La reconversion, parent pauvre des politiques d…
Produire autant d'électricité renouvelable qu'elle en consomme : tel est l'objectif pour le moins ambitieux que l'Ecosse s'est fixé à l'horizon 2020[1].
Cette ambition n'a toutefois rien d'utopique. La cible de production renouvelable pour 2020 n'a cessé d'être revue à la hausse : de 40% de la consommation en 2005, elle a été rehaussée à 50% en 2007 puis à 100% en 2011.
Pourquoi l'Ecosse s'est-elle positionnée comme véritable pionnier des énergies renouvelables, alors même qu'elle est l'une des nations les plus riches d'Europe en énergies fossiles[2] ? Comment le gouvernement écossais a-t-il mis en oeuvre un cadre susceptible de favoriser leur essor ?
Les façades maritimes de l'Ecosse lui promettent un avenir de géant des énergies marines, avec 25% des ressources de l'UE dans l'hydrolien et un fort potentiel houlomoteur[3]. Grâce à des vents d'une régularité exceptionnelle, qui permettent à certains parcs d'atteindre des rendements de 40% contre 25% en moyenne dans le reste de l'UE, les côtes et les highlands pourraient par ailleurs fournir 45 TWh/an onshore et 82 TWh/an offshore. Les reliefs ont permis, dans les années 50, d'exploiter une bonne partie du potentiel hydroélectrique : néanmoins 1,2 GW pourrait encore être installé sous forme de petites centrales ou de micro-génération.
Avec un total évalué à plus de 60 GW (voire 100 GW selon les études[4]), l'Ecosse dispose d'un potentiel renouvelable hors du commun, alors même qu'elle accueille moins de 1% de la population européenne. Un tel puits d'énergie verte sur leur territoire ne pouvait qu'engendrer de fortes ambitions.
Poussé par la volonté d'agir face au pic pétrolier et au changement climatique, le gouvernement écossais s'est engagé dès 2007 dans la transition énergétique, avec la vision d'une Ecosse sobre en carbone et riche en énergies renouvelables. L'objectif martelé par le premier ministre Alex Salmond est clair : « produire le double des besoins en électricité de l'Ecosse dont un peu plus de la moitié à partir de ressources renouvelables », « exporter ainsi autant d'électricité que nous en consommons » et « consolider notre rang de leader des énergies vertes en Europe. » Depuis, ce message n'a jamais changé, apportant aux investisseurs une stabilité qu'ils apprécient grandement et qui constitue un facteur déterminant pour leur engagement[5].
Cette volonté politique affirmée s'est traduite par un ensemble conséquent de mesures et de trajectoires, à l'instar du Scottish Renewables Action Plan ou de l'établissement d'un Scottish Energy Advisory Board visant à faire travailler les ministres et les acteurs du secteur de l'énergie main dans la main. Au niveau législatif, le gouvernement écossais n'hésite pas à mettre en place un cadre plus ambitieux que celui proposé par le gouvernement central, ni à affirmer son désaccord sur un certain nombre de positions. L'objectif retenu dans le Climate Change Scotland Act 2008 est ainsi de 90% de réduction des émissions de CO2 au lieu de 80%, et le système de soutien actuel sera maintenu jusqu'en 2017 en Ecosse alors qu'il sera revu en 2014 dans le reste du Royaume Uni.
Parmi les paquets législatifs hérités du gouvernement central et adaptés se trouve celui de la « Renewables Obligation », introduit dès 2002 afin de pousser les fournisseurs d'électricité à s'approvisionner à des sources renouvelables, en usant à la fois de la carotte et du bâton.
Chaque année, les fournisseurs d'électricité ont pour obligation de fournir une certaine proportion d'électricité renouvelable, augmentant au fil du temps (3% de l'électricité vendue en 2002, 11,1% en 2010, 15,4% en 2015...) et matérialisée par des certificats appelés ROCs (Renewables Obligation Certificates). Les fournisseurs doivent acquérir ces ROCS auprès des producteurs d'électricité et les présenter à l'OFGEM[6], autorité régulatrice du marché du gaz et de l'électricité en Grande Bretagne. A la fin de l'année, les fournisseurs ne disposant pas de suffisamment de ROCs sont condamnés à payer des pénalités ; le montant de celles-ci est ensuite reversé à l'ensemble des fournisseurs, proportionnellement aux nombres de ROCs détenus. Les fournisseurs vertueux se trouvent alors doublement favorisés par l'absence de pénalité et le versement d'une récompense d'autant plus importante que leur engagement est fort.
Une particularité du système, destinée à favoriser l'émergence de nouvelles technologies, est que le nombre de ROCs émis par MWh d'énergie renouvelable dépend de la technologie employée : l'éolien onshore bénéficiera de seulement 0,9 ROCs par MWh, contre 5 pour l'hydrolien. Ces coefficients ont d'ailleurs été spécifiquement modifiés en Ecosse pour permettre une montée en puissance des énergies marines.
Le gouvernement a en parallèle oeuvré sur l'un des points les plus épineux pour la mise en oeuvre de ces énergies marines : la législation encadrant les activités maritimes, très contraignante, a été adaptée en 2009 avec le Marine Scotland Act. Celui-ci propose un nouveau système de planification et de gouvernance, et vise à simplifier l'attribution des autorisations tout en améliorant la protection du milieu marin et en renforçant les autorités de contrôle.
La définition d'un nouveau cadre de régulation des prix du réseau a été confiée à l'OFGEM, avec pour objectif d'accompagner les bouleversements induits par l'essor des renouvelables, partout au Royaume Uni et plus spécifiquement en Ecosse.
Ce nouveau système, appelé RIIO[7] prévoit d'inciter les entreprises du secteur à innover et à améliorer leur gestion du réseau, tout en répondant aux besoins des utilisateurs et des consommateurs. Il met ainsi en place des prix contrôlés sur une période plus longue (8 ans), mais prévoit qu'ils puissent être revus plus tôt pour les entreprises vertueuses, et propose des mesures incitatives et des pénalités basées sur des indicateurs objectifs (satisfaction client, sécurité et disponibilité du réseau, impact environnementaux...).
RIIO devrait permettre, d'après les estimations, d'économiser 1 milliard de Livres sur les adaptations du réseau nécessaires, mais l'impact sur les factures des consommateurs restera lourd, avec une augmentation de 14 à 25%.
Le résultat est spectaculaire : en moins de 10 ans, la production d'énergies renouvelables en Ecosse a triplé, preuve que les gouvernements britanniques et écossais ont su créer un cadre propice à leur développement.
Toutes les conditions semblent aujourd'hui réunies pour que l'objectif des 100% en 2020 soit tenu, tandis que la France peinera de son côté à atteindre 23%. Alors que le débat national sur la transition énergétique est en cours, il est encore temps de tirer quelques enseignements de l'exemple écossais.
Tout d'abord, un signal politique clair, porteur d'un engagement fort et durable, ainsi qu'une vision long terme immuable sont absolument indispensables pour rassurer les investisseurs. L'heure ne peut donc plus être aux tergiversations et aux demi-mesures.
Le moment où les décisions sont prises est, lui aussi, important. Aménagements du cadre législatif, mise en place de mécanismes d'encadrement et lancements d'appels d'offres doivent être effectués le plus tôt possible pour permettre aux acteurs de s'organiser et de disposer d'avantages compétitifs face à une concurrence qui s'annonce féroce.
Enfin, au vu de la réussite du système des ROCs, il est permis de s'interroger sur le pouvoir incitatif des tarifs d'achat, qui offrent une sécurité aux producteurs mais n'impliquent pas autant les fournisseurs.
L'urgence d'une réaction est toute particulière dans le domaine des énergies marines, où il est très probable que l'avance déjà prise par l'Ecosse dans l'hydrolien se transforme en domination industrielle. C'est en tout cas l'objectif poursuivi par le gouvernement écossais, et qui pourrait conduire à la création d'un bassin de 130 000 emplois.
« De la même manière que nos chantiers navals étaient l'atelier du monde à la fin du XIXe siècle, la révolution de l'énergie verte nous donne l'opportunité de devenir l'atelier mondial de la haute technologie du XXIe siècle. » Une réussite qui semble bien à portée de l'Ecosse, mais qui ne devrait pas lui être abandonnée sans combattre.
(2) L'Ecosse détient 62.4% des réserves de pétrole et 12.5% des réserves de gaz de l'UE.
(3) L'énergie houlomotrice est tirée de la force des vagues, par opposition à l'énergie hydrolienne issue des courants sous-marins.
(4) Renewable and low carbon energy
(6) Office of Gas and Electricity Markets
(7) « Revenue = Incentives + Innovation + Outputs », décliné pour le transport (RIIO-T1, avril 2013) et la distribution (RIIO-ED1 pour 2015)