La reconversion, parent pauvre des politiques d…
Dans le cadre de cet article, nous allons nous attacher à présenter les principales conclusions de ce CfA (Call for Advice) –, les principales caractéristiques et la taille du marché potentiel, les critères d’éligibilité et préconisations en matière de traitements réglementaires.
En juin 2017, dans le cadre de la revue du plan d’action relatif au projet d’union des marchés des capitaux, la Commission européenne avait indiqué son intention de proposer l’introduction des titres de créances garantis « ESN » (European Secured Notes), un nouvel instrument paneuropéen devant permettre aux établissements de trouver des sources de financements complémentaires et alternatives sur les marchés des capitaux. Ces titres auraient la particularité d’utiliser comme collatéral des prêts octroyés par ces établissements aux PME (petites et moyennes entreprises). La Commission a ainsi mandaté l’EBA (ABE – Autorité Bancaire Européenne) pour qu’elle étudie l’opportunité que représenterait l’introduction des ESN et qu’elle formule des propositions quant au cadre réglementaire à établir.
Rappelons tout d’abord que le Call for Advice portait sur deux types d’ESN : les SME ESN, avec pour collatéral des prêts aux PME, et les infrastructure ESN avec pour collatéral des prêts d’infrastructure[1]. Tandis que les conclusions de l’EBA sont favorables à l’introduction des premières, elle préconise de na pas développer les secondes au regard notamment de la complexité des prêts d’infrastructure, de leur caractère « sur mesure » et de leur montant moyen élevé. Pour cette raison, notre analyse se focalise sur les SME ESN uniquement.
Ces SME ESN présenteraient des caractéristiques proches de celles des obligations garanties : les ESN, émises par des établissements de crédit et garanties par un panier d’actifs cantonnés, sont définies comme des instruments à « double recours » : leurs détenteurs peuvent avoir recours à ce panier d’actifs cantonnés en tant que créanciers privilégiés, en cas d’incapacité de l’établissement à rembourser les titres émis, et ont également un droit de recours à l’égard de l’entité émettrice, en tant que créanciers ordinaires. Il est prévu que dans le cas des SME ESN, les actifs cantonnés soient des prêts aux PME. L’introduction de ces instruments garantis constituerait une nouvelle source de financement pour les banques qui octroient des prêts à ce type de clientèle (PME), à un coût qui devrait s’établir entre celui des obligations garanties (connues en anglais sous le terme de covered bonds) et celui des obligations seniors non-sécurisées. D’après les analyses de l’EBA, cette nouvelle source de financement pourrait s’avérer particulièrement utile pour les petites institutions n’ayant pas accès au marché de la titrisation ou faisant face à des difficultés dans l’émission de dette long terme non garantie.
Le marché des SME ESN pourrait s’établir entre 310 et 930 milliards d’euros, en supposant que le pourcentage des prêts aux PME cantonnés pour émettre des ESN soit similaire à celui associé à des prêts immobiliers classiques observé entre le début des années 2000 et aujourd’hui (i.e. entre 10 et 30%), pour un total de prêts accordés aux PME de 3100 milliards d’euros (données EBA). Toutefois, la taille du marché des SME ESN dépendra également, entre autres, des critères d’éligibilité des actifs au panier d’actifs cantonnés et des traitements réglementaires appliqués aux titres émis.
L’EBA considère plusieurs critères d’éligibilité des actifs au cover pool (réserve commune de garanties), listés ci-dessous :
Actifs concernés : seuls les prêts aux PME et les opérations de crédit-bail sont admissibles. En raison de leur maturité court terme, les lignes de trésorerie et l’affacturage ne sont quant à eux pas éligibles.
Qualité des actifs requise : seuls les prêts qui ne sont pas en souffrance sont admissibles. Par ailleurs, les établissements de crédit émetteurs de SME ESN sont tenus d’avoir des normes d’octroi de crédit robustes et clairement définies.
Granularité du panier d’actifs cantonnés : la granularité doit être suffisamment importante, i.e. le nombre d’actifs doit être suffisamment grand. L’EBA propose de fixer un minimum à 500 prêts ou opérations de leasing.
Concentration de la réserve commune de garanties : la réserve ne doit faire l’objet d’aucune concentration significative. L’EBA préconise que, par emprunteur, la valeur totale des expositions ne devrait pas représenter plus de 2% de la valeur totale des expositions dans la réserve commune de garanties.
Sur-collatéralisation minimale requise : une sur-collatéralisation minimale de 30% serait exigée, à tout moment. Ce seuil de 30% a été défini au regard notamment du risque associé – et observé – aux prêts aux PME, et du niveau de sur-collatéralisation effectif sur les obligations sécurisées existantes.
Tel que défini, cet ensemble de critères doit permettre de ne pas limiter de facto le marché des SME ESN, mais d’exiger en contrepartie une exigence importante de sur-collatéralisation. Se pose alors la question de l’éventuel accroissement du niveau de nantissement des actifs.
L’introduction des SME ESN pourrait avoir un impact sur l’asset encumbrance (actifs et collatéral reçus d'une banque apportés en garantie au profit de créanciers privilégiés), analysée dans le cadre de ce Call for Advice. L’ABE indique que ce nouvel instrument de financement sécurisé et l’augmentation associée de l’asset encumbrance – ceteris paribus – peuvent potentiellement représenter une menace sur la stabilité financière, la protection des épargnants, le bail-in et la résolution, et la réduction des risques systémiques, au niveau national ou pour les banques au niveau individuel. Cependant, elle précise que l’introduction de SME ESN performantes devrait améliorer le profil de risque des émetteurs, et non le dégrader. Par ailleurs, l’accroissement de l’asset encumbrance devrait être limité et ce même s’il atteint un niveau comparable à celui du marché des obligations hypothécaires sécurisées. Mais si besoin en est, il pourrait être envisagé de limiter l’asset encumbrance, à un niveau agrégé et non par instrument, en fonction du succès des SME ESN – succès qui dépendra, entre autres, des traitements réglementaires qui y seront associés.
Même si les SME ESN ne peuvent pas bénéficier du même traitement que les obligations garanties, un traitement plus favorable que celui dont font l’objet les expositions sur les établissements (non garanties) – telles que définies dans la CRR – pourrait être envisagé. Autrement dit, la pondération au risque des SME ESN serait supérieure à celle des obligations garanties et inférieure à celle des expositions aux établissements – respectant la cohérence globale du cadre de la CRR entre classes d’expositions – en raison de leur caractère « double recours » et des critères d’éligibilité au pool d’actifs qui améliorent le profil de risque et la qualité de crédit de l’ESN.
Par ailleurs, pour autant que les SME ESN sont émises par des établissements de crédits, qu’elles présentent un certain nombre de caractéristiques similaires à celles des obligations garanties et qu’elles répondent aux exigences UCITS (caractéristiques des ESN et du cover pool), il est envisagé qu’elles puissent faire l’objet de seuil moins contraignant en matière d’investissement des fonds UCITS.
Enfin, les SME ESN ne seraient pas concernés par le bail-in. Et en ce qui concerne le LCR, aucun traitement préférentiel ne peut être proposé à ce stade dans la mesure où la liquidité des SME ESN ne peut pas être estimée. Une revue pourra être réalisée si ce nouveau produit est effectivement émis afin de déterminer s’il peut être considéré comme HQLA.
L’EBA recommande donc l’introduction des SME ESN, mais pas des infrastruture ESN. La création de ce nouveau produit viendrait s’ajouter ou compléter quelques initiatives plus locales comme par exemple l’ESNI, proposé par la Banque de France depuis 2012. Cela offrirait une nouvelle source de financement aux banques à un coût potentiellement inférieur à celui des obligations seniors non-sécurisées, sur un marché paneuropéen. De plus, elles pourraient bénéficier de traitements réglementaires spécifiques (CRR, EMIR, UCITS, bail-in), plus favorables que ceux appliqués sur les titres non garantis, à la condition qu’elles répondent à certains critères. D’autres traitements seront à définir si les SME ESN sont effectivement introduites, comme pour le LCR. La mise en place de ce nouvel instrument au sein de juridictions hétéroclites implique également d’autres prérequis, en commençant par la définition de ce qu’est une PME.
[1] Les infrastructures représentent l’ensemble des actifs principalement dédiés à la mobilité ainsi qu’au transport des marchandises, de l’eau, de l’énergie ou de l’information.