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Stockage des déchets radioactifs en couche géologique profonde

Pour traiter ses déchets de haute et de moyenne activité à vie longue, la plupart des pays européens ont fait le choix du stockage en couche géologique profonde.

Que ce soit en France, en Suède ou en Finlande, différents projets commencent à émerger, non sans difficultés.

Quelles sont les caractéristiques principales de ces projets et de leur acceptation par la population ? Tour d’horizon de la situation en Europe.

Quels déchets radioactifs en Europe ?

L’Europe est l’une des régions les plus nucléarisées au monde. Dix-sept de ses états ont mis en place un programme de nucléaire civil, ce qui a permis, en 2017, de générer 25% de sa demande en électricité[i]. Cette énergie présente le large avantage d’être très productrice et décarbonée, les réacteurs ne rejetant que de la vapeur d’eau dans l’atmosphère. Cependant, elle produit différents types de déchets radioactifs qu’il faut pouvoir traiter puis stocker avec la technologie adaptée.  

Les déchets de faible et de moyenne activité à vie courte intègrent les petits équipements de centrales nucléaires (filtres, vannes contaminées, chiffons…) ou de laboratoires (seringues hypodermiques, emballages…) ainsi que les matériaux de protection. Ils représentent 90% des déchets nucléaires produits en Europe mais seulement 0.02% de la radioactivité totale. Ces déchets perdent la moitié de leur activité au plus tard au bout de 30 ans et leur activité radiologique résiduelle est considérée comme quasi nulle après 300 ans. Ils peuvent ainsi être stockés en surface (comme en France, Espagne, Royaume-Uni…) ou à quelques mètres de profondeurs, dans des grottes souterraines par exemple (Suède, Finlande).

Si la gestion de ces déchets est quasi industrialisée, elle ne convient cependant pas aux déchets de moyenne activité à vie longue (MAVL - les composants les plus activés des centrales, usines et laboratoires de recherche) ainsi qu’aux déchets à haute activité (HA - les combustibles radioactifs). Ils nécessitent une gestion spécifique puisqu’il faut attendre plusieurs milliers voire plusieurs centaines de milliers d’années avant que la décroissance naturelle ne fasse chuter leur radioactivité à un seuil acceptable. En conséquence, un confinement sûr, sans action humaine nécessaire et qui puisse durer très longtemps est indispensable.

Dans l’attente de trouver un centre de stockage pérenne, ces déchets s’accumulent à proximité des centrales nucléaires.  Bien qu’il n’existe aucune solution évidente pour stocker ce genre de produits à haute activité, la communauté scientifique européenne et internationale semble converger vers un procédé spécifique : le stockage en couche géologique profonde[ii].  Il consiste à conditionner ces déchets puis à les placer dans une formation géologique durable en interposant des barrières naturelles et artificielles entre les déchets et l'environnement. Ces formations géologiques, stables sur des millénaires, sont les plus adaptées pour accueillir les déchets radioactifs à haute activité.

Les degrés d’avancement des programmes de site de stockage en couche géologique profonde varient en fonction des pays européens. A l’heure actuelle, seuls trois pays ont clairement sélectionné une localisation pour leur dispositif : la France, la Finlande et la Suède. D’autres sont engagés dans un processus avancé de sélection du site (Allemagne, Royaume-Uni, Suisse) mais une grande majorité des pays nucléarisés du continent est encore loin d’entamer la construction de son centre d’enfouissement de déchets.

Cigéo, le combat permanent

En France, la loi du 28 juin 2006 a acté la décision de construire un site de stockage réversible profond pour les déchets HA et MA-VL[iii]. Ce choix est issu de 15 ans de recherche scientifique menée par le CEA,  estimant que cela est la meilleure solution pour accueillir ces déchets radioactifs, les autres technologies n’étant pas encore matures[iv]. Baptisé Cigéo (pour Centre Industriel de stockage Géologique), le site vise à accueillir à Bure (Haute-Marne) à partir de 2025, 80 000 m3 de déchets radioactifs incluant 70 000 m3 de déchets MAVL (dont 60% déjà produits) et 10 000 m3 de déchets HA (dont 30% déjà produits)[v]. 

Les déchets HA sont actuellement traités et vitrifiés dans des sites spécialisés (notamment dans l’usine de retraitement de La Hague) puis entreposés en surface sur place ou proche des centrales.  Cigéo permettra de les stocker sous la forme de colis pouvant peser jusqu’à 3,2 tonnes et[vi]entreposés à 500 m de profondeur sous une couche argileuse imperméable. Afin de laisser aux générations futures la possibilité de se rétracter,  le stockage sera réversible les 100 prochaines années avant d’être scellé et intouchable sur des millénaires.

Si, en France, Cigéo est considéré par les experts et compte tenu des contraintes associées, comme une solution viable et sécurisée, le projet est fortement critiqué par une part de la population et de la classe politique.  Les reproches sont multiples mais se concentrent en deux points. Le premier est d’ordre technique : de vives critiques sont émises sur la sécurité du site, de récents tests de l’Institut de Radioprotection et de Sureté du Nucléaire (IRSN) indiquant encore des risques d’incendies dans les alvéoles de stockage des colis[vii]. Cela induit un risque de fuites et de contamination radioactive des sols de la région. Le deuxième est d’ordre temporel : malgré la grande durabilité du sol haut-marnais[viii] , il est très difficile voire impossible d’être certain qu’il sera stable et capable de stocker des déchets dangereux sur une durée de temps échappant à toute perception humaine.

Forte de ces revendications et dans la lignée des grandes luttes environnementales de ces dernières années (Sivens, Notre-Dame-Des-Landes…), l’opposition a Cigéo s’est structurée. Cette contestation se manifeste à la fois au niveau local, avec l’occupation du Bois-Lejuc proche de Bure, ainsi qu’au niveau national comme lors de la consultation de 2013 sur l’enfouissement des déchets nucléaires. Les rencontres publiques y avaient été annulées les unes après les autres du fait de la perturbation des opposants[ix].

La consultation de 2013 a pu se terminer en ligne et a montré le manque de confiance dans Cigéo des personnes interrogées.  L’ANDRA a pris en compte les remarques remontées et a notamment mis en place une période de « pilote industriel » : à partir de l’ouverture en 2025 et pendant une durée de 5 à 10 ans, Cigéo recevra des colis factices afin de tester le site. Ce test a encore décalé la date d’ouverture du site, mais, s’il s’avère satisfaisant, la mise en service définitive est prévue entre 2030 et 2035.  

Un nouveau débat public a eu lieu de février à septembre 2019. S’il était bien moins mouvementé que le précédent, il a tout de même mis en avant la profonde division des pro- et anti-Cigéo.  La commission en charge du débat a noté des « avis opposés et tranchés » desquels résultent la « difficulté à établir des échanges rationnels et dénués d’émotions »[x], d’autant plus que le débat sur les déchets radioactifs dérive bien souvent sur une validation ou non du nucléaire dans son ensemble. Les opposants au projet craignent que la potentielle réussite de Cigéo donne un blanc-seing à l’industrie nucléaire française alors que les partisans regrettent que les voix des scientifiques et ingénieurs ne soient pas dominantes à celles des citoyens. A la lecture de ces éléments, un consensus sur l’enfouissement des déchets radioactifs en France semble encore bien lointain.

Le stockage géologique profond peine à convaincre à l’étranger aussi

Si la France est divisée vis-à-vis de son projet de stockage des déchets à haute activité, ce n’est pas le seul pays en Europe. 

En Allemagne, un site d’enfouissement des déchets radioactifs semblait avoir été sélectionné : une ancienne mine de sel à Gorleben, au sud-est de Hambourg. Les prospections y ont commencé dès 1977, et des futs de déchets hautement radioactifs y ont déjà été stockés. En 2013 et après 1,7 milliards d’euros investis dans le projet, les recherches sont mises à l’arrêt[xi]. Situé dans une région peu dense et proche de l’ancienne RDA, Gorleben avait en effet été choisi sur des critères politiques plus que scientifiques. Cette localisation peu propice, couplée à des études techniques[xii] semblant indiquer des risques de fuites, a engendré une vive contestation de la population locale ainsi que des associations environnementales. Au fil des années, les nombreuses manifestations de contestation organisées à Gorleben auront finalement eu raison du projet. L’autorité du nucléaire allemande doit désormais se reporter vers un nouveau site qui ne sera pas sélectionné avant 2030.

La Suède a elle fait le choix d’enfouir ses déchets à Formsark sur la côte nord de la baltique. Contrairement à la France, les chercheurs suédois parient moins sur la stabilité du sol que sur les colis dans lesquels seront emballés les déchets. Ils seront construits en cuivre enrobé de bentonite, une argile qui devient imperméable lorsqu’elle est saturée d’eau. Ici, l’acceptabilité de la population est forte mais le projet doit faire face à d’autres obstacles. En Janvier 2018, le tribunal Suédois de l’environnement a refusé la demande de construction du SKB (l’Andra locale), jugeant que les colis de cuivre pourraient se corroder plus vite que prévu et ainsi que la radioactivité pourrait être disséminée dans les roches alentours[xiii]. Cette décision s’oppose à celle de l’autorité de sureté du nucléaire suédoise qui avait validé le projet fin 2017, après plusieurs mois d’auditions d’experts[xiv]. Le  gouvernement suédois doit désormais se décider entre les appréhensions du tribunal de l’environnement et l’approbation de l’autorité de sureté. 

La Finlande : un exemple de succès ?

À l’heure actuelle en Europe, seule la Finlande semble proche de concrétiser son projet d’enfouissement de déchets radioactifs. Baptisé Onkalo (la « caverne » en finnois),  ce site vise à accueillir, à partir de 2020, 5 500 tonnes de déchets logés dans des colis de cuivre scellés par de la bentonite. Ils seront répartis dans des puits situés à plus de 400 mètres sous terre dans une couche de granite. 

La réussite d’Onkalo repose sur la grande acceptabilité du projet par le public. La stratégie globale de gestion des déchets radioactifs a été décidée il y a plus de 40 ans, lors de la mise en place des premiers réacteurs. Ce plan de gestion a été élaboré avec de nombreuses parties prenantes, incluant des organismes de représentation de la population ce qui a permis de l’impliquer dès le début dans le projet. La participation de la STUK (autorité de sûreté nucléaire finlandaise) à ce plan a aussi permis de créer une relation de confiance entre les habitants et les autorités. Autre facteur clé de succès : la localisation du site, qui n’a pas été choisie que pour la grande stabilité de ses sols. L’ile d’Olkiluoto qui accueillera Onkalo, abrite déjà 3 réacteurs. La population est ainsi déjà sensibilisée au nucléaire d’autant plus que les entreprises du secteur ont massivement investi dans les infrastructures de la région. Et même si certaines voix s’opposent au projet, tous ces éléments ont permis de garantir l’acceptation d’une large majorité de l’opinion publique et ainsi d’éviter les oppositions locales.

L’exemple Finlandais montre qu’une voie est possible pour les sites de stockage en couche géologique profonde. En parallèle, de nouvelles solutions commencent à émerger, comme le stockage en faible profondeur (pour les déchets de faible activité à vie longue)  ou la transmutation qui a pour objectif de réduire la radioactivité d’un élément en le fragmentant en des éléments plus petits, supposés moins radioactifs. Que ce soit pour l’enfouissement ou ces solutions alternatives, la confiance de l’opinion publique est clé pour la réussite du projet. Afin de la garantir, la poursuite de la recherche et une meilleure communication permettant d’améliorer les connaissances de la population sur le nucléaire seront nécessaires, de manière à apporter des arguments fiables et solides au débat public[xv].

 

Une analyse de Benjamin Ruff

Retrouvez les deux premiers articles du cycle Nucléaire ci-après : 

Le Panorama du nucléaire civil français en 2020 et Quelles perspectives pour le nucléaire dans le contexte actuel tendu ?