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En 2018, un tiers des 250 premières entreprises de l’énergie du classement Platts ont publiquement communiqué sur leur implication dans au moins un projet blockchain. Ce chiffre avoisinait encore zéro il y a près de deux ans. Quelles sont donc les initiatives qui ont émergé ?
Sia Partners a analysé, sur la base des données publiques, les initiatives des principaux utilities dans le monde. Le panel rassemble les 250 plus grandes entreprises du secteur de l’énergie et de l’environnement (classement Platts de 2017) auxquelles nous avons adjoint une cinquantaine d’entreprises de l’énergie identifiées comme actives dans le secteur de la blockchain (projets blockchain, participation à des consortiums et association à des startups blockchain). Au final, ce sont les données publiques d’un échantillon de 300 entreprises dans le monde qui ont été analysées. En voici les premiers résultats.
Du très médiatisé projet Microgrid Brooklyn de LO3 Energy en 2015 aux différentes initiatives de Powerledger ou Ponton, le premier contact du secteur de l’énergie et de la technologie s’est fait sans les grandes utilities. De nombreuses startups ont initié l’exploration des possibilités bien avant l’engouement des majors comme Engie ou EDF qui lancent des premiers tests en 2016. L’intérêt croissant des énergéticiens s’est traduit en 2017 avec une croissance de +600% du nombre d’initiatives sur un an. Elle reste très soutenue en 2018. Au total, nous recensons plus de 90 initiatives uniques impliquant des utilities avec des niveaux de maturité différents et une grande variété de cas d’usage.
Après avoir bousculé le secteur bancaire, la technologie blockchain s’est donc installée dans le domaine de l’énergie même si l’approche reste quelque peu différente. Les utilities testent d’abord individuellement la technologie sur des petites initiatives et encore peu de projets communs sont développés. Le décollage blockchain du secteur de l’énergie est également plus tardif avec 2 à 3 ans de retard sur le secteur de la banque.
Alors véritable retard à l’innovation ou simple défiance vis-à-vis d’une technologie susceptible de se substituer à leur rôle de tiers ? Les utilities ont en effet été d’abord réticentes à cette nouvelle solution décentralisée. Elles ont ainsi tardé à investir dans de tels projets, du fait d’une technologie encore trop peu mature et de la difficulté à trouver des cas d’usage pertinents. Une écrasante majorité des applications en sont ainsi encore à un stade expérimental visant à déterminer la viabilité d’une application blockchain.
Vu du prisme des utilities, les principaux cas d’usage testés se portent sur le réseau électrique où la blockchain apporte une plus grande flexibilité. Deux cas d’usage se détachent, les plateformes de certification (en particulier « d’énergies vertes ») et les solutions de trading P2P. Ces dernières représentent même 32% des projets identifiés avec une forte démultiplication en 2018. Vitrine des solutions blockchain énergie, ces échanges P2P d’énergie se rapprochent fortement de la volonté de désintermédiation de la blockchain et en font une application logique. Mais alors pourquoi les utilities encourageraient ce type de projet ? D’une part, elles acquièrent une maitrise de la technologie et ainsi ne se laissent pas distancer par de nouveaux acteurs entrants. D’autre part, ce cas d’usage demande de gérer des flux physiques et des installations techniques que seules les utilities maitrisent. Leur implication dans les différents projets, tout comme pour la certification -en deuxième position avec 17% des projets-, est cruciale pour apporter de la légitimité et une véritable stabilité des flux physiques subséquents.
En amont de ce type de solution, la blockchain est également employée par les utilities entre eux au sein de plateforme d’énergie en B2B comme Enerchain ou Wien Energy. Elles représentent près de 9% des projets. Ce chiffre peut sembler faible mais traduit une volonté autre : ces projets visent à grossir en termes de nombres d’acteurs et non à se démultiplier afin d’aboutir à une place de marché liquide. Les utilities y conservent ainsi leur rôle ; ce sont les acteurs intermédiaires qui disparaissent fluidifiant les échanges et réduisant les coûts des transactions.
Enfin les projets d’automatisation représentent un total de 22% des initiatives. Ils ne sont pas nécessairement spécifiques à l’énergie, comme par exemple les processus de facturation automatique, mais essentiels pour le secteur et facilement duplicables. Ces projets ci seront plus transparents pour les clients et optimiseront les processus internes des utilities. Le but recherché tient alors plus de l’amélioration des temps de traitement et une réduction des coûts pour l’entreprise que de nouveaux usages énergétiques.
Cette analyse reste à nuancer du fait de la méthodologie employée. Bien que le trading P2P semble largement dominer les initiatives actuelles des leaders de l’énergie, il est clair que l’application aux réseaux microgrid est à la fois compréhensible par le grand public et associe plusieurs tendances du moment (smart grid, production décentralisée et énergie renouvelable). Les entreprises communiquent plus aisément dessus en vue de construire une image innovante autour de leur marque et de l’associer au terme blockchain. Chaque projet est donc rendu public et un acteur peut avoir plusieurs initiatives de ce type en opposition aux plateformes B2B. A ce stade, aucun cas d’usage ne semble finalement s’imposer totalement.
Les technologies blockchain s’annoncent prometteuses pour répondre aux enjeux de décarbonisation, décentralisation, digitalisation et démocratisation de la transition énergétique. Cependant, plusieurs défis se présentent aux utilities en vue d’une adoption grande échelle de cette technologie de rupture :
Pour surmonter le gap technologique et entrer dans une phase d’industrialisation des projets blockchain, les utilities ont fait le choix de se regrouper en alliances. En effet, coopération et co-création s’avèrent être des facteurs clés de succès afin d’accélérer leur montée en compétence et mutualiser les efforts de développement de solutions techniques. Ainsi, dès sa création en 2017, l’Energy Web Foundation s’est rapidement imposée comme le consortium de référence pour le secteur énergétique. Aujourd’hui, ce sont plus de 50 membres – environ 60% d’utilities et 40% d’entreprises technologiques – qui s’organisent en communautés autour d’une plateforme blockchain open-source. Nommée Tobalaba, cette blockchain de consortium cherche la performance (jusqu’à 750 transactions/s) et la gestion de la confidentialité (« secret transactions »). Avec sa roadmap ambitieuse, la fondation à but non lucratif incite l’alignement d’initiatives blockchain actuellement dispersées dans le secteur de l'énergie : après avoir testé Ethereum et/ou développé leur propre système décentralisé, certains projets testent ou migrent vers la blockchain EWF basée sur une preuve d’autorité. C’est le cas notamment pour les projets Share & Charge et Electron qui regroupent chacun plusieurs grands utilities européens. Elle reste toutefois encore à une phase expérimentale. Le bloc « genesis » est prévu pour le deuxième trimestre 2019.
L’écosystème blockchain énergie est donc aujourd’hui à la transition entre une première phase d’exploration et une phase d’accélération des développements de POCs. Les premiers ROI se font encore attendre et conditionneront le passage à un déploiement grande échelle. Quels seront finalement les cas d’usage retenus par les utilities ? Les cas actuels identifiés nous donnent une indication pertinente mais ils semblent être encore trop tôt pour tirer des conclusions. Les évolutions de la technologie en particulier les projets spécifiques aux consortia auront également un fort poids sur les projets qui émergeront. Autant de sujets qui laissent le champ ouvert aux entreprises et promettent un futur passionnant à la blockchain dans le domaine de l’énergie !
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