La reconversion, parent pauvre des politiques d…
Dans un contexte de gestion des ressources, l’agriculture relève aujourd’hui de nombreux enjeux réglementaires, économiques et environnementaux.
Selon l'Organisation des Nations Unies pour l'Alimentation et l'Agriculture (connue sous les sigles d’ONUAA ou de FAO), les agriculteurs devront produire 70% de denrées alimentaires en plus à l’horizon 2050 pour répondre à une croissance exponentielle de la population mondiale et faire face à la raréfaction des ressources naturelles et aux contraintes environnementales. Dans ces conditions, les agriculteurs doivent accroitre leur production et tendent à converger vers de nouveaux modes de travail, tels que l’utilisation d’automates ou l’analyse de l’état des cultures grâce à des capteurs sensoriels connectés.
Face à ces défis, comment les agriculteurs peuvent-ils répondre aux besoins des consommateurs ? L’intégration de l’Agriculture 4.0 pourrait-elle accompagner la reconfiguration des filières agricoles européennes à l’ère du numérique ?
Depuis le dix-huitième siècle, l’agriculture a su se développer sous différentes formes avec à titre d’exemple le développement des cheptels et l’accentuation du drainage au fil de plusieurs transformations : la révolution verte, la révolution fourragère ou encore la troisième révolution industrielle, symbolisant l’avènement de la technique culturale simplifiée et des OGM. Ces différents progrès ont permis aux agriculteurs de mieux maitriser leurs performances économiques et leurs gestions de terrains.
Aujourd’hui, le nouveau modèle agricole porte le nom d’« Agriculture 4.0 », par analogie à la quatrième révolution industrielle communément appelée « Industrie 4.0 » qui accompagne les transformations organisationnelles par le biais de technologies digitales telles que l’Intelligence Artificielle (IA), la Blockchain ou encore l’Internet Of Things (IoT) [i]. Également appelée Internet des Objets, cette dernière technologie regroupe l’ensemble des objets connectés par réseau ou par satellite qui échangent entre eux et avec des plateformes informatiques pour automatiser certaines tâches ou pour remonter des flux de données [ii].
L’ « Agriculture 4.0 » développe de nouveaux modes de fonctionnement qui transforment l’ensemble de l’écosystème agricole « traditionnel » sur la base des dernières technologies digitales : ferme connectée, nouveaux équipements de production, machines agricoles connectées, ... Cette révolution agricole mène les agriculteurs à adopter de nouvelles pratiques de mobilité, de coopération et d’open innovation dans le but d’améliorer la productivité, la qualité ainsi que la protection environnementale.
L’émergence de l’IoT est liée au développement des réseaux de connectivité longue portée LPWAN (Low Power Wide Area Network). Ces technologies de télécommunication ont été développées pour répondre aux besoins et contraintes propres à l’IoT. Les grands industriels derrière ces technologies tels que Sigfox et Semtech ont en effet imaginé ces technologies en comprenant que des besoins latents (comme celui de capteurs peu consommateurs en énergie) n’étaient pas couverts et ne pourraient l’être par les technologies cellulaires longue portée classiques (2G/3G/4G)[iii]. Ainsi, les réseaux LPWAN présentent les propriétés suivantes :
Les cas d’usages IoT présentent des besoins très variés pour les technologies de connectivité à l’inverse des réseaux cellulaires. Grâce à leurs intérêts économique et pratique (faible consommation d’énergie), les réseaux LPWAN connaissent aujourd’hui un développement important et visent à couvrir à long terme les besoins jusque-là non couverts par les technologies cellulaires.
Les objets connectés restructurent aujourd’hui l’ensemble de la chaîne de valeur agricole. Ils permettent la prédiction et la prévention de crises sans même la présence physique de l’agriculteur au sein de ses cultures. En parallèle des développements technologiques, l’évolution de la conception électronique permet aujourd’hui de s’équiper de nouveaux capteurs sensoriels plus petits, plus performants, plus sécurisés et moins chers. Les données collectées par ces capteurs sont stockées dans des clouds accessibles en temps réel par les agriculteurs et permettent de développer une agriculture digitalisée, bien instrumentée et précise qui apporte les bonnes doses d’intrants (engrais, pesticides, ...) [iv] au moindre coût.
Présents sous différentes formes, les objets connectés permettent le pilotage du parc agricole à distance, la collecte d’informations dans des zones géographiques étendues mais aussi l’aménagement d’environnements contrôlés et intelligents :
La localisation GPS et la connectivité IoT permettent d’optimiser l’utilisation des tracteurs agricoles et l’assistance de l’exploitant. Ceci peut se traduire par le traitement du sol, la réduction de la consommation de carburant ou encore l’optimisation des chemins à parcourir. C’est le travail réalisé par le robot de binage des cultures maraîchères « Oz » développé par la start-up toulousaine Naïo Technologies, spécialisée en robotique agricole. Celui-ci permet à l’agriculteur de désherber et biner ses cultures à distance, et ainsi d’économiser de la main d’œuvre et des ressources tout améliorant la productivité. Ceci a également permis le lancement du modèle « Dino », dédié à de plus grandes exploitations et avec des performances agricoles bien plus élevées.
En plus des aéronefs de travail agricole, les drones font partie intégrante de l’agriculture connectée [v]. Lors des survols de cultures agricoles, ils sont pilotés afin de gérer diverses activités, telles que le suivi de la qualité du sol, la gestion de l’élevage, la cartographie, l’épandage, l’irrigation et la plantation régulée. Plus flexibles et moins coûteux que les hélicoptères, les drones récoltent aujourd’hui un grand nombre d’informations permettant une gestion cadrée et supervisée des cultures. Parrot, entreprise de conception d’appareils électroniques dont des objets connectés, a notamment développé un drone agricole qui, en plus des activités de supervision et d’analyse de l’environnement, est capable de cartographier une terre de 30 hectares en seulement 25 minutes [vi].
La collecte des données passe principalement par des capteurs sensoriels qui mesurent l’état de la production et qui remontent des flux d’informations via une plateforme IoT digitale (température, humidité, qualité du sol, présence d’insectes, niveaux d’irrigation, …). Ces capteurs peuvent être déployés directement dans les cultures ou servent à instrumenter les équipements agricoles existants (drones, tracteurs, rotoculteurs, cultivateurs).
Les objets connectés contribuent également à la réduction de l’intervention humaine dans les cultures. Les capteurs sensoriels permettent de contrôler à distance les conditions climatiques et les débits d’irrigation, donnant naissance à des serres autonomes et intelligentes. Dans cet environnement, certaines tâches s’exécutent automatiquement et permettent à l’agriculteur de se focaliser sur des tâches à plus forte valeur ajoutée.
Ces différentes technologies sont complémentaires au travers des apports métier au secteur agricole, notamment :
Avec l’intégration des technologies IoT, la chaine de valeur agricole compte de nouveaux entrants dans le marché : des fournisseurs de matériels, des opérateurs LPWAN, des fonctions supports émergentes ainsi que des nouveaux profils « agripreneurs » qui, de par leur esprit entrepreneurial et innovateur, sont chargés de la production agricole mais également de la gestion opérationnelle et financière de leur parc. Dans un contexte concurrentiel, ces changements poussent les constructeurs et fournisseurs de matériels à proposer de nouvelles offres de marché et à développer des services innovants et connectés (management interne des cultures pour les agriculteurs et prestations B2C). Autour des activités GPS, l’entreprise Trimble, leader dans le géopositionnement satellitaire, a développé une large gamme d’offres à destination des agriculteurs, allant du monitoring des terres au guidage automatique des véhicules agricoles. D’autres acteurs spécialisés dans la transformation digitale ont aussi intégré ce marché ; c’est le cas d’IBM qui, en s’alliant au célèbre fabriquant de machinerie agricole John Deere, a créé une nouvelle génération de tracteurs connectés incluant un système de gestion par l’agriculteur de ses cultures[vii]. De plus, cette alliance « matériel-digital » induit l’optimisation des ressources en R&D, qui permet aujourd’hui des développements plus innovants, notamment la mise en place d’une maintenance cognitive intégrée aux tracteurs ou encore le contrôle par commandes vocales par le biais d’une intelligence artificielle.
Pour accompagner cette digitalisation, la régulation du marché est au centre des intérêts agricoles avec plusieurs instances, telles que les plateformes Climate Corp et Farmers Business Network qui accompagnent la structuration des modèles émergents[viii]. Leurs réalisations peuvent prendre la forme de plateformes numériques sécurisées, de chartes de confidentialité et de sécurité des données, ou encore d’un label de production « data transparent ».
Aujourd’hui, les technologies agricoles se développent très rapidement comparées aux avancées de connectivité réseau. Dans cette perspective, l’intégration des technologies digitales aux équipements agricoles existants est primordiale afin de lisser les investissements dans les matériels et dans les services de télécommunications et de tirer profit au maximum des machines existantes. Or, l’attention se porte notamment aujourd’hui sur les sujets de la couverture réseau et des infrastructures en cohérence avec les flux des données partagées. En effet, malgré un marché en pleine expansion, l’intermittence de la connectivité réseau dans les zones rurales demeure un frein majeur pour les technologies de télécommunication longue portée [ix]. Avec des stratégies de déploiement et de fourniture réseau B2C, les réseaux de communication mobile sont bien développés en zones urbaines, aux dépens des zones rurales : en Europe, la couverture des réseaux sans fil dans les zones rurales n’atteint que les 40%. Une modernisation des infrastructures de télécommunication est très attendue aujourd’hui dans les zones rurales pour optimiser les échanges de données de ces équipements connectés.
Face à ces contraintes, la digitalisation de l’agriculture nécessitera une bonne appropriation des environnements culturel, éducationnel, économique et politique afin de faciliter l’ensemble de la gestion opérationnelle de l’écosystème.
Une analyse de Taha Arsalane.
[i] FAO, 2019, « Digital technologies in agriculture and rural areas »
[ii] Commission européenne, Juillet 2017, « Industry 4.0 in agriculture: Focus on IoT aspects »
[iii] Sia Partners, Formation « Smart Meters », Octobre 2019
[iv] Euractiv, 2016, « Farming 4.0: the future of agriculture? »
[v] Iotworldcongress.com, « IoT transforming the future of agriculture »
[vi] Article « Les Echos », Septembre 2018, « Quand les GPS vont aux champs »
[vii] World Industrial Reporter, Avril 2016, «John Deere and IBM Pilot to create a futuristic model for manufacturing »
[viii] Centre d’Études et de Prospectives Stratégiques, Juillet 2019, « Information, knowledge, innovation: the other side of food system globalization »
[ix] 365FarmNet, Janvier 2017, «Agriculture 4.0 – ensuring connectivity of agricultural equipment»