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Fleuron industriel papetier français et pionnier du recyclage du papier en France, Chapelle Darblay près de Rouen est le symbole de la crise de la filière papier. Les tonnes de papiers triés affluent, mais la consommation de papier journal, même 100% recyclé, ne suit pas.
La filière française souffre d’un manque de structuration dans un monde ouvert où production et consommation sont mondialisées. Interview d'Arnaud Dauxerre, en charge des Relations Institutionnelles chez UPM Chapelle Darblay, qui nous évoque la situation d'un site industriel exemplaire dans le développement durable, en proie aux difficultés de la mise en place d'une économie circulaire du papier.
Historique : Site emblématique du recyclage du papier, initiateur du recyclage du papier en France en 1985 ;
Situation : Site de 33 hectares en bord de Seine, basé à Grand Couronne sur la zone portuaire de Rouen ;
Activité : Recyclage des papiers issus des collectes sélectives ménagères et industrielles, et production de papier journal standard et amélioré 100% recyclé (350 KT / an à recycler)
Emploi : 230 emplois directs, 800 emplois induits ;
Capacité en fonctionnement : 240 KT de papier journal 100% recyclé standard ou amélioré pour la Presse Quotidienne Régionale et Nationale ainsi que pour les imprimés publicitaires ;
Principaux équipements :
Il faut savoir que la filière de recyclage des papiers issus des collectes sélectives en France repose essentiellement sur deux grands consommateurs qui absorbaient jusqu’à la fin de 2019 près de 900 KT de papiers issus du tri pour un tonnage disponible de plus d’1,3 millions de tonnes annuelles. L’excédent trouve une solution de recyclage essentiellement auprès de papetiers européens, allemands, belges ou espagnols notamment.
Le site papetier normand UPM Chapelle Darblay est spécialisé dans la production de papier journal 100% recyclé, trouvant des applications dans le papier de presse pour la presse quotidienne régionale, nationale et certains supports publicitaires. Nous réceptionnons chaque année 350 KT de papiers issus de la collecte sélective soit l’équivalent du geste de tri de près de 23 millions d’habitants. Le papier est acheminé sur une ligne de désencrage (étape du recyclage) puis sur la machine à papier.
La fermeture de Chapelle Darblay ouvre inévitablement une crise de débouché pour le recyclage des papiers en France avec plusieurs conséquences liées :
Face à ce phénomène de surplus de ressources en papier à recycler et d’absence momentanée de solution durable de recyclage, CITEO (nouveau nom d’Ecofolio et Eco-Emballages) poursuit sa quête louable mais décalée du « trier plus », poussé par des objectifs gouvernementaux ambitieux.
Il est urgent d’animer positivement la filière en s’interrogeant sur sa durabilité et en mobilisant des moyens vers la recherche de nouvelles solutions de recyclage.
Le constat est clair : la consommation de papier graphique au niveau mondial baisse d’années en années et une baisse de 9% a été enregistrée entre 2018 et 2019. Depuis 2017, cette baisse représente près d’un million de tonnes de papier non produit. Cela entraîne les groupes papetiers à adapter leurs capacités de production. Ainsi Il y a quatre ans, le Groupe UPM a décidé notamment d’arrêter sa machine à papier n°3 (PM3) et deux de ses lignes de recyclage de vieux papiers sur le site Chapelle Darblay pour ne produire plus que sur la PM6 et sa dernière ligne de recyclage.
Malheureusement, la situation du marché des papiers graphiques qui avait retrouvé des couleurs ces trois dernières années, s’est brutalement renversée courant 2019 entraînant de nouvelles fermetures de capacités de production.
Ainsi, en raison de la chute continue de la demande mondiale de papier journal et pour sauvegarder la compétitivité de leurs activités, les groupes papetiers dont UPM doivent de nouveau adapter leur activité industrielle à l’évolution du marché mondial et par conséquent réduire leurs capacités de production en fermant les unités les moins profitables et les plus anciennes.
Le site de Chapelle Darblay, principal acteur du recyclage des papiers en France est cette fois concerné par un arrêt définitif.
Pour amortir la chute de la consommation de papier graphique, le groupe UPM ferme donc des sites et concentre son activité sur les autres, notamment en Allemagne où se situent nos principales usines avec la Finlande, l’Autriche et le Royaume-Uni ou encore les Etats-Unis pour ce qui concerne le périmètre UPM Communication Papers.
Il est intéressant de retracer l’historique de la filière papiers graphiques : dans les années 1980 il fallait trier pour répondre aux besoins des industriels et notamment de Chapelle Darblay qui se lançait, en pionnier, dans le recyclage des papiers graphiques, dix ans avant l’émergence de la 1ère REP emballages (Eco-Emballages) et vingt ans avant la REP Papiers (EcoFolio).
A cette époque, les objectifs de qualité et de disponibilité prévalaient sur les considérations de prix, les collectivités voyant un intérêt non négligeable à détourner les papiers des décharges.
Avec la collecte sélective des papiers graphiques d’Eco-Emballages, on parlait alors de produits propres et secs et la filière se résumait à l’industriel Chapelle Darblay rejoint dix ans plus tard par son homologue Golbey bien que ce dernier s’alimente majoritairement de fibre vierge.
Par la suite, et de manière plus prononcée dans les années 2000/2010, la mondialisation des marchés des vieux papiers et des matériaux fibreux en général (papiers/cartons) s’est accélérée (avec l’entrée en jeu de l’Asie comme des acteurs européens espagnols et allemands notamment plus présents), tirant les prix vers le haut avec pour corollaire de tirer la qualité vers le bas. Cela créa par ailleurs des tensions sur la disponibilité des matières tout en s’éloignant de la notion de recyclage de proximité en ne priorisant plus les besoins de l’industrie locale ou nationale au bénéfice du prix de négociants moins scrupuleux.
Depuis 2017 la Chine, pour des raisons sanitaires et d’abus de certains acteurs sur le non-respect des cahiers des charges qualité, a fermé ses frontières aux déchets valorisables internationaux. La plupart des pays exportateurs, dont la France fait partie en raison de sa balance commerciale excédentaire sur ces flux fibreux, se sont retrouvés avec d’importants tonnages à recycler en France sans débouché ; la France avait ainsi fin 2019 plus d’1,6 millions de tonnes de matériaux fibreux valorisables en souffrance dans ses centres de tri.
Aujourd’hui, la qualité est redevenue le critère absolu car la filière papier graphique et cartons ne peut plus absorber la totalité des déchets.
Cela interroge donc sur :
Nous ne vivons plus du tout dans un monde clos : aujourd’hui le papier consommé en France vient notamment du Brésil et du Canada voire de la Russie, et Chapelle Darblay par exemple ne représente que 20% du marché des journaux en France alors que sa production pourrait couvrir tout ou partie des besoins de la Presse journal. Il faut aujourd’hui redonner de la cohérence et de la visibilité aux différents acteurs de la filière et à son équilibre économique, social et environnemental, bref une filière inscrite dans un développement responsable, durable mais surtout raisonnable.
Il y a une impérieuse nécessité que les pouvoirs publics s’emparent du sujet d’économie circulaire, pour chaque filière de façon concrète. Si on veut maintenir une circularité de notre système de production-consommation, il faut se poser la question du prix que chacun est prêt à payer pour celle-ci.
A fin février 2020, quatre projets de reprise étaient à l’étude : trois projets industriels de papier pour emballage (machine 6 uniquement, soit 50 à 60% des équipes) et un projet de production de pâte marchande.
Aujourd’hui, un projet de reprise partielle semble tenir la corde et la remise d’une offre semble imminente en dépit de la crise sanitaire ; le projet industriel s’axerait sur la production de papier pour emballages carton et n’opèrerait que la machine à papier.
Or pour les papetiers Chapelle Darblay au travers leurs instances représentatives, leur site exige beaucoup mieux !
Afin d’exploiter au maximum le potentiel indéniable du site, l’idéal serait une mise en commun de projets au travers pourquoi pas d’un consortium d’industriels qui opèreraient conjointement le site. Il faut pour cela attirer d’autres acteurs des filières, travailler sur de nouvelles opportunités pour la filière, en valorisant les unités de désencrage via la production de pâte marchande recyclée pour des applications telles que la production de white top test liner que l’on trouve sur les cartons, pour de la cellulose moulée ou encore attirer des industriels spécialisés dans la production de ouate pour isolation …
Cela permettrait de mutualiser des ressources (utilités, logistiques, achats, gardiennage, administratif, etc.) et dégager ainsi des points de compétitivité supplémentaires aux différents acteurs industriels qui bénéficieraient en outre des avantages du site (connexions fluviale et ferroviaire, production d’énergies, approvisionnement en eau, etc.).
Enfin et surtout, ce projet d’envergure apporterait à la filière tout entière un souffle nouveau et une pérennité salvatrice.
Ce site d’excellence de 33 hectares possède toutes les qualités pour ne pas se contenter d’un repreneur partiel !
Propos recueillis le 17 avril 2020 par Raphaëlle KASSIDONIS, Consultante SIA PARTNERS