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Propositions de loi Sapin III et protection des lanceurs d’alertes : le cadre français se renforce

Depuis son entrée en vigueur en 2017, la loi Sapin II porte la législation française aux meilleurs standards européens et internationaux en matière de lutte contre la corruption. Cependant, sa réussite ne saurait éclipser ses besoins d’évolutions pour répondre aux nombreux enjeux actuels.

Vers une évolution de la loi Sapin II

Le 19 octobre 2021, une proposition de loi très attendue visant à amender la loi Sapin II du 9 décembre 2016, a été déposée.

Trois éléments majeurs sont à retenir de cette proposition, qui reprend les recommandations du rapport d’évaluation de la loi Sapin II (cf. la section ci-dessous “Pour aller + loin”) :

  1. Les évolutions proposées ne remettent pas en cause les fondamentaux de la loi Sapin II (i.e. les 8 grandes mesures de conformité).
  2. Le critère géographique d’assujettissement des entreprises privées serait fortement étendu, dans une logique d’extraterritorialité de la loi : le critère de localisation en France du siège social de la société mère serait supprimé.
  3. La proposition inclut désormais les acteurs publics et précise le rôle de la HATVP dans le contrôle de ces acteurs en matière de lutte anticorruption. De son côté l’AFA conserverait son rôle de conseil et de contrôle des acteurs économiques.

Dans l’ensemble, les évolutions proposées ne viennent pas modifier les fondamentaux de la loi Sapin II. Ainsi, les dispositifs de conformité Sapin II actuellement en place dans les entités soumises peuvent perdurer et se renforcer, sans remise en cause ou incertitude législative.

Les évolutions réglementaires proposées par la loi dite Sapin 3

Nous vous proposons ci-dessous une synthèse des évolutions proposées, par typologie d’acteur.

  • Suppression du critère de localisation en France du siège social de la société mère : seraient désormais soumises les filiales de groupes étrangers établies en France dès lors que la société mère dépasse les seuils prévus par la loi (100M € CA / 500 salariés) ;
  • Renforcement de la CJIP : la proposition ajouterait le délit de favoritisme au périmètre des CJIP, avec la possibilité de nommer un mandataire ou un comité de représentation de l'entreprise pouvant conduire l'enquête interne ;
  • Enquêtes internes : la proposition viendrait créer un titre dédié aux enquêtes internes dans le code de procédure pénale (livre IV), renforçant ainsi les droits de la personne physique au cours de l'enquête (conséquence à anticiper : une éventuelle revue de votre procédure d’enquêtes internes en place).
  • Transfert des fonctions de conseil et de contrôle de l'AFA à la HATVP pour les acteurs publics (administrations publiques, collectivités territoriales et établissements publics) ;
  • Création d'une commission des sanctions au sein de la HATVP (6 personnes) pouvant prononcer à l’encontre du représentant d’intérêts une sanction pécuniaire allant jusqu'à 4% du CA annuel mondial total de l’exercice précédent, ou 50% des dépenses engagées ;
  • Désignation par la loi des responsables de conformité pour les acteurs publics par catégorie d'acteurs (administrations, collectivités et établissements publics) ;
  • Obligation pour ces responsables désignés de prendre et de mettre en œuvre des mesures de conformité sur le modèle des 8 mesures de l’article 17 de la loi Sapin II (étendue exacte à préciser) ;
  • Obligation de fournir un rapport de conformité annuel qui pourra être publié par la HATVP ;
  • Déclaration HATVP biannuelle et non plus annuelle ;
  • Modification du code général des collectivités territoriales : obligation de préparation d’un rapport spécial relatif aux mesures anticorruption et débat en séance.

Ainsi, la proposition de loi aboutirait à la création d’un cadre légal de lutte anticorruption “à deux têtes”, avec des responsabilités et des contrôles partagés entre l’AFA et la HATVP.

Une collaboration entre les deux entités sera plus que nécessaire, afin d’apporter une cohérence et une efficacité dans les recommandations, les investigations et les sanctions, dans le même objectif que les protocoles de coopération signés entre l’AFA et des autorités comme l’AMF ou le PNF ; dans une logique globale d’unité dans l’approche de la conformité française.

Un renforcement du cadre pour la protection des lanceuses et lanceurs d’alertes

Par ailleurs, une proposition de loi a également été déposée le 21 juillet 2021 visant à l’amélioration de la protection des lanceuses et lanceurs d’alertes, l’une des 8 mesures de la loi Sapin II. Cette proposition de loi vise à transposer la Directive européenne adoptée en 2019, qui laissait aux Etats membres  jusqu’à la fin de l’année 2021 pour transposer.

Cette proposition de loi s’inscrit donc dans une démarche européenne d’harmonisation mais surtout de renforcement des standards relatifs à la protection de ces personnes. Pour rappel, la Directive prévoit une clause dite de non-régression, qui permet de garantir que les acquis de la loi Sapin II ne soient pas remis en cause à l’occasion de la transposition.

Cette proposition de loi a été adoptée le mercredi 17 novembre 2021 après amendements en première lecture à l'Assemblée nationale, suite à l’engagement de la procédure accélérée sur le texte le 25 octobre 2021.

Les principales évolutions réglementaires portent sur les objets suivants :

  • Une revue de la définition du lanceur qui est précisée ;
  • La lanceuse ou le lanceur d’alerte pourra choisir plus librement entre le signalement interne et le signalement externe (cependant la divulgation publique ne sera toujours possible que dans certaines situations bien précises) ;
  • Des précisions sur le rallongement de la durée de maintien des données anonymisées pour faciliter le traitement d’alertes sur le long terme ;
  • Une liste des représailles interdites est proposée, indiquant les mesures ne pouvant être appliquées à l’encontre d’une personne en réaction à son alerte ;
  • Des précisions sur l’accompagnement des personnes alertant, notamment financier et psychologique ;
  • Des précisions sur les sanctions applicables, qui se renforcent, notamment par un nouveau volet pénal.

Anticiper les impacts de ces évolutions dans vos organisations

De manière globale, ces évolutions législatives viendront renforcer le cadre réglementaire français de lutte contre la corruption, afin de placer la France et ses acteurs publics comme privés aux meilleurs standards européens et internationaux en la matière.

Dans vos organisations, des actualisations des dispositifs seront requises. Les actions suivantes devront par exemple être étudiées :

  • Etude des impacts réglementaires et diagnostic global des risques ou actualisation des cartographie, notamment pour les acteurs publics ou dans les relations avec des acteurs publics ;
  • Vérification du périmètre de vos activités, par rapport aux critères d’application de la loi (filiales en France, seuils, relations avec des entités publiques nouvellement soumises etc.) ;
  • Définition de plans d’actions de remédiation des non-conformités ou des risques identifiés ;
  • Pour les entités nouvellement assujetties, structuration d’un programme de conformité anticorruption et lancement des différents chantiers de mise en conformité (mise en place des mesures requises) ;
  • Revue des procédures d’enquêtes internes pour assurer le respect des droits des personnes, dans les conditions de la loi adoptée ;
  • Sur le sujet spécifique des alertes, revue des procédures, modes opératoires, documents, formations et outils d’alertes en place : actualisations si requises, notamment concernant les modalités d’enquêtes internes et la gouvernance du dispositif global ;
  • Pour tous les collaborateurs et collaboratrices, formations ou sensibilisations actualisées (e.g. formation compliance, formation anticorruption etc.), notamment sur le volet du dispositif d’alerte interne ;
  • Pour les personnes impliquées dans la procédure d’alerte interne, formation spécifique (e.g. référents éthiques, référents conformité, équipes RH etc.), notamment sur le respect du droit des personnes et sur la confidentialité, ainsi que sur le risque pénal ;
  • Préparation d’actions de sensibilisation ou de communication, par exemple un guide pratique du lanceur d'alerte, incluant entre autres les nouveautés de la loi, les mises à jour, la notion d'aide matérielle et psychologique ou pourquoi pas des liens vers les associations et personnes extérieures à contacter, afin de développer la culture compliance et anticorruption dans votre entité.

Dans ce contexte porteur de changements importants, les regards restent tournés vers les prochains arbitrages législatifs. D’ores et déjà, les acteurs concernés peuvent en anticiper les impacts en s’assurant de leur bonne conformité aux exigences actuelles, en renforçant leur veille réglementaire, et en alignant leur organisation sur les mutations en cours de l’environnement réglementaire.

Pour aller + loin : focus sur le processus de la proposition de loi Sapin III

Malgré la mise en application de la loi Sapin II et une amélioration globale de la lutte contre la corruption dans le pays, la France se positionne à la 23ème place (en recul par rapport à 2018 où la France occupait la 21ème place) au classement mondial de perception de la corruption, le Corruption Index, réalisé chaque année par l’ONG Transparency International.

Il semble donc approprié de tirer les leçons des 5 années d'existence de cette loi pour l'adapter aux nouveaux enjeux actuels de la lutte contre la corruption à l’échelle internationale.

C’est dans cette optique qu'est créée en décembre 2020 la mission d’évaluation de la loi Sapin II, soit 4 ans après l’adoption de ladite loi. Les députés Raphaël Gauvain (LaREM, Saône-et-Loire) et Olivier Marleix (LR, Eure-et-Loir) ont travaillé pendant plus de 5 mois, afin d'échanger avec l'ensemble des acteurs concernés, privés ou publics, au travers de 49 auditions et 8 tables rondes.

Au terme de leurs travaux, ils ont formulé 50 recommandations publiées en juillet 2021 sous la forme d’un rapport d’évaluation et visant :

  • à clarifier l'organisation institutionnelle de Ia politique française de lutte contre Ia corruption ;
  • a assurer une meilleure protection juridique et financière aux lanceurs d'alerte ;
  • à améliorer la transparence des décisions publiques grâce à une évolution du répertoire des représentants d'intérêts (obligations HATVP).

De ces 50 propositions est née une proposition de loi, déposée par M. Raphaël Gauvain le 19 octobre 2021, et qui doit désormais faire l’objet de discussions.

Rappel de ces différentes étapes dans frise suivante :

Frise des évènements réglementaires Sapin 2 et Sapin 3

Annexe : La loi Sapin II, rappel des enjeux actuels

Les prérequis de la loi Sapin II sont toujours autant d’actualité et continuent de marquer un important tournant dans le paysage légal français et cela grâce à plusieurs avancées :

  • Par l’obligation faite aux entités assujetties d’adopter des dispositifs internes de prévention de la corruption ;
  • Par son ambition affichée d'améliorer la détection de tout fait qui serait constitutif d'un manquement à la probité ;
  • Par le renforcement de la lutte anticorruption et la possibilité de contrôles et sanctions via la création d'une autorité dédiée, l'Agence française anticorruption (AFA).

Aujourd'hui encore, se mettre en conformité avec la loi Sapin II constitue donc un challenge pour les entreprises assujetties, aussi bien en termes de capacité à répondre aux différentes exigences de la loi, qu'en termes de capacité à assurer le suivi de ses évolutions règlementaires.

En effet, s’ajoute à la mise en place du programme de conformité Sapin II et à la veille réglementaire un suivi et une vigilance en matière judiciaire, notamment liés à l’activité du Parquet National Financier (PNF) et la conclusion des CJIPs (Convention Judiciaire d'Intérêt Public). Pour rappel, la loi Sapin II instaure au travers de la CJIP un dispositif procédural transactionnel de règlement des procédures ouvertes contre des personnes morales, notamment en matière de corruption active ou passive, de trafic d'influence, de fraude fiscale, etc.

Concernant la mise en place du programme de conformité Sapin II, la loi impose plusieurs obligations concrètes aux entreprises assujetties. Ces obligations sont structurées autour de 3 grands piliers, comme l’a rappelé l’AFA dans ses recommandations actualisées en 2021.

Les trois piliers réglementaires de la loi Sapin 2
  • Pilier 1 – L’engagement de l’instance dirigeante, facteur essentiel de la réussite de tout programme de mise en conformité et garant de sa légitimité ;
  • Pilier 2 – La cartographie des risques, via un exercice régulier permettant de visualiser les périmètres les plus à risque et de définir les modalités de remédiation des risques identifiés ;
  • Pilier 3 – La gestion des risques, grâce aux dispositifs internes déployés afin de limiter les risques identifiés.

Ce dernier pilier de gestion des risques s’articule lui-même autour de 3 grands axes constitutifs d’une démarche globale et intégrée de lutte contre la corruption :

1° Prévenir les risques

  • Un code de conduite définissant les actes et comportements à proscrire, accompagné d’exemples concrets et de recommandations ;
  • Un dispositif de formation des personnels, adapté à leur niveau d’exposition ;
  • Des procédures d’évaluation de la situation des clients, fournisseurs de premier rang et intermédiaires au regard de la cartographie des risques.

2° Détecter les faits

  • Un dispositif d’alerte interne destiné à permettre le recueil des signalements relatifs à l’existence de conduites ou de situations contraires au code de conduite de la société ;
  • Un dispositif de contrôle comptable, destiné à s’assurer que les livres, registres et comptes ne sont pas utilisés pour masquer des faits de corruption ou de trafic d’influence ;
  • Un dispositif de contrôle et d’évaluation interne des mesures et procédures composant le dispositif anticorruption et cela au niveau opérationnel, aux échelons managériaux et au sein de la direction.

3° Remédier les risques

  • Un régime disciplinaire permettant de sanctionner les salariés de la société en cas de violation du code de conduite en vigueur
  • La supervision et mise à jour du dispositif global anti corruption par la mise en place de mesures de correction quand nécessaire

Notons que ces différentes obligations sont actuellement conditionnées à 3 critères cumulatifs : avoir un effectif de plus de 500 employés, réaliser un chiffre d'affaires annuel (filiale ou consolidé) supérieur à 100 millions d'euros, et surtout disposer de son siège social en France. Mais avec la proposition de loi Sapin III, ce dernier critère serait supprimé.

Dans l'attente des prochains arbitrages législatifs, nous restons en veille afin de vous proposer un accompagnement personnalisé dans la mise en conformité de votre dispositif anticorruption. N’hésitez pas à nous contacter pour échanger !

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