La reconversion, parent pauvre des politiques d…
L'intelligence émotionnelle est aujourd'hui un concept à la mode en gestion des ressources humaines. De nombreux ouvrages relatifs au domaine des émotions dans les organisations ainsi que des articles publiés dans la presse académique et scientifique témoignent de l'engouement suscité par ce concept
Les premiers travaux sur ce concept ont été publiés par les chercheurs Mayer et Salovey [1], le sujet a ensuite été popularisé en 1995 par Daniel Goleman, un psychologue et journaliste scientifique américain, lors de la publication d'un best seller mondial : L'intelligence émotionnelle. Accepter ses émotions pour développer une intelligence nouvelle.
Depuis lors, de nombreuses études réalisées aux Etats Unis ont permis de démontrer qu'il existe effectivement une relation positive entre la capacité émotionnelle d'une organisation, sa culture organisationnelle et ses performances financières. Il a été prouvé que les entreprises dont les leaders mettent en oeuvre leurs capacités émotionnelles développées obtiennent une marge bénéficiaire de 71% supérieure à celle des entreprises dont la culture ne prend pas en compte l'IE de ses membres. Au même titre que le quotient intellectuel, le quotient émotionnel contribuerait donc à une meilleure réussite professionnelle et personnelle.
L'avenir des entreprises résiderait-il dans leur capacité à capitaliser sur l'intelligence émotionnelle de ses collaborateurs ?
Dans le contexte actuel de modification des structures de l'organisation, la capacité à gérer des interfaces et à créer un climat propice au développement collectif est de plus en plus critique et est devenu un facteur clé de différenciation au sein des organisations.
Au cours de ces dix dernières années, des recherches poussées ont permis de lever le voile sur ce nouveau concept « l'intelligence émotionnelle », qui ferait l'efficacité d'un leader. Le cabinet de conseil Hay/McBer a publié en 2000 une étude réalisée auprès de 3871 employés, choisis de manière aléatoire, permettant de donner des éléments de réponse au mystère d'un leadership efficace. Cette étude a mis en évidence six formes de leadership développées chacune à partir de composantes différentes de l'intelligence émotionnelle. Il a été démontré que ces styles de leadership pris indépendamment avaient un impact direct sur l'ambiance de travail au sein de l'entreprise, du département ou de l'équipe et par extension sur la performance de ceux-ci.
Ces études ont aussi permis de mettre en évidence que l'intelligence émotionnelle (QE) et l'intelligence cognitive / analytique (QI) contribuaient de la même manière à l'intelligence générale d'un individu (Bar-On, 2002). Il a été démontré que dans le contexte actuel, l'intelligence émotionnelle est aujourd'hui une compétence managériale indispensable à la performance individuelle et collective. Selon Christophe Haag, fils de la recherche en comportement organisationnel, l'intelligence émotionnelle consiste à « se mettre au même niveau que les autres », « se mettre à la place des gens pour pouvoir les convaincre, les motiver».
Professeur de Management & Comportement Organisationnel à EMLYON Business School et docteur en sciences de gestion, Christophe Haag [2] définit (à partir du modèle de Mayer et Salovey) l'intelligence émotionnelle à partir de 4 compétences : l'aptitude à collecter des informations dans l'environnement (présent dans le non verbal, signaux physiques...), la capacité à intégrer l'information émotionnelle dans la pensée (intégrer les émotions dans un cours par exemple), la facilité à comprendre la succession logique des émotions (passage d'un état émotionnel - de l'anxiété - à un autre - la panique) et enfin la capacité à réguler ses propres émotions et celle des autres (réussir à se détacher d'un état émotionnel).
Si l'on considère que l'intelligence émotionnelle est un principe indispensable au bon fonctionnement d'une équipe, tout recrutement devrait avoir pour but de rechercher des individus dotés des compétences émotionnelles nécessaires au pilotage et à l'animation d'une équipe. Dans ce cas les responsables de la Gestion des Ressources Humaines peuvent axer leur recrutement sur cette compétence et faire de ce critère une condition indispensable à une nouvelle embauche. Christophe Haag et Jacques Séguéla dans leur ouvrage «Génération Q.E. : Le quotient émotionnel, arme anticrise » présentent des exemples de tests simples qui peuvent être réalisés lors d'un entretien d'embauche pour évaluer la capacité émotionnelle d'un individu.
Il est important de souligner que l'apprentissage personnel en terme d'IE se base sur la volonté d'un individu de développer ou renforcer volontairement un aspect de ce qu'il est ou de ce qu'il veut être (Boyantzis, 1999). Ce type d'apprentissage part du principe qui si l'on pratique de nouvelles habitudes longtemps et régulièrement, elles feront ensuite partie de notre « nouveau moi ». Les formations à l'intelligence émotionnelle se font donc la plupart du temps de manière individuelle, la posture du formateur approchant celle d'un coach qui accompagne l'individu dans la définition de ses objectifs personnels et dans le dépassement de lui-même.
Le recrutement de personnes dotées de compétences émotionnelles n'est pas la seule manière de développer l'intelligence émotionnelle d'une organisation. Contrairement au Quotient Intellectuel, le Quotient Emotionnel se développe au cours du temps, il est donc possible de l'améliorer grâce à des formations, des programmes, une thérapie (Bar-On, 2002). La plupart de ces formations proposent aux stagiaires de tester leur intelligence émotionnelle à tout moment lors des sessions et prévoient des plans d'action à plus ou moins long terme afin de tester l'évolution de ces compétences dans le temps.
Par exemple, pour une formation de 2 à 4 jours, un travail préalable à partir d'un questionnaire permet de diagnostiquer le potentiel des participants et d'adapter le contenu pédagogique au profil des stagiaires. Tout au long de la formation, les stagiaires vont apprendre à définir l'intelligence émotionnelle, à comprendre leurs émotions et celles des personnes qui les entourent, ils réaliseront ensuite avec le formateur un plan d'actions sur les 6 mois qui suivront la formation afin de mettre en pratique leurs acquis au sein de leur organisation. Un point d'avancement peut être programmé après la séance de formation afin d'ajuster le plan d'action en fonction des « progrès émotionnels » du stagiaire. En effet l'IE d'un individu « se nourrit d'expériences émotionnelles : plus vous êtes stimulés par des expériences avec de fortes charges émotionnelles, plus votre cerveau va se reconfigurer, il va créer de nouveaux circuits neuronaux qui font que vous apprenez d'un point de vue émotionnel.».
Enfin, comme le précise C. Haag « le développement de compétences émotionnelles se passe plutôt à un niveau individuel, mais la somme d'individus intelligents émotionnellement rend l'entreprise intelligemment émotionnelle et permet la création d'un climat propice à la performance»: les entreprises devraient donc capitaliser sur ces formations notamment pour leurs équipes de managers afin que ceux-ci diffusent des méthodes, émotionnellement intelligentes, au sein de leurs équipes et créent ainsi une intelligence émotionnelle collective !
Dans le cadre plus précis du conseil et des projets de transformation, les compétences émotionnelles des différents intervenants prennent tout leur sens dans le cadre du processus de conduite du changement. L'enjeu d'une conduite du changement efficace réside dans la prise en compte des valeurs, de la culture, des résistances, au travers d'une démarche participative dont l'objectif est de permettre l'appropriation des "nouvelles règles du jeu" résultant du processus de changement.
Or, les individus sont naturellement réticents au changement. L'utilisation de l'IE permet de transformer une résistance en un moteur d'action, à travers la surprise : « Il faut accepter la surprise pour qu'elle se transforme en réaction, en action, il faut prendre en compte et collecter cette surprise pour apporter des solutions intéressantes à l'organisation ».
Un chef de projet émotionnellement compétent peut jouer sur la réussite d'un projet de transformation. A l'aide d'entretiens d'IE, de formations, d'ateliers avec les parties prenantes (équipes dirigeantes, responsables des différents chantiers, managers de proximité, ..), ou par l'intermédiaire de communautés de pratiques, le chef de projet peut mettre en place un échange permettant de travailler en amont sur la formulation du besoin et sur la projection et ainsi anticiper les réactions de tous les acteurs.
L'intervention d'un consultant/coach peut être intéressante pour travailler avec les clients sur la régulation de leurs émotions en les aidant à mettre des mots sur ce qui les inquiète, ce qui les stresse et « gagner ainsi en réactivité, en communication [...] il faut que les gens s'ouvrent pour que le changement fonctionne.» Un consultant doté d'un QE important est capable d'accompagner son client en tant que coach et l'aider à « [...] exprimer la juste émotion au bon moment, [...] extérioriser les émotions car elles viennent souvent accompagnées d'information ».
Ce travail de coaching prend tout son sens lorsque l'organisation doit surmonter des obstacles : mauvais résultats de l'entreprise, crise sociale, changement du comité de direction...mais il peut aussi être un facteur de compétitivité pour les organisations. Des chercheurs ont ainsi démontré que les entreprises les plus performantes étaient celles qui parvenaient à développer l'agilité et l'adaptabilité de leurs ressources humaines face aux changements rapides qu'impose une période riche en mutations économiques profondes, l'IE contribuant à cette adaptabilité. L'IE détermine notamment une part importante de la satisfaction au travail et joue sur l'implication des individus dans leur entreprise (Etude réalisée par Abraham en 2000 auprès de 121 représentants de service clientèle).[3]
En conclusion que ce soit pour asseoir la position des leaders en période de croissance ou en tant que levier d'action en période de crise, le développement des compétences émotionnelles des équipes est un bon pari pour l'avenir, un nouveau levier distinctif pour développer la performance collective, et ce, sur le long terme.
[1] Mayer, J. D., & Salovey, P. (2004). What is emotional intelligence?
[2] Christophe Haag & Jacques Séguéla auteurs du livre Génération Q.E. : Le quotient émotionnel, arme anticrise, Pearson Education
[3] Abraham, R. (2000). The role of job control as a moderator of emotional dissonance and emotional intelligence-outcome relationships »