par le transport. Or devant les difficultés et les coûts du transport du bois, la plupart des projets se structurent à la maille locale. Il est donc primordial d’intégrer une dimension régionale à la gestion de l’approvisionnement. En définitive, la montée en puissance de la filière bois nécessitera un pilotage territorial de la stratégie définie à l’échelle nationale.
(a) Dès 1977, le rapport Jouvenel dressait le bilan d’une filière bois dont le potentiel n’est que partiellement valorisé.
(b) En effet, en dessous de 4 hectares, la rentabilité économique de la gestion forestière n’est, généralement pas assurée.
(c) Le « bois menu » représente les rémanents de l’arbre : petites branches et cimes.
Sources :
(1) Projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte
(2) Mémento FCBA 2014
(3) Mémento IFN 2014
(4) Filière Forêt-Bois (Edition 2012)
(5) Récolte de bois et production de sciages en 2013
(6) Évaluation des volumes de bois mobilisables à partir des données de l'IFN "nouvelle méthode"
(7) Biomasse forestière, populicole et bocagère disponible pour l’énergie à horizon 2020 (mise à jour disponible en septembre 2015)