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La découverte en 2009 et 2010 par Noble Energy de gisements de pétrole et du gaz dans le bassin du Levant a fait naître un nouveau pôle énergétique : celui de la Méditerranée orientale. D’après les données géologiques et sismiques, le Liban serait ainsi une région à haut potentiel.
L’année 2018 marque un tournant pour le secteur du pétrole et du gaz au Liban. Fin novembre 2018, à Londres, le ministre de l’Énergie libanais a fait la promotion du lancement, prévu début 2019, du deuxième round d’attribution de licences d’exploration et de production d’hydrocarbures offshore. Le lancement de cet appel d’offres fait suite à la signature le 9 février 2018 de deux accords d’exploration et de production des blocs 4 et 9 par le consortium formé par Total, Eni, Novatek et le gouvernement libanais. La découverte en 2009 et 2010 par Noble Energy de gisements de pétrole et du gaz dans le bassin du Levant a fait naître un nouveau pôle énergétique : celui de la Méditerranée orientale. D’après les données géologiques et sismiques, le Liban serait ainsi une région à haut potentiel. Les réserves gazières pourraient atteindre 25 000 milliards de pieds cubes et les ressources pétrolières 800 millions de barils.
D’une superficie de 83 000 km2, le bassin du Levant (Grèce, Turquie, Syrie, Liban, Israël, Egypte et Chypre) posséderait des réserves estimées par l’US Geological Survey à 1,7 milliard de barils de pétrole, et à 122 000 milliards de pieds cubes[i] de gaz naturel. Ces réserves représenteraient 5% des réserves de pétrole des Etats-Unis et 37% de ses réserves de gaz.
C’est en 2009 que le premier gisement d'importance, baptisé Tamar (champ gazier de 283 milliards de m3 découvert par le consortium israélo-américain Noble Energy-Delek en 2009, en production depuis 2013), a été découvert au large de Haïfa, en Israël. D'autres gisements ont ensuite été mis au jour dans la zone du bassin du Levant : Leviathan en Israël (champ gazier découvert en 2010 dont les réserves sont de l’ordre de 620 milliards de m3, production prévue fin 2019), Aphrodite à Chypre (champ gazier découvert en 2011 par Noble Energy dont les réserves sont estimées à 128 milliards de m3 de gaz) mais surtout Zohr, découvert en 2015 par Eni, au large de l'Égypte. Le champs Zohr constitue la plus grande découverte de gaz naturel jamais effectuée en Egypte et en Méditerranée : les réserves sont estimées à 850 milliards de m3 soit l’équivalent de 18 ans de consommation gazière en Égypte. Ce champ, mis en production en décembre 2017, produit à lui seul actuellement 1,131 milliard de pieds cubes de gaz par jour soit 1,15% de la production journalière américaine. L’Egypte pourra ainsi consacrer l’essentiel de cette nouvelle production à son marché domestique dont les besoins énergétiques ne cessent de croître et diminuer les importations de gaz naturel liquéfié. A terme, ce pays pourrait devenir exportateur de gaz naturel.
Le Liban s’avère être aussi une région à fort potentiel en termes de ressources en hydrocarbures : les réserves gazières pourraient atteindre 25 000 milliards de pieds cubes et les ressources pétrolières 800 millions de barils. Ainsi, le 9 février 2018, deux accords d’exploration et de production ont été signés par le consortium formé par Total, Eni, Novatek (Total, l’opérateur détient 40% de l’entité, Eni 40% et Novatek 20%) et le gouvernement libanais. Pour faciliter l’exploration de ces ressources, les eaux territoriales libanaises ont été divisées en 10 blocs d’après la nature géologique du terrain. Ces accords concernent les blocs 4 (1911 km²) et 9 (1742 km²). L’objectif est de forer au moins un puits par bloc dans les trois premières années et de débuter en priorité par le bloc 4 d’ici 2019.
Ces accords s’inscrivent dans la stratégie d’exploration de Total et Eni en Méditerranée. Indépendamment, les deux groupes participent déjà à plusieurs projets en Egypte. En effet, Total détient une participation dans le permis d'exploration du bloc 2 de North El Mahala onshore situé dans le delta du Nil. Eni a signé quant à lui en 2016 des accords avec les autorités égyptiennes pour l’exploitation de plusieurs sites offshore. Les deux groupes prennent aussi part à des projets communs : Total et Eni détiennent ainsi des participations dans le permis d’exploration du bloc 7 de North El Hammad offshore situé à une faible profondeur d’eau à l’ouest de Baltim en Egypte. Par ailleurs, au sud-ouest de Chypre, Total opère le bloc d'exploration 11 situé en offshore profond, bloc pour lequel Eni détient une participation. Total et Eni se sont de plus associés à Chypre pour explorer le bloc 6, appelé Calypso 1, ce qui a abouti à la découverte d’importantes réserves gazières en février 2018.
En faisant partie du consortium, Novatek, une des plus grandes compagnies gazières russes indépendantes, fait son entrée dans l’espace méditerranéen. Une première pour l’entreprise qui déploie la majorité de son activité en Russie.
Même si l'ampleur des gisements de l’Est méditerranéen n’est pas encore totalement déterminée, ceux-ci ravivent des différends entre les pays protagonistes. L'enjeu est crucial car grâce à cette manne, Chypre, l'Egypte, Israël et le Liban comptent gagner une certaine indépendance sur le plan énergétique voire exporter du gaz.
Le Liban et Israël contestent le tracé de la frontière de leurs eaux territoriales. Or, le bloc 9 longe cette frontière ce qui pose problème. Toutefois, il se situe à 25 km de la zone litigieuse ce qui, selon le consortium, n’affectera pas les opérations d’exploration.
A Chypre, la découverte de gaz est devenue un obstacle aux efforts de réunification. Pour mémoire, Chypre est divisée en deux depuis 1974 entre la République de Chypre, partie sud de l’île, et la partie nord occupée par la Turquie. L’exploitation du champ gazier Aphrodite découvert en 2011 se heurte ainsi à la situation géopolitique locale. La République de Chypre, membre de l'Union européenne, a signé ces dernières années des contrats d'exploration avec l'Italien Eni, le français Total et l'américain ExxonMobil. Cependant, les dirigeants de la partie turque de l’île souhaitent empêcher toute exploration s’ils ne sont pas partie prenante. Un navire de forage affrété par Eni bloqué en févier 2018 au large de Chypre par un navire militaire turc, a dû finalement quitter la zone.
Ces tensions illustrent l’évolution des stratégies mises en œuvre par les pays de l’Est de la Méditerranée depuis 2009. La découverte de gaz dans le bassin du Levant a ranimé les vieilles inimitiés et façonné de nouvelles alliances. Les acteurs impliqués s’emploient à identifier la meilleure route pour exporter leur gaz vers l’Europe. Avec moins de 2 % des réserves mondiales, le bassin du Levant n’est pas le bassin le plus riche mais l’emplacement stratégique de la Méditerranée affecte la géopolitique mondiale. Les compagnies gazières françaises, italiennes, américaines et russes font partie des principaux investisseurs dans les trois principales étapes de l’exploration, de la production et de l’exportation du gaz méditerranéen.
En 2017, la situation économique du Liban reste délicate. Malgré les 1,8% de croissance économique, la dette publique est très élevée dépassant 150% du PIB. Ce pays présente en conséquence le troisième plus important ratio dette publique/PIB du monde. Le déficit commercial atteint 16,76 milliards de dollars soit 32,5% du PIB. Par ailleurs, le Liban accueille plus d’un million de réfugiés syriens soit l’équivalent du quart de la population libanaise ce qui pèse sur le budget énergétique.
La signature des deux accords d’exploration et de production entraînera des retombées économiques avantageuses pour le Liban, grâce à la perception de nouveaux revenus d’une part et la réduction de sa facture énergétique d’autre part.
En effet, l’Etat libanais doit percevoir trois types de recettes du fait de l’exploitation des hydrocarbures. Tout d’abord, les royalties payées par les compagnies pétrolières du consortium. Pour le gaz naturel la redevance due correspond à 4% de la production moyenne; pour le pétrole, la redevance s’échelonne par palier entre 5% et 12% du volume moyen de barils de pétrole produit par jour. Ensuite, il perçoit l’impôt sur les bénéfices payé par les compagnies pétrolières ainsi que d’autres taxes en vigueur sur son territoire telles que la TVA. Et enfin, une part variable des hydrocarbures de profit (hydrocarbures disponibles restants après avoir soustrait les hydrocarbures permettant de rembourser les coûts engagés dans l’exploration et l’exploitation des blocs) lui revient. Cette part dépend d’un facteur R qui correspond au rapport des cash flow cumulés sur les dépenses d’investissements cumulées. Si les dépenses d’investissement sont plus élevées que les profits réalisés, l’Etat libanais percevra 30% des hydrocarbures de profit et le consortium 70%. A l’opposé, si les profits réalisés sont 2,5 fois supérieurs aux coûts d’investissement, la répartition sera en faveur de l’Etat libanais qui percevra 55% des hydrocarbures de profit.Selon la Section Economique Commerciale de l’Ambassade de Belgique à Beyrouth qui reprend les chiffres d’une banque libanaise, les revenus liés à l’exploitation des ressources d’hydrocarbures s’élèveraient annuellement à une moyenne de 8,2 milliards de dollars pour le gaz naturel et plus de 4,5 milliards de dollars pour le pétrole pendant 20 ans. Dès la première année de production, le PIB du Liban devrait augmenter puisque l’exploration et la production d’hydrocarbures dynamisera les entreprises locales. Les recettes liées à la production pétrolière permettront de rembourser plus facilement la dette nationale.
Alors que sa production électrique est totalement dépendante d’énergies fossiles importées, le Liban aspire à diminuer sa facture énergétique. En 2017, les importations de produits pétroliers ont représenté 22% du total des importations de biens du Liban soit 4,31 milliards de dollars sur un total de 19,6 milliards de dollars. La production d’électricité est fortement dépendante du pétrole : 97,4% des 18 396 GWh d’électricité produits l’étaient à partir de pétrole en 2015. En dédiant une part de la production au marché domestique, le Liban souhaite diminuer ses importations qui pèsent sur sa balance commerciale.
Ces nouvelles activités d’exploitation pourraient également permettre au Liban d’améliorer le rendement de sa production d’électricité. Deux centrales qui normalement devraient fonctionner au gaz naturel utilisent du fioul ce qui explique un rendement inférieur à leur capacité et nécessite des révisions périodiques des installations. Au final l’offre est faible par rapport à la demande : 1530 MW offerts, 3100 MW demandés en 2016. L’arrivée des réfugiés syriens depuis le début de la guerre civile a accru la demande ce qui constitue un fardeau supplémentaire pour les réseaux de transmission et de distribution. Plus de 28 ans après la fin de la guerre civile, les citoyens libanais sont donc toujours victimes de pénuries de courant. En mars 2017, le nouveau ministre de l’Energie et de l’Eau a présenté cinq axes pour augmenter la production d’électricité à partir de l’été 2017 incluant le développement des énergies renouvelables et l’exploitation de cinq des dix blocs de la ZEE du Liban, pour pallier aux pénuries et diminuer l’empreinte environnementale du secteur. Dès que la production de gaz commencera, L’Electricité du Liban (EDL), établissement public contrôlant 90% des activités de production, de transport et de distribution d’électricité du pays, pourra alimenter les centrales au gaz existantes par du gaz naturel et non par du fioul. Cette bascule de combustible permettra à la fois d’augmenter le rendement de ces infrastructures et de diminuer l’impact environnemental. Elle pourrait également permettre de rétablir l’équilibre offre/demande d’électricité, entraînant une disparition de pénuries de courant.
La production d’hydrocarbures pourrait enfin être à l’origine d’exportation de gaz naturel qui serait soit acheminé par l’Arab Gas Pipeline, soit liquéfié. L’Europe, la Turquie, l’Egypte, la Jordanie et la Syrie pourraient devenir des clients potentiels d’autant que ces pays souhaitent diversifier leurs ressources énergétiques. Les recettes d’exportation du Liban pourraient être réinvesties dans les infrastructures énergétiques dont la majorité, actuellement délabrée, nécessite une réhabilitation complète. Par ailleurs, l’effet de ruissellement pourrait aussi concerner d’autres secteurs tels que le traitement des déchets urbains et la gestion des ressources hydrauliques. Le Liban présentera alors les caractéristiques requises accueillir des Investissements Directs Etrangers.
La production d’hydrocarbures au Liban est à l’origine d’un cercle vertueux pour l’économie de ce pays. Toutefois, ne va-t-elle pas remettre en cause les engagements du gouvernement libanais, adoptés suite à la COP21 quant à une réduction de 15% à 30% des émissions de CO2 d’ici 2030 ? Pour diminuer les externalités négatives, le Liban demande aux entreprises exploitant leurs ressources d’hydrocarbures de respecter les normes environnementales qu’il a établies.