La reconversion, parent pauvre des politiques d…
Le perfectionnement progressif des assistants vocaux et des chatbots permet le développement du commerce conversationnel. Ces nouveaux parcours clients bouleversent la relation client et implique une adaptation rapide des acteurs.
Le perfectionnement progressif des assistants vocaux et des chatbots permet le développement du commerce conversationnel. Ces nouveaux parcours clients bouleversent la relation client et implique une adaptation rapide des acteurs. De surcroît, l'arrivée de nouveaux acteurs technologiques sur le secteur rebat les équilibres établis avec les marques et les distributeurs.
Longtemps cantonné au secteur des services et du transport, le commerce conversationnel s’invite aujourd’hui dans le monde de la distribution sous trois formes principales. Des comparateurs de prix aux achats de billets en ligne, il s’installe par le biais de chatbots, d’assistants vocaux personnels (AVP), et de robots présents dans les magasins. Une étude du cabinet Gartner estime que les achats effectués via ces assistants généreront $2,1 milliards en 2020, année au cours de laquelle 3,3% des ménages mondiaux en seraient équipés. D’ici là, 85% des interactions entre consommateurs et entreprises seront gérées sans contact avec un humain.
L’année 2017 marque le début de partenariats avec Google pour plus de quarante distributeurs (y compris Target, Walgreens, Costco) qui introduisent le shopping par assistants conversationnels à leurs clients. Une tendance réciproque puisque 24% des consommateurs disent préférer utiliser des assistants vocaux que des sites internet, un chiffre qui s’élèverait à 40% d’ici trois ans d’après une étude menée par Capgemini en 2017 [1]. Mais de quelle révolution parle-t-on pour les distributeurs ?
Mieux connaître les clients
Les distributeurs et marques qui utilisent ces technologies aujourd’hui ont d’abord accès à des données nouvelles de la part de leurs clients : voix, historiques d’achats plus précis, etc. Ces données sont la base d’une « hyperpersonnalisation » de la relation client. Les assistants conversationnels, contrairement aux chatbots traditionnels, reposent sur des systèmes d’intelligence artificielle qui leur permettent de traiter une grande quantité de données, mais aussi d’utiliser du machine learning, avec in fine un client mieux conseillé grâce à une connaissance étoffée de ses besoins et de ses préférences.
Fluidifier et personnaliser la relation client
S’ajoutent à une relation client hyperpersonnalisée des parcours d’achats fluides qui s’insèrent dans un contexte bien spécifique. Les assistants vocaux personnels offrent aux distributeurs et aux marques l’opportunité d’atteindre le client dans son environnement personnel, un milieu dans lequel ce dernier se sent plus à l’aise et donc plus enclin à passer commande. L’importance de cette fluidité se retrouve du côté des consommateurs : par exemple, dans une enquête menée par Oracle en janvier 2017, les points forts les plus importants pour les utilisateurs de chatbots étaient de pouvoir disposer d’un service sans interruption, et de pouvoir obtenir des réponses instantanément.
Cette fluidification s’appliquera même en magasins. L’étude de Capgemini montre que la deuxième fonctionnalité la plus demandée par les consommateurs sera l’aide à la localisation de produits.
Capitaliser sur la fidélisation des utilisateurs
Avec des données plus complètes et des parcours simplifiés, les clients sont plus enclins à être fidèle à un distributeur, d’abord sur des achats de « commodités » et répétitifs. En France, Monoprix est le premier dans la catégorie « grande distribution » à se lancer sur Google Home, avec un modèle développé par l’agence Artefact, spécialiste de l’intelligence artificielle. Le modèle est pensé “comme un post-it, mais sans risque d’oubli” d’après Pierre-Marie Desbazeille, le responsable expérience client de l’enseigne. En se connectant avec son numéro de carte de fidélité – qui contient son historique d’achat en canaux physiques et digitaux, le client a directement accès à ses produits préférés, sans préciser de marque. S’il n’est pour l’instant pas possible de passer commandes directement via Google Home, la liste de courses apparait dans l’application Monoprix. Le distributeur envisage de développer à l’avenir des suggestions de produits ou marques complémentaires, voire de recettes complètes.
Amazon, qui a été l’un des premiers acteurs du commerce à proposer un assistant personnel intelligent, Alexa, a d’ailleurs vu ses clients équipés dépenser $ 1 700 par an en moyenne, soit $ 700 de plus que les clients utilisant le site internet.
Attraction de talent et conduite du changement pour des stratégies de transformation réussies
La majorité des attentes des consommateurs est exprimée dans des thèmes relatifs aux services après-vente et au suivi des commandes, via des chatbots sur Whatsapp ou Messenger. Selon l’étude de Capgemini, 70% des « voice sprinters », les utilisateurs les plus importants d’assistants conversationnels disent par exemple, vouloir remplacer définitivement les interactions avec les centres d’appels par des conversations via chatbot ou AVP. Ces attentes doivent se traduire par une adaptation au niveau de l’organisation des distributeurs, un changement à envisager sur le long-terme. Le challenge pour eux sera double : attirer de nouveaux talents maîtrisant ces nouveaux modes de communication tout en investissant lourdement dans la technologie nécessaire. Il s’agit par ailleurs de savoir faire monter en compétences les salariés actuels, et mener des actions de conduite du changement pour les équipes amenées à être « transformées », en particulier les centres d’appels et les SAV.
Une collaboration entre tous les métiers de la distribution pour une multicanalité durable
49% des consommateurs voudraient pouvoir suivre le statut d’une livraison via un assistant conversationnel ou un chatbot. Actuellement, le commerce conversationnel reste un thème traditionnellement rattaché aux équipes marketing, mais comme le montre cette statistique, il a vocation à devenir transverse. Pour répondre à ces nouveaux enjeux, les distributeurs doivent instaurer une collaboration poussée entre leurs services marketing et logistique, renforcer leur système d’information pour permettre cette convergence et continuer les efforts déjà engagés ces dernières années sur le commerce multicanal (centralisation des informations de connaissance clients, commandes, unicité des process).
Des enjeux de transformation pour maintenir une forte proposition de valeur en magasins
L’impact de la digitalisation des points de vente et de la hausse des utilisations de commerce conversationnel conduira également les distributeurs à se transformer, pour maintenir une proposition de valeur intéressante dans les canaux physiques. Les assistants vocaux présentant une véritable innovation pour les achats répétitifs de commodités (par exemple, via des listes de courses préenregistrées comme le fait Monoprix), les distributeurs devront axer leur réflexion moins sur la transaction et davantage sur l’expérience client dans le cadre d’achats plaisir, pour créer un lien fort avec le consommateur.
Le rôle des distributeurs au sein de la supply chain dans son ensemble leur confère un rôle clé dans les évolutions du commerce conversationnel. Mais la centralité de ce rôle pourra présenter un risque pour les marques. Par exemple, une marque non-référencées dans un parcours client d’un grand distributeur souffrirait d’un manque à gagner important, ce qui pourrait expliquer la volonté de certains groupes comme L’Oréal de reprendre la main sur leur distribution (cf. : Les nouveaux modes de distribution agro-alimentaire – Sia Partners).
Cette même question se pose quant aux suggestions fournies par des outils de commerce conversationnel. Suite à une recherche, un nombre très faible de retours sera proposé au consommateur, toujours dans l’optique de fluidifier son parcours. La visibilité des marques fera ainsi l’objet d’une concurrence plus forte.
Il s’agit donc aujourd’hui pour les enseignes de répondre à la fois à l’enjeu du référencement sur des outils en pleine croissance, tout en réussissant à se démarquer dans des parcours de plus en plus personnalisés.
Le commerce conversationnel repose sur des technologies que les distributeurs historiques ne maîtrisent pas et ne sont pas en mesure d’appréhender seuls. Mener le développement d’une intelligence artificielle compétitive face à celles des GAFA parait complexe. La marche est trop haute et le retard accumulé trop important. Si quelques start-up à l’image de iAdize et Teeps en France ou de Conversable au Texas ont relevé le défi, elles devront également affronter les géants américains sur le terrain du déploiement de leurs outils. Or, c’est bien sur les volumes de vente apportés que le succès des bots conversationnels sera jugé sur le marché du retail. Et à ce jeu-là, les GAFA disposent de moyens considérables à investir pour se positionner très tôt en tant qu’acteurs incontournables.
Google, nous le citions précédemment, a d’ores et déjà fait alliance avec le groupe Casino et sa « liste de course ». Il ne s’agit que d’une première étape avant de pouvoir commander les produits directement avec l’assistant Google Home. Sa collaboration avec Zalando a aussi donné naissance à un chatbot « Gift Finder », dont le but est d’aider le consommateur à dénicher le cadeau idéal. Le bot s’appuie sur une plateforme « Action on Google » qui permet le développement d’application pour son assistant.
Facebook de son côté a ouvert Messenger au e-commerce dès 2015, avec la possibilité de réserver une course Uber depuis son application. D’autres grands groupes ont suivi depuis l’ouverture de Facebook Platform, la plateforme de création de bots à destination des entreprises : eBay l’a intégrée, de même que la SNCF pour la réservation de billets, Séphora pour l’aide au choix de cadeaux et même des compagnies aériennes pour la réservation de vols. Pour l’heure, en France, il n’est pas possible d’acheter directement sur Messenger. Facebook n’en est cependant pas loin, puisqu’elle propose déjà un service de paiement entre particuliers à l’étranger.
Apple est plus timide sur ce domaine. Toutefois, iOS 10 a marqué un tournant puisqu’il ouvre la possibilité aux développeurs d’utiliser SIRI dans leurs applications, voire même d’intégrer directement des fonctionnalités de leur application dans iMessage.
Amazon affiche sa volonté de créer des points de vente physique. Si Amazon Go (le magasin sans caisse de Seattle) n’est pour l’instant qu’en phase de test, le rachat de Wholefoods Market a eu un retentissement considérable chez les distributeurs.
En réaction, Walmart a annoncé un partenariat stratégique avec Google pour mettre ses références en vente sur sa plateforme Google Express. Une première pour le n°1 du commerce mondial, qui laisse un intermédiaire vendre ses produits à sa place. Il rejoint une liste sur laquelle figure L’Occitane, que connaitront nos lecteurs français, mais aussi un certain Wholefoods Market, ironiquement. Google renforce par la même occasion sa position sur la livraison à domicile, marché de la logistique sur lequel Amazon tente justement de se positionner lui aussi.
Par ailleurs, avec la mise en place de GDPR en mai 2018, les principaux assistants conversationnels doivent se montrer attentifs à l’utilisation des données personnelles tout en proposant une expérience individualisée. Toutefois, ce contexte donne lieu à des initiatives innovantes de la part de start-up, comme Snips. A l’origine de cette entreprise en plein essor, une idée : conserver les données dans l’objet lui-même, sans besoin de les envoyer sur un cloud, pour conserver à la fois un respect des données personnelles et une indépendance vis-à-vis des GAFA. En combinant intelligence artificielle et respect de la vie privée des utilisateurs, des initiatives innovantes telles que celle-ci permettront certainement à l’avenir de développer des outils de commerce conversationnel qui répondent aux enjeux à la fois des distributeurs et des marques.
Confier la relation client à un partenaire est une décision difficile. Qu’en dire quand ce partenaire est lié à vos concurrents directs, voire est lui-même un concurrent direct ?
Le marché du commerce conversationnel, tel qu’il semble se dessiner à moyen terme laisse présager une importante partie du trafic de transaction transitant par les outils des GAFA. Les distributeurs traditionnels souhaitant réussir sur ce canal sont tentés de tous se lier à ces mêmes acteurs. Ils seraient alors sujets à une concurrence forte en matière de référencement. Afin de voir leurs produits mieux apparaitre dans les suggestions d’achats, peut-on imaginer un système de référencement coûteux ou un système de commission sur le chiffre d’affaire généré par ce canal ? Pour l’heure, les marges sont importantes sur le commerce conversationnel grâce aux frais de livraison élevés appliqués sur ces services à haute valeur ajoutée. En revanche, la crainte de leur érosion est réelle avec l’arrivée de ces nouveaux concurrents.
En effet, avec le commerce conversationnel, les retailers perdent un des avantages de leur maillage géographique : les clients ne sont plus retenus par la proximité des points de vente. Les distributeurs seront donc différenciés de leurs concurrents principalement par le prix du panier moyen et l’expérience client sur les canaux de commerce conversationnel. Or, en passant par les devices des GAFA et leur intelligence artificielle, les retailers leur confient une grande partie de la relation client.
S’il ne permet plus de capter des clients, le nombre élevé de points de vente pourrait être en revanche une force pour les distributeurs afin de devenir des acteurs de logistique urbaine au service d’un e-commerçant ; curieux inversement des rôles.
En France, le plus précurseur d’entre eux se nomme Casino : le groupe s’est associé non pas à un mais à 2 GAFA. Après Google Home en 2017, que nous évoquions précédemment, une alliance avec Amazon a été annoncée en mars 2018. Elle consiste à ouvrir aux clients d’Amazon Prime Now l’accès à l’offre alimentaire des magasins Monoprix, filiale de Casino. Au contact d’Amazon, le groupe souhaite se positionner à court terme parmi les leaders du marché sur ce segment.
Les intérêts qui ont motivé ce choix sont nombreux : être pionner permet de capter les clients technophiles, puis de les fidéliser grâce à l’avance sur la concurrence en termes de maturité. Sur l’image de marque, le retailer s’impose également comme un acteur innovant.
Enfin, cela permet au groupe de renforcer son expertise du commerce de proximité multi-canal, quitte à développer d’autres partenariats pour ne pas se retrouver dans une position de sous-traitant d’Amazon. Monoprix se laisse une porte de sortie avec Ocado, le temps que l’acteur s’installe en France. Le partenariat entre Monoprix et Ocado permettra au distributeur de bénéficier d’une technologie de pointe en matière de supply-chain : gestion d’un entrepôt automatisé dès mi-2019 en région parisienne, solutions ship-from-store, et optimisation des livraisons.
Les évolutions permises par les outils de commerce conversationnel sont en train de redéfinir les lignes de l’expérience client, et donc de tous les parcours physiques et digitaux qui les portent. Qu’elles soient portées par des chatbots ou des AVP, ces solutions posent encore des questions à la fois pour les marques et pour les distributeurs, notamment dans la redéfinition nécessaire de leur visibilité sur ces nouveaux canaux. Il leur faudra également repenser certains modèles d’organisation interne pour faire face à une complexité technologique certaine et à une concurrence accrue, dans des parcours clients toujours de plus en plus fluides.