La reconversion, parent pauvre des politiques d…
Communiquer pertinemment avec leurs potentiels électeurs s’avère être une nécessité pour les candidats en politique. Lors des élections présidentielles de 2012, les stratégies des candidats ont été marquées par l’utilisation massive des réseaux sociaux, ...
Communiquer pertinemment avec leurs potentiels électeurs s’avère être une nécessité pour les candidats en politique. Lors des élections présidentielles de 2012, les stratégies des candidats ont été marquées par l’utilisation massive des réseaux sociaux, permettant une interaction directe avec les citoyens, et court-circuitant les médias classiques soumis aux règlementations en vigueur. Cependant, la maîtrise unique des nouveaux médias n’est plus le seul indicateur d’une campagne électorale efficace : les big data, largement mises à contribution par les candidats à l’élection présidentielle, sont désormais une nouvelle arme dans la course aux voix des citoyens.
Les débuts de la big data en politique furent inaugurés lors de la campagne de Barack Obama en 2012. Ses équipes ont su tirer parte des immenses possibilités offertes par la collecte, le stockage et la gestion de bases de données à grande échelle. En 2008, en faisant appel à la société Blue State Digital, Barack Obama démontrait sa capacité à mobiliser les électeurs autour de son programme, grâce à un usage sans précédent du digital, notamment afin d’organiser les collectes de levées de fonds en ligne et de mettre en place une campagne de communication personnalisée sur les réseaux sociaux.
Lors des élections présidentielles de 2012 aux Etats-Unis, ses équipes de campagnes vont au-delà encore en travaillant à l’agréation de données de trois sources : les données sociodémographiques de la population, celles issues des études de sondage et d’opinion et celles retraçant les historiques de vote. A partir des données agrégées, de puissants algorithmes ont permis la détermination des zones d’électeurs constituant le marais, c’est-à-dire des zones comportant une majorité d’électeurs indécis et étant susceptibles par leur vote d’influencer l’issue des élections. Les big data ont par ailleurs contribué à l’identification des thèmes clés aux yeux de ces électeurs, l’enjeu étant de les mettre en avant pour capter leur attention… et leur vote. Les équipes de campagne de Barack Obama ont ainsi mis à profit ces analyses afin de mieux définir leurs messages de communication et d’en optimiser l’impact : à travers les médias classiques, via les campagnes d’emailings mais également à travers les actions des militants, via le porte-à-porte ou campagnes téléphoniques. Les élections présidentielles américaines ont ainsi opéré une transformation du rôle des big data en politique, pour le faire évoluer de celui de simple outil prédictif des résultats à celui de véritable acteur des campagnes. Les big data deviennent l’épicentre d’actions politiques ciblées et personnalisées.
En France, les stratégies des politiques semblent évoluer selon ce même schéma : de nombreux candidats aux élections présidentielles se sont inspirés des méthodes de campagnes américaines en faisant appel à des logiciels de big data. Emmanuel Macron a choisi de faire appel à la start-up LMP, start-up à laquelle François Hollande avait déjà fait confiance pour sa campagne en 2012. Elle fut un élément clé dans la campagne de l’actuel Président pour cartographier les zones de démarchage électoral et adapter le discours de ses campagnes de communication. D’autres logiciels furent également mis à contribution, tel que Nation Builder, utilisé par Jean-Luc Mélenchon durant sa campagne en 2017, lui offrant une gestion de sa campagne « clé-en-main » avec la gestion de son site web, l’agrégation des données et le pilotage de sa campagne. Le candidat LR François Fillon avait pour sa part choisi la start-up de stratégie électorale Federa Vox afin d’identifier les territoires prioritaires pour mener les actions de campagnes et organiser la mobilisation de ses équipes. Ainsi, au-delà de leur application dans le digital, les big data ont redonné un rôle central aux campagnes de proximité, animées par les militants sur le terrain. Elles dotent désormais les techniques de porte-à-porte d’un double avantage : à celui d’un contact direct et personnalisé que permet une approche humaine, s’ajoute une extrême précision, résultant d’une analyse et d’un ciblage rigoureux.
Les big data sont-elles limitées à un usage strict en stratégie de communication en politique ? L’utilisation croissante des logiciels de big data pour gérer des informations et les délivrer judicieusement aux électeurs ne constitue pas leur unique application en politique. C’est parfois dès la conception des programmes que les big data jouent un rôle. En amont de sa proposition de programme, le Président élu a mis en avant la réalisation d’une enquête à grande échelle, visant à établir un état des lieux des préoccupations des Français, selon des critères tels que leur catégorie socio professionnelle, leur genre, leur localisation. Les réponses de l’enquête, récoltées auprès de 100 000 Français ont été traitées par la start-up Proxem, spécialisée dans l’analyse sémantique, et ont été associées à des recherches académiques menées par des groupes d’experts, afin de mettre en lumière les préoccupations des citoyens selon leur localisation. L’utilisation des big data en marketing politique s’est donc également étendue aux phases de conception des programmes. Tout comme la démarche marketing a évolué vers la prise en compte grandissante des besoins clients, la démarche politique a désormais évolué vers la prise en compte des besoins de ses électeurs : la volonté affichée est celle d’une personnalisation extrême afin de concevoir un produit sur-mesure, conforme aux attentes des Français.
Mais un programme politique, conçu et marketé comme un produit de consommation est-il sans risque ? Si les big data sont préalables à une volonté d’action concrète fondée sur des analyses approfondies, elles peuvent ouvrir la voie à des solutions efficaces, plaçant les besoins des citoyens au cœur des enjeux. En revanche, si elles visent à mieux connaître les populations cibles dans le but unique de mieux adapter le discours des hommes politiques, leur rôle peut rapidement basculer vers une manipulation dangereuse. En particulier, celle visant à considérer les citoyens comme de simples consommateurs et leur fournir une vision personnalisée d’un programme aux dépends d’un projet global au service de la collectivité. Cela est d’autant plus risqué en marketing politique que la réalité d’un programme peut s’avérer bien différente d’un produit fini, conforme aux promesses de « vente ».
A l’heure où le paysage politique français connaît de profondes mutations, où les citoyens français sont partagés entre refuge vers l’abstentionnisme et désir de faire entendre leur voix, il est néanmoins certain que les big data et les immenses possibilités qu’elles ouvrent constitueront un avantage conséquent pour les acteurs politiques qui les maîtrisent.