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Quel prix d'exercice pour l'EPR d'Hinkley Point ?

La situation du marché électrique britannique devient une nouvelle fois préoccupante. D'après l'OFGEM, le régulateur du marché de l'électricité et du gaz au Royaume-Uni, les marges de sécurité en termes d'équilibre production-consommation pourraient tomber à 2% en 2015.

La fermeture programmée d'une partie des centrales à charbon et du parc nucléaire en fin de vie va accroître le risque de blackout. La modernisation du réseau électrique et le renouvellement des capacités installées constituent donc deux des enjeux majeurs du gouvernement pour ces prochaines années.

Ils s'inscrivent dans la loi cadre Energy Bill, qui répond au triple objectif de sécurisation de la production d'énergie, de réduction des émissions de carbone et de maîtrise de la facture énergétique pour le consommateur.

Une réponse législative ambitieuse à des challenges inédits

Le gouvernement promeut la mise en place de deux principaux mécanismes pour attirer les £110 Mds d'investissements nécessaires ainsi que sécuriser la production et le transport d'électricité d'ici 2020. En premier lieu, les contrats de différence ou CfD (Contracts for Difference) ont pour objectif d'inciter le développement des énergies renouvelables et le renouvellement du parc nucléaire en garantissant à chacune des filières le rachat de l'électricité produite à un prix d'exercice stable sur le long terme. Des investissements non rentables aux prix de marché de l'électricité mais pourtant stratégiques sont ainsi permis. En second lieu, le marché de capacités [2] vise à sécuriser l'équilibre production-consommation en rémunérant les capacités de production d'électricité et d'effacement dès 2014. Ces réformes incitatives vont permettre de relancer l'investissement dans de nouvelles capacités de production renouvelables mais aussi de renouveler le parc nucléaire.

Hinkley Point, fer de lance du renouveau nucléaire au Royaume-Uni

La quasi-totalité du parc nucléaire britannique sera en fin de vie à l'horizon 2023. Son renouvellement permettra d'augmenter de 18% à 25% sa part dans le mix électrique du Royaume-Uni. Pour y parvenir, la construction de 4 EPR a été planifiée sur les sites de Hinkley Point C (2 EPR) et Sizewell C (2 EPR) et 9 autres projets de réacteurs sont à l'étude, dont 3 AP1000 pour le consortium NuGen (50% GDF SUEZ – 50% Iberdrola). Les 2 réacteurs d'Hinkley Point C seront les premiers à être mis en service depuis 1995 avec un raccordement au réseau espéré avant 2020. Ils sont le fruit de plusieurs années de conception dans les bureaux du CNEN [3] en région parisienne. Plus gros producteur d'électricité au Royaume-Uni [4], EDF Energy sera via sa filiale NNB GenCo "l'architecte ensemblier" [5] de la construction des futurs EPR, puis l'exploitant des installations. Parmi les partenaires du projet, Areva sera notamment chargé de fournir les chaudières nucléaires et les systèmes d'instrumentation, tandis que Bouygues sera responsable de la partie génie civil. Néanmoins, si le dimensionnement du projet et l'ensemble des intervenants sur le projet semble bien défini, le financement sur le long terme du parc reste problématique.

Comment fixer le prix du nucléaire au Royaume-Uni ?

Alors que les draft strike price (prix d'exercice estimés) pour les énergies renouvelables ont été publiés dès le 27 juin 2013 [6], le gouvernement britannique préfère des négociations bilatérales avec les exploitants des futures centrales nucléaires pour définir les modalités des contrats de différence. Dans ce cadre, les discussions se poursuivent entre EDF Energy et le DECC quant au prix d'exercice de l'EPR d'Hinkley Point. Le gouvernement s'étant dernièrement porté garant à hauteur d'environ £14 Mds [7] dans le projet, le chantier devrait être lancé une fois que les deux parties se seront entendues sur les derniers points du contrat de différence. Toute la difficulté de la détermination du strike price du futur EPR réside dans le fait qu'il doit refléter fidèlement les charges réelles de production pour EDF Energy sur toute la durée de la phase d'exploitation, soit environ 60 ans. Même si la modélisation des charges d'exploitation semble maîtrisée sur la période, celle des charges de maintenance est plus délicate compte tenu des probables évolutions des standards de sureté [8]. Des incertitudes encore plus grandes pèsent sur l'estimation des charges futures de démantèlement et de gestion des déchets. Ces incertitudes font toute la différence avec les énergies renouvelables dont les strike price sont voués à décroître, une fois que la filière sera devenue économiquement compétitive. En France, la Cour des Comptes avait estimé en janvier 2012 le coût de production du MWh du futur EPR de Flamanville 3 entre 70 et 90€ [9]. Bien qu'imparfaite et ne pouvant être directement transposée à la situation britannique, cette estimation permet d'obtenir un niveau bas du seuil de rentabilité de l'EPR d'Hinkley Point. Ne pouvant bénéficier d'économies d'échelle sur la maintenance, le coût de production de l'EPR britannique devrait être sensiblement supérieur. UBS a estimé en ce sens que le strike price d'Hinkley Point C devrait s'élever à £95/MWh [10].

Quelle durée et quelles évolutions pour ce prix ?

La durée durant laquelle ce prix serait garanti est couramment estimée entre 30 et 40 ans. Au vu des incertitudes pesant sur le coût de production et de la volatilité des prix sur les marchés de l'électricité, le dispositif de strike price se doit d'être flexible. Dans le cas contraire, la forte volatilité du marché de l'électricité pourrait dénaturer ce mécanisme de soutien, puisque la rémunération de l'opérateur est liée à l'écart avec les prix du marché.

Illustration de la volatilité des prix SPOT journaliers de l'électricité au Royaume-Uni (source : marché APX Power UK)
 

Cette flexibilité pourrait alors revêtir deux formes différentes. Dans le premier cas, il s'agirait de lier le prix d'exercice à un index représentatif de l'évolution des coûts de production d'électricité. L'indexation sur l'inflation est une possibilité qui soulève des inquiétudes côté britannique. En effet, UBS estime que l'indexation d'un strike price de £95/MWh sur le Consumer Price Index [11] pourrait lui faire atteindre £113/MWh dès 2020. Réputé plus proche de l'évolution des charges d'exploitation et de maintenance, l'indice des prix du BTP, décliné dans sa version britannique, pourrait également servir de base d'indexation. Une seconde option serait de laisser une possibilité de renégocier le prix d'exercice fixé, soit à intervalle régulier, soit sur simple demande de l'une ou l'autre des parties (DECC ou EDF Energy).

Premier de la filière nucléaire à bénéficier d'un contrat de différence, l'EPR britannique soulève encore des interrogations sur certaines modalités techniques. Cependant, après avoir été plusieurs fois reporté, le strike price d'Hinkley Point C devrait finalement être fixé fin 2013.