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Résurgence de l’inflation : Quels impacts sur les banques françaises ?

La hausse sur un an de l’indice des prix à la consommation (IPC) a atteint un pic de 2,4% aux Etats-Unis au mois de mars.

Cette accélération de l’inflation conforte la Fed dans sa décision de normaliser sa politique monétaire après une longue période de taux bas. Si dans la zone euro la situation est plus contrastée, la plupart des conditions d’un retour de l’inflation sont réunies.

Les causes de l’accélération de l’inflation

En 2017, le FMI a estimé la croissance mondiale à 3,6% et celle de la zone euro à 2,5%, du jamais vu depuis 2007. Ce dynamisme de l’économie mondiale devrait avoir un impact positif important sur l’inflation, et ce à travers plusieurs canaux :

  • La baisse du chômage, notamment en Europe et aux Etats-Unis, donne du pouvoir de négociation aux salariés et induit une hausse des salaires ;
  • Dans l’industrie, les capacités de production ont de plus en plus de difficultés à répondre à la forte augmentation de la demande, par exemple en France où le taux d’utilisation des capacités de production a atteint 85,8%. Les industriels gèrent alors l’excédent de demande par l’augmentation des prix ;
  • Enfin, la hausse de la production va de pair avec l’augmentation des besoins en matières premières et en particulier le pétrole, le fer et le charbon. La volatilité des prix des matières premières est une composante importante de l’inflation dans les pays du nord dont la plupart ne dispose pas de ses ressources.

Toutes les conditions semblent donc réunies pour que l’inflation s’accélère et approche le seuil fatidique des 2% dans la zone euro. Quelles en seraient les conséquences, directe et indirecte, sur les banques françaises ?

L’inflation modifie le bilan et le compte de résultat des banques via les taux d’intérêt

L’effet le plus important de l’inflation sur les banques réside dans sa relation directe avec les taux d’intérêt. La hausse des taux d’intérêt qui accompagne généralement l’accélération de l’inflation a des effets à la fois positifs et négatifs sur le résultat et le bilan d’un établissement bancaire.

Le premier effet, positif, réside dans la relation entre le niveau et la pente de la courbe des taux d’une part, et la rentabilité de l’activité d’intermédiation de la banque d’autre part. Lorsque les taux d’intérêt augmentent, la pente de la courbe de taux a tendance à s’accentuer. Autrement dit, la différence entre taux longs et taux courts est plus importante, ce qui représente une bonne nouvelle pour la marge d’intérêt réalisée par les banques, l’activité d’intermédiation consistant à se financer sur du court-terme afin d’accorder des prêts avec des maturités longues. Et ce d’autant plus qu’une majeure partie des dépôts est rémunérée selon des taux fixés par la réglementation et donc moins flexible vis-à-vis des variations de taux d’intérêt.

Cependant, cette amélioration de la marge d’intérêt ne sera effective que sur les prêts accordés après la hausse des taux d’intérêt. Pour les crédits de long terme contractés durant la période de taux bas, il y aura au contraire une dégradation de la rentabilité car le refinancement de court terme associé à l’octroi de ces crédits aura un coût plus élevé. En cas de hausse de la courbe de taux, les banques auraient en effet d’un côté des ressources chères et de l’autre un portefeuille de prêts peu rémunérateurs.

En outre, la hausse des taux risque d’entrainer un ralentissement de la demande de crédit, après les records enregistrés sur 2016 et 2017 en termes de crédits immobiliers mais aussi de prêts aux entreprises, si les agents économiques ne s’attendent pas à une inflation durable et soutenue. Au contraire, s’ils anticipent un taux d’inflation élevé sur le moyen-long terme, la demande de crédit peut accélérer. 

Par ailleurs, la hausse de l’inflation (et la remontée des taux en corollaire), générera une réaffectation de l’épargne, avec un dégonflement des dépôts à vue et un transfert de ces encours vers des supports mieux rémunérés (produits de taux ou assurance-vie). Une évolution conséquente du bilan des banques est à attendre, même si cette évolution peut être lente, en fonction de la vitesse de remontée des taux et de l’inflation.

Enfin, la remontée des taux annoncée va signer la fin de l’âge d’or du marché obligataire après presque trois décennies de taux historiquement bas aux Etats-Unis et dans une moindre mesure dans la zone euro. Le taux de l’OAT[1] à dix ans est ainsi passé de 0,1% fin septembre 2016 à 0,9% fin février 2018, marquant ainsi le ralentissement du QE[2] appliqué par la BCE. Or, les établissements bancaires sont contraints de conserver des obligations souveraines dans leur bilan afin de répondre aux exigences réglementaires en termes de ratios de solvabilité et de liquidité (LCR[3] et NSFR[4]). Une correction des prix sur le marché obligataire augmenterait le besoin de titres et augmenterait le coût des prêts accordés et des opérations nécessitant du collatéral et consommant de la liquidité réglementaire, telles que les repos ou les transactions sur produits dérivés.

L’inflation renchérit le coût de l’épargne associée aux livrets réglementés

L’inflation a également une conséquence directe négative sur la rentabilité des banques car elle est intégrée dans le calcul des taux de certains livrets réglementés tels que le livret A, le livret développement durable (LDD), le livret épargne populaire (LEP) ou encore le compte épargne logement (CEL).

Une accélération de l’inflation contribue donc à un renchérissement du coût de ces livrets, et ce d’autant plus que la loi de finances 2018 interdit la surcentralisation du livret A et du LDD au-delà de la quote-part de 60%. Autrement dit, les banques ne pourront transférer plus de 60% des encours de ces livrets à la Caisse des Dépôts et Consignations et devront donc conserver les 40% restants dans leur bilan.

Les banques ont des solutions limitées pour se couvrir contre le risque d’inflation associé à ces encours de livret A et LDD. Le montant total des obligations indexées sur l’inflation telles que les OAT[5] n’est pas suffisant pour permettre une couverture optimale et l’utilisation de produits dérivés est souvent complexe à mettre en œuvre. Quant à une couverture via la proposition de crédits indexés sur l’inflation, elle est difficilement envisageable, les emprunteurs choisissant quasi-systématiquement le taux fixe pour les crédits de longue durée afin d’éviter les mauvaises surprises. De plus, dans une période de taux très bas comme celle que nous vivons actuellement, les emprunteurs ont tout intérêt à emprunter à taux fixe, y compris pour les emprunts de court-terme.

Les conséquences d’un retour de l’inflation sur les banques françaises dépendront de la réponse monétaire de la BCE

Comme on l’a vu, la corrélation entre taux d’inflation et rentabilité des banques s’explique en grande partie par les variations de la courbe des taux d’intérêt. En particulier, la pente de la courbe, plus que son niveau, déterminera la marge d’intérêt que la banque commerciale pourra dégager.

Or, si les taux longs suivent la tendance à la hausse observée sur les taux américains, les taux de court-terme sont surtout influencés par la politique monétaire menée par la Banque Centrale Européenne. Actuellement deux visions s’opposent au sein de l’institution de la zone euro : d’une part une poursuite d’une politique monétaire accommodante illustrée par le QE jusqu’à ce que le niveau du taux d’inflation soit proche de l’objectif des 2% ; d’autre part un arrêt programmé du QE en réponse à une forte accélération de l’activité économique et ce pour éviter un risque de surchauffe de l’économie réelle ou encore de bulle spéculative. Ce désaccord est lié aux différentes situations des pays de la zone euro concernant l’inflation, avec trois groupes qui se distinguent : un premier groupe avec un taux d’inflation proche des 2% (Allemagne, Luxembourg, pays baltes, Belgique), un deuxième groupe avec une inflation située entre 0,5% et 1,5% (France, Pays-Bas, Portugal) et enfin un troisième groupe de pays où le risque de déflation est toujours présent (Grèce, Italie, Irlande).

Si la politique monétaire accommodante se poursuit, la pente de la courbe des taux sera importante et bénéficiera aux banques commerciales.  La demande de crédit de la part des entreprises et des ménages continuera d’être encouragée par des taux de court-terme modérés et le prix des obligations souveraines présentes au bilan des banques ne subira pas de correction brutale.

Dans le cas contraire où le QE cesserait cette année et où on observerait une forte remontée des taux d’intérêt quelle que soit leur maturité, les charges financières des banques liées au refinancement auprès de la BCE s’envoleraient et les titres à leur actif seraient dépréciés. En outre, l’activité de crédit se contracterait, que ce soit du côté de la demande ou de l’offre de crédit. En effet, la demande de crédit serait pénalisée par des taux d’intérêt plus élevés et l’offre de crédit serait moins importante car moins rentable.

Jusqu’ici le gouverneur de la BCE Mario Draghi s’est opposé à une normalisation de la politique monétaire et ne prévoit pas l’arrêt du QE à moyen terme, et ce tant que la trajectoire de l’inflation n’est pas conforme à l’objectif des 2%. Toutefois, le remplacement de Mario Draghi à la tête de la BCE aura lieu en octobre 2019, et l’Allemagne, qui défend une politique monétaire restrictive, a de bonnes chances d’occuper ce poste qu’elle n’a jamais eu depuis la création de l’institution. Les banques françaises ne sont donc pas l’abri d’une éventuelle tempête monétaire.

 

[1] Obligation Assimiblable du Trésor

[2] Quantitative Easing

[3] Liquidity Coverage Ratio

[4] Net Stable Funding Ratio

[5] Obligation Assimilable du Trésor indexée sur l’inflation